MON DÎNER AVEC WINSTON

Article publié dans la Lettre n°498 du 4 mars 2020


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MON DÎNER AVEC WINSTON de Hervé Le Tellier. Mise en scène et interprétation Gilles Cohen.
Charles dispose assiettes et couverts. Il a cuisiné avec soin ses meilleures recettes et s’attarde avec gourmandise sur celle du Jambon à la Churchill. La bombe glacée attend au frais. Champagne, cuvée Churchill, Havanes Romeo y Julieta sont à portée de main de l’hôte qu’il attend, fébrile. Même la salle de bains est prête. Il ne délaisse pas pour autant son travail d’assistant chez Tourisme Europe Service et répond aux urgences tout en soliloquant. Un appel d’un certain A. Rodriguez monopolise de temps en temps son attention. Un pneu crevé quelque part dans les Alpes bavaroises… Charles s’active un peu trop bruyamment au goût d’un voisin qui frappe, exaspéré, à sa porte. Il n’en a cure. Ce soir est un grand soir, il reçoit Winston Leonard Spencer Churchill… mort depuis cinquante-quatre ans.
Celui-ci ne viendra pas, bien sûr, mais cette constatation ne semble pas déconcerter l’amphitryon. Dans ce rôle, Gilles Cohen, brillantissime, use de sentiments divers. Admiratif, il remémore certains passages des discours de l’année 40 lorsque le premier ministre appela au combat et à la victoire quand il n’avait rien à offrir que « du sang, du labeur, des larmes et de la sueur ». Lucide, il rappelle les erreurs ou méfaits commis dans la jeunesse, la guerre des Boers ou le mépris affiché à l’égard de Gandhi. Méprisant, il l’est, comme l’aristocrate descendant des ducs de Marlborough et de la famille Spencer, face à l’obscur petit peintre en bâtiment. Reconnaissant, il juge que l’Europe est en paix grâce au vieux lion et se montre confiant en l’avenir, en dépit du Brexit : « Si vous, dépressif et alcoolique, avez sauvé le monde, tout espoir est permis ». Compatissant et révolté enfin, car Winston lui ressemble, dépressif et alcoolique comme lui. Il revient sur les causes et conséquences de ces maux-là, les mêmes que les siennes, une enfance vide d’amour et d’attention, aux prises au mépris d’un géniteur qui ne croyait pas en lui. Les pères sont parfois des criminels en puissance comme l’atteste « Tu seras un homme mon fils (si) … », célèbre poème de Rudyard Kipling à son fils.
Scrupuleusement mis en scène, le texte d’Hervé Le Tellier, nourri de documents d’époque, de discours, de références littéraires et poétiques est captivant. Gilles Cohen le fait vivre avec passion jusqu’aux derniers mots, jusqu’aux dernières traces d’une visite chimérique, abandonnées sur la table désertée. M-P.P. Théâtre du Rond-Point 8e.


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