LE PETIT-MAÎTRE CORRIGÉ de Marivaux. Mise en scène Clément-Hervieu-Léger avec Florence Viala, Loïc Corbery, Adeline d’Hermy, Pierre Hancisse, Claire de La Rüe du Can, Didier Sandre, Christophe Montenez, Dominique Blanc et Ji Su Jeong.
Portant chevalet, pliant, et cartons à dessin, chapeau de paille en bataille et blouse de peintre laissant entrevoir sa robe, Hortense profite du bel air de la campagne pour s’installer dehors, suivie de Marton sa servante. Jeune fille bien née, la demoiselle est sans façon mais rêve d’un amant qui lui fera la cour et lui avouera son amour. Vivant à Paris, la Marquise et son fils Rosimond viennent d’arriver dans la propriété du comte et père d’Hortense, pour conclure le mariage. Hortense et Marton regardent mi goguenardes mi effarées les manières de « petits-maîtres » de Rosimond et de Frontin son valet, un comportement encore très prisé dans la capitale, reliquat d’une règle vieille de deux siècles qu’elles jugent complétement ridicule. De leur côté, le prétendant et son valet ne jettent pas un œil plus tendre sur ces petites provinciales aux manières balourdes et si peu distinguées.
Les parents quant à eux se sont accordés. Naissance, rang, fortune, crédit à la cour et belle figure, le comte ne tarit pas d’éloges sur les atouts de Rosimond, fils unique d’une Marquise tout aussi ravie de cette union. Hortense est loin de partager l’enthousiasme de son père. Rosimond a belle tournure, il ne lui est pas indifférent mais son arrogance et son peu d’empressement à son égard la rebutent. Elle décide de différer son consentement tant que ce « petit-maître » ne lui déclare pas explicitement son amour. En un mot, elle décide de le « corriger ».
La désinvolture de Rosimond, loin de comprendre le souhait d’Hortense, persiste. Et voici que Dorimène, son ancienne maîtresse parisienne, apprend le projet de mariage. Elle fait parvenir une lettre à son amant d’hier, annonçant sa venue, dans l’idée de le récupérer, missive que Dorimond a l’imprudence d’égarer. Plus réaliste que son maître, Frontin comprend que ses manières nuisent à son dessein de se faire aimer de Marton dont il est tombé amoureux. En se « corrigeant » lui-même, il voit ses sentiments partagés par la servante. Il tente alors de faire entendre raison à son maître tandis que Marton compte utiliser à bon escient la lettre perdue qu’elle a trouvée…
Sous la plume d’un auteur inspiré par l’une des dérives sociales de son temps et la complexité des rapports amoureux qu’il analyse, la mise en scène volontairement classique enchaîne de façon exquise les rebondissements causés par la décision d’Hortense et leurs effets sur un « petit maître » plus vulnérable qu’on ne le pense. Un vent léger souffle sur l’herbe drue du décor dans laquelle marchent, s’assoient, s’étendent, se roulent, trébuchent ou se blessent les personnages, selon leur statut de « parisiens » ou de « provinciaux », vêtus de costumes somptueux, pris dans un chassé-croisé animé et un marivaudage dans le sens le plus noble du terme. De scène en scène, se succèdent une suite de tableaux calqués sur l’époque dont l’atmosphère de plein air est propice au télescopage des sentiments éprouvés par deux mondes que tant d’usages opposent.
Il est des échecs singuliers. La pièce, créée en novembre 1734 par les Comédiens-Français fut retirée de l’affiche après la deuxième représentation. Après trois siècles de sommeil, La Comédie Française la réveille aujourd’hui. Le résultat est admirable. M-P P. Comédie Française - Salle Richelieu 1er.