PENSER QU’ON NE PENSE À RIEN C’EST DÉJÀ PENSER QUELQUE CHOSE de Pierre Bénézit. Mise en scène Pierre Bénézit avec Olivier Broche, Vincent Debost, Anne Girouard.
Un lieu improbable, quelques chaises en désordre. Deux cousins, Paulbert et Gérald, répètent un dialogue sans consistance où il est question de voix au téléphone. Paulbert râle, menace de faire sa valise. Gérald, faussement naïf et souriant, attend placidement le énième retour du bougon coutumier. Survient Barbara en quête de vin et de renseignement sur une rue proche, où l’attendent les amis d’un dîner prévu. La vieille voisine s’en chargera, dit Gérald, mais dans la lenteur de ses pas menus. Patience donc, on va meubler l’attente, on daube sur le propriétaire rapace, sur la rareté des contrats, sur le vide de l’existence. Questions décousues et réponses déconcertantes s’enchaînent alors entre les cousins et l’intruse. Derrière la banalité farfelue de la conversation se profile une inquiétude sur le néant, le présent comme nécessaire interstice entre le passé et le futur. Que pouvait penser le premier homme préhistorique quand survint la mort inédite ? Comment faire durer le peu de temps qui lui reste avant sa propre mort annoncée ?, se demande Barbara. L’ennui serait-il la solution ? Gérald apprend à se tourner les pouces, devient prophète, revisite en grande originalité les mythes fondateurs. Paulbert s’amadoue, Barbara les déstabilise par ses raisonnements impromptus. L’heure tourne, le temps se referme presque en chrysalide. Les noces de Cana s’invitent dans la conversation, mais le vin se fait désirer…
Difficile de résister à l’amusement qui jaillit devant cette insolence d’excellent aloi, on se laisse entraîner avec joie dans un flux loufoque, où la poésie mérite vraiment son nom, parce qu’au-delà des mots d’un monde où tout a déjà été dit, elle ouvre l’imagination à un univers salutairement autre. A.D. Théâtre de Belleville 11e.