NINA ET LES MANAGERS

Article publié dans la Lettre n°545 bis du 20 avril 2022


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NINA ET LES MANAGERS. Texte de Catherine Benhamou. Mise en scène Ghislaine Beaudout. Avec Renaud Danner, Violaine Fumeau, Adèle Jayle, Adrien Michaux.
Comment pousser les employés d'une entreprise à mettre en œuvre leur propre sacrifice ? Il suffit de les faire jouer, voire inventer eux-mêmes les termes de leur éviction...
L'espace scénique est dépouillé, à vocation multiple, les panneaux mobiles y glissent comme les sièges et les bureaux au gré des situations. Métaphore de la « flexibilité » des situations, du statut précaire des employés, de l'instabilité physique, professionnelle et psychique que leur imposent des managers sans autre vergogne que l'appât du gain et de la rentabilité, sous couvert de rationalisation des fonctions.
Au centre, Nina, une fragile comédienne, « mouette » de Tchekhov, en mal d'engagement un peu stable. À elle de susciter chez les employés la formulation dilatoire de leurs désarrois et enjeux. Sa réticence à ce jeu pervers s'efface vite devant la nécessité de survivre au quotidien.
Autre marionnette de la manipulation, Xavier est pris dans l'engrenage d'une compétition funeste, jusqu'à proposer l'absurdité d'une organisation mortifère. « Travailler la nuit et dormir le jour ».
Le couple, que forment le directeur, Grégoire, et sa compagne assistante du moment, Léa, tisse sa toile machiavélique, par le chantage et la séduction.
Le piège se referme d'autant plus efficacement qu'il s'appuie sur les captations les plus performantes du jeu individuel et collectif. Quoi de plus stimulant en effet que le recours aux artifices techniques de l'enregistrement de soi ?
On assiste, entre rire et ébahissement, à une mise en forme de la servitude volontaire chère à Etienne de la Boétie. Une fantasmagorie qui serait jubilatoire si sa réalité délétère n'était pas en passe de devenir l'ordinaire de nos sociétés contemporaines. Or, les managers ne sont ni responsables ni coupables, puisque les victimes sont consentantes. Impunité garantie.
Et le spectateur est emporté, sans violence apparente, dans le rythme sans relâche ni concession d'un conditionnement qui le laisse étourdi finalement. Taraudé par la question en suspens « A quoi concourt un travail ainsi organisé s'il n'est que course des corps vers un vide de l'âme ?».
Les sourires carnassiers ou déboussolés des quatre comédiens donnent toute sa valeur à un théâtre de la mise en garde. Un exercice hautement salutaire. A.D. Le 100ECS 12e.

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