L'OS A MOELLE. Conception et mise en scène Anne-Marie Lazarini d'après Pierre Dac. Avec Cédric Colas, Emmanuelle Galabru, Michel Ouimet.
Sur scène, deux hommes et une femme sont plongés dans la lecture de leur journal déplié, dont la reproduction agrandie décore le fond de la scène. Ce sont les quatre pages d'un périodique qui initia le rire déjanté, pétri de « non sense », qui secoua la France de son apparition le 13 mai 1938 jusqu'à sa disparition le 7 juin 1940. L'Os à moelle, organe des loufoques.
À la question « Pourquoi L'Os à moelle ? », Pierre Dac répondait : « Et pourquoi pas ? »
Pendant deux années, chargées voire surchargées de chaos politique, du bruit de bottes à l'horizon, de rodomontades et de lâchetés, d'atermoiements pseudo-stratégiques des puissants, de conflits en approche et de défaite prévisible, Pierre Dac et sa joyeuse équipe vont semer les graines de l'insolence, avec un immense succès éditorial qui ne s'est démenti que par la tyrannie du pouvoir en place. Une mort non par lent étouffement ou par lassitude, mais par assassinat institutionnel. « L'Os à moelle s'est dissous au contact du vert-de-gris », tel fut le constat de Pierre Dac.
La prestation des trois excellents comédiens sur scène est un chassé-croisé sans temps mort d'aphorismes, d'éditoriaux prolixes sur les pas-de-deux si peu gracieux entre belligérants, sur filigrane d'Hitler. Le public est invité à prononcer citations et petites annonces qui lui sont proposées, à se mettre en quête d'un individu qui ressemblerait au petit moustachu. Les recettes de Tante Abri mettent les cerises et l'eau-de-vie à la bouche, Charlotte oscille entre pommes et Werther, le boudin change de couleur, les poissons rouges dégustent leur soupe. Les taches disparaissent miraculeusement des vêtements, les strabismes trouvent enfin une solution. Les premières rangées de spectateurs tentent déjà de se protéger de l'eau qui va les asperger...
Dans ce foisonnement de délires tous azimuts, résonne en écho l'un des premiers échanges : pourquoi toujours dire « rien ne va plus ? » auquel on pourrait substituer un « tout va bien » nettement plus optimiste, n'est-ce pas ?
On se laisse entraîner sans résistance dans cette noria de paroles, dont l'absurdité n'est qu'apparente. Leur logique très originale n'a pas pris une ride, à plus forte raison quand elles sont situées à nouveau dans le contexte de leur époque, et fait mesurer d'autant plus combien la loufoquerie est preuve de santé mentale, en ce qu'elle permet d'échapper au conformisme délétère.
Une parenthèse bienvenue dans notre propre contexte contemporain. A.D. Artistic Theâtre 11e.