MON ANGE d’après « Angel » de Henry Naylor. Traduction Adélaïde Pralon. Mise en scène Jérémie Lippmann avec Lina El Arabi.
Kobané est une ville tranquille au nord de la Syrie, tout près de la Turquie. Rehana est originaire d’un village qui se situe plus au sud. Lina El Arabi s’avance pour raconter l’histoire de cette jeune fille kurde, surnommée « l’Ange de Kobané ». Élancée et très droite dans sa longue robe noire, elle prend la voix grave et vibrante de celles qui dénoncent.
Noir sur le plateau. On devine les feuilles des arbres dans l’obscurité comme celles qui frémissent autour de la maison familiale de Rehana, bordée de ses champs de pistachiers. Les chacals s’en approchent la nuit, ils attaquent les bêtes. Le chien de la fillette ne leur échappe pas. C’est la première fois que la petite de douze ans voit un fusil dans les mains de son père quand il se voit obligé d’achever l’animal. Cinq ans plus tard, ce ne sont plus les chacals qui glapissent sous les arbres mais les armes qui se font entendre. Rehana commence tout juste des études de droit et veut être avocate, même si son père préférerait qu’elle reprenne la ferme. Lui rêve d’un Kurdistan indépendant où règne l’égalité entre hommes et femmes. Mais les environs se peuplent inexorablement de fanatiques. Il est temps d’apprendre à tenir un fusil. La jeune fille est rétive mais, obéissant à l’ordre de son père, elle s’exerce au tir. Et puis Mossoul tombe et les hommes de Daesh s’en emparent. « Ça crépite. Ça explose. Ça cogne. Là-bas, dans les champs ». La mère et la fille doivent fuir. Ils sont 130 000 à la frontière turque. Elles se préparent à prendre le « pitoyable chemin de l’Europe » quand, tout à coup, Rehana dit non, abandonne sa mère et rebrousse chemin à la recherche de son père, resté combattre Daesh. Elle tombe dans la nasse. Faite prisonnière, elle ne serait plus qu’un « butin de guerre » si elle ne parvenait pas à s’échapper. Après une fuite éperdue, elle rejoint un groupe de six femmes qui combattent l’ennemi jusqu’à la mort…
Dans un halo de lumière, l’ombre de Rehana, démontant et remontant son fusil les yeux bandés, se dessine. Celle que son père appelait « mon ange » devient l’ange de tous les hommes et femmes épris de justice et de liberté. La légende est née.
Pour les dernières secondes, la lumière éclaire le plateau et son décor, un petit monticule de terre et d’innombrables plumes simulant les feuilles des arbres du père, une lumière qui illumine pour toujours Rehana, l’« Ange de Kobané », symbole de résistance. Hiératique, Lina El Arabi achève son récit. Un monologue poignant. M-P.P. Théâtre Tristan Bernard 8e.