MOLLY ou l'odyssée d'une femme

Article publié dans la Lettre n°595 du 5 juin 2024


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MOLLY ou l'odyssée d'une femme. D'après James Joyce. Mise en scène Hélène Arié et Antony Cochin. Avec Hélène Arié.
Il ronfle dans la pièce à côté, elle ne parvient pas à dormir. Et le cœur de la nuit est propice à une dérive des souvenirs d'amours enfuies, des frustrations et des jalousies. Tant d'années ont vu leur couple dans le tissage mouvementé d'une indispensabilité mutuelle. Tissage, oui. Parce que le héros Ulysse revient toujours, malgré ses aventures, ses incartades, sa soif inassouvie de conquêtes, surtout féminines. Parce que la fidélité de Molly-Pénélope est le sémaphore dont il a besoin, mais Molly sait aussi qu'elle ne suffira jamais à combler la potentielle lassitude qu'il aura d'une telle patience.
Molly est une femme d'âge mûr, elle est belle, elle aussi a connu, dès l'adolescence, les plaisirs de la chair. Elle fut une sorte de nymphette ravissante et en raconte le détail même très intime, avec une naïveté juvénile dont on pourrait presque douter tant est plein de verdeur et de crudité le langage dont elle use. Impossible cependant d'y percevoir une fausse pudeur propre à taire des expériences pour le moins osées.
Féministe avant la lettre, elle en profite pour s'interroger sur cet étrange animal qu'est l'homme. Sans illusion, avec humour surtout. En filigrane de cette perplexité, il y a beaucoup d'amour, une tendresse sincère, une incapacité à la rancœur.
La légèreté en logorrhée laisse, par moments, entrevoir la trame d'une quête d'amour, poétique, presque pathétique dans une bouche si délurée : «j’aimerais tant que quelqu’un m’écrive une lettre d’amour juste quelques mots es-tu pâle de lassitude pour avoir escaladé le ciel et contemplé la terre O voyageuse sans compagnon...»
Et on se laisse porter sans impatience ni lassitude par le flot ininterrompu, sans aucune ponctuation, de ces sensations, sentiments, évocations, anecdotes historiques, questions sans réponse, dialogues impromptus, commentaires désabusés ou ironiques. Une griserie colorée de boissons fortes et de douceurs salées et sucrées, une fresque très proustienne, des descriptions plus que réalistes de l'expression du désir brut, entremêlées de piété désopilante, qu'Hélène Arié met magnifiquement en œuvre, dans un décor minimaliste. La méridienne romantique, où elle ne s'assoit que brièvement, métaphorise une évidente lascivité, les pierres du mur semblent retenir son léger vertige.
La lumière change au gré des heures nocturnes, l'aube va paraître.
Il réclame deux œufs pour un petit déjeuner au lit. A. D. Théâtre Essaïon 4e.


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