MON FILS de Erwan Zamor Szejnok. Mise en scène de l’auteur avec Jean-Philippe Bêche et Erwan Zamor Szejnok.
Pierre Lefrançois considère un instant le lit sur lequel repose l’homme pour qui il est venu. Soulever le drap pour considérer son visage, pas pour le moment. Il retire en revanche celui d’une psyché voilée. La lueur des bougies vacille dans l’obscurité de la pièce. Pierre est encore sous le choc de la nouvelle transmise par le notaire. Jacques Duflot, alias Srul Szejnok, ce père méconnu qui l’ignore depuis plus de trente ans, se rappelle à lui sous la forme d’un testament incongru. Hériter suppose certaines conditions. Pierre doit porter la kippa, assister à la veillée funèbre, suivre les rites religieux et lire les mémoires du défunt. Le fils ne vient pas pour l’argent mais par principe. Il ignore tout de la religion juive et se montre encore plus surpris que son père le soit. Il saisit le journal, et tout à coup, Srul se tient devant lui. De crainte d’y voir son reflet, il ordonne à son fils de recouvrir le miroir et l’enjoint de mettre la kippa.
Pierre et Srul ont toute la nuit. L’un pour raconter son passé, réparer ses erreurs et transmettre. L’autre pour écouter, comprendre et pardonner. Et cette nuit ne sera pas de trop. Permettra-t-elle aux âmes des deux hommes en conflit de s’apaiser, au lien de la transmission de se nouer enfin pour que l’un parte en paix et que l’autre fasse son deuil ?
Dans une semi-obscurité, le face à face se dessine. La musique et des vidéos l’accompagnent dans une terrible et émouvante évocation, celle des meetings du monstre, des photos jaunies d’une famille annihilée, des trains sur le chemin des camps de la mort et celles, glaçantes, des silhouettes décharnées des rares survivants.
La perte des siens a rendu impossible l’idée même d’une vie normale. Elle est celle d’un homme qui s’enfuit pour ne pas être père, n’ayant pu faire le deuil du sien, celle d’un homme qui refuse le bonheur et se croit le dernier représentant d’un patronyme qui s’éteindra avec lui.
Erwan Zamor Szejnok, très habité par le rôle du père, tient sa partie avec talent. Jean-Philippe Bêche, le fils, passe subtilement du rejet et de la rancune à l’amour.
Un puissant tête à tête dont on ne sort pas indemne. M-P P. Théâtre de la Contrescarpe 5e.