PIÈGE MORTEL de Ira Levin. Adaptation Gérald Sibleyras. Mise en scène Éric Métayer avec Nicolas Briançon, Virginie Lemoine, Cyril Garnier, Marie Vincent et Damien Gajda.
Les premières mesures récurrentes de Lilies of the valley, musique de Jun Miyake, apportent à l’action son rythme enlevé, tout comme l’unique décor en renvoie l’atmosphère étrange. Nulle trace féminine, hormis un tricot en cours de réalisation, ne vient troubler la touche très masculine du bureau de Sydney Brown, décoré, entre autres, d’une imposante collection d’armes de différentes époques. L’auteur de pièces policières souffre du syndrome de la page blanche depuis un temps certain et vient de recevoir le tapuscrit d’un néophyte. Le jeune écrivain a suivi l’un de ses séminaires et, à considérer l’énervement du maître à la lecture du document, il en a retenu les leçons au-delà de toute espérance. Le diagnostic est sans appel : « Piège mortel » est une excellente pièce qui devrait rester des années à l’affiche à Broadway si elle est produite, ce qui ne fait aucun doute. Sydney Brown s’interroge. Comment s’attribuer la paternité de l’œuvre de ce « morveux » ? Lui qui a passé sa vie à concevoir des intrigues et des meurtres, il n’est pas à court d’idées mais hésite. Après bien des supputations commentées avec angoisse par sa femme Myra dont le cœur fragile flanche à la moindre émotion, Sydney Brown franchit un premier pas. Il décide d’inviter l’auteur sous prétexte de l’aider à « finaliser » son tapuscrit. Clifford Anderson accourt, flatté de l’intérêt que porte sur son travail un spécialiste du polar tel que Sydney, mais n’est pas dupe. Il le prévient qu’il n’a pas l’intention d’en partager le succès, si succès il y a. Brown s’assure que personne n’est au courant de l’existence de l’original que Clifford a apporté avec lui, avec l’unique copie assortie des notes prises au cours de son élaboration. Il franchit alors le second pas : il décide de se débarrasser de Clifford afin de s’approprier la pièce et l’étrangle sans autre forme de procès, sous les yeux horrifiés de Myra que la panique gagne à la vue du corps allongé sans vie sur le tapis, mais très vite enterré dans le potager du jardin. La terreur est bientôt remplacée par la fureur. Elle donne un mois à Sydney pour disparaître de la demeure XIXe qui lui appartient et également de sa vie, le temps de donner le change aux amis et aux voisins dont le plus proche est Helga, une allemande, voyante de surcroît. Ce don assez terrifiant ne laisse d’ailleurs pas de les inquiéter, même si les drames qu’elle pressent restent très « confusionnants ». Sydney s’évertue à rassurer sa femme sur les conséquences d’un geste fatal que personne n’a vu et la supplie de réfléchir. La nuit porte conseil. Myra se laisse fléchir, espérant ne pas finir en prison pour complicité. Mais la machine infernale est en marche. Rien ne se passe comme la logique le voudrait, à la stupeur des spectateurs de plus en plus déroutés …
Grand spécialiste du roman fantastique, Ira Irvin est l’auteur du célèbre « Un bébé pour Rosemary », adapté au cinéma par Roman Polanski sous le titre « Rosemary’s baby » ce qui donne une idée de la tournure que prennent les événements. Metteur en scène de l’extrême, Éric Métayer se défoule, exploitant les rebondissements avec l’imagination qu’on lui connaît, suivi avec ardeur par les comédiens. Une comédie diabolique qu’Henri-Georges Clouzot n’aurait pas désavouée… M-P P. Théâtre La Bruyère 9e.