LE MISANTHROPE
ou l’atrabilaire amoureux

Article publié dans la Lettre n° 293
du 19 janvier 2009


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LE MISANTHROPE ou l’atrabilaire amoureux de Molière. Mise en scène et scénographie Enrico Di Giovanni. Collaboration artistique Myriam Derbal avec Gérald Cesbron, Myriam Derbal, Enrico Di Giovanni, Donat Guibert, Jean-Pierre Hutinet, François Lescurat, Caroline Piette, Véronique Sacri, Alain Veniger.
Dans les appartements de Célimène, désertés un moment par celle-ci et sa cousine Éliante, Alceste et Philinte discutent vivement. Alceste reproche à son ami un zèle et une complaisance trop marqués pour des gens qui n’en valent pas la peine et c’est n’estimer rien qu’estimer tout le monde. Car si Philinte préfère faire un peu grâce à la nature humaine et voir ses défauts avec quelque douceur, Alceste a conçu pour elle une effroyable haine. Cette véhémence étonne d’autant plus Philinte que le cœur de son ami s’est engagé dans un étrange choix, préférant la coquette Célimène à la prude Arsinoé ou à la sincère Éliante, pour laquelle Philinte soupire, et qui, toutes deux, ont un penchant pour Alceste. Celui-ci est lucide: il aime Célimène d’un amour extrême pour sa beauté et son esprit, mais déteste tout ce qu’elle représente. Elle lui avoue son amour mais ouvre sa porte à tous ses prétendants. Las! même s’il en prend ombrage, il ferme les yeux. Une altercation avec Oronte au sujet d’un sonnet qu’Alceste juge bon à mettre au cabinet, la superficialité et la médisance des petits marquis, puis l’avertissement d’Arsinoé, jalouse de Célimène, sur la trahison de celle-ci, le conduisent à se retirer de la société des hommes. Il se dit prêt à pardonner à Célimène, dont la conduite est condamnée par tous, si elle consent à le suivre loin du monde. Mais elle refusera de priver ses vingt ans des plaisirs de ce monde-là. Alceste se tournera alors vers Éliante qui lui préfèrera Philinte.
Encore Le Misanthrope, penserez-vous. Représentée pour la première fois en 1666, sur la scène du Palais-Royal, par Molière et sa troupe, il est vrai que cette seizième pièce de l’auteur fut, tout au long des siècles, maintes fois reprise avec plus ou moins de bonheur. Que peut-on faire de plus ou de différent? Dès le petit prologue qu’il a ajouté, Enrico Di Giovanni, assisté de Myriam Derbal, nous en donne la réponse, celle de monter l’œuvre sur un ton résolument contemporain et il en fait une flamboyante démonstration. Le décor, la scénographie et une débauche de beaux costumes sont les premiers signes : confortablement installée dans son salon sur une méridienne moderne de facture, vêtue d’un pantalon et d’un bustier, Célimène feuillette une revue. Plus tard, derrière une cloison (quel joli jeu de scène !), nous l’apercevrons se maquiller, se changer comme n’importe quelle jeune fille de nos jours. Les personnages de Molière, comme le voulaient les convenances, observaient une certaine distance. Ici, on se frôle, on se touche, on s’embrasse et les caresses tendres d’Alceste pour Célimène sont d’une sensualité très actuelle, rehaussée par le balayage des lumières parfaitement maîtrisé, celles-ci projetant d’un personnage à l’autre une luminosité chaude et discrète. On danse aussi au rythme d’un très joli choix de musiques, classiques ou modernes, parfois inattendues (« Aquellos ojos verdes que yo nunca besaré »!).
« Ah! qu’en termes galants ces choses-là sont mises »! Ce célèbre alexandrin ne s’adresse pas seulement au sonnet d’Oronte mais aussi à tous ceux prononcés par les comédiens qui restituent le texte sans qu’aucun mot ne semble désuet, à l’heure du texto. Privilégiant le naturel à l’emphase de l’alexandrin qui éloigne du sens, les dialogues et répliques assassines se succèdent avec un naturel confondant, comme s’il s’agissait d’une simple conversation. Il est rare qu’un metteur en scène se mette si bien en scène lui-même mais il semble y avoir entre tous une connivence, un esprit de troupe. Enrico Di Giovanni remplit l’espace d’une présence racée. Tout en charme, il offre un Alceste extraordinaire, aussi atrabilaire que réservé, aussi cassant que charmant. Myriam Derbal campe une excellente Arsinoé, retenant avec art son fiel et sa jalousie. Le rôle de Célimène est taillé sur mesure pour Véronique Sacri, femme et séductrice jusqu’au bout des ongles. François Lescurat est un Philinte aussi juste dans l’amitié qu’émouvant dans l’amour, Caroline Piette une Éliante très convaincante, particulièrement dans sa tirade sur l’amour, au deuxième acte. Alain Veniger, Gérald Cesbron et Donat Guibert sont respectivement excellents en Oronte et en petits marquis. Tout cela est tellement bien venu que l’arrivée de Jean-Pierre Hutinet, Du Bois affublé d’une oreillette et de lunettes noires, ne surprend même pas. Nous sommes au XXIe siècle, suspendus aux alexandrins d’une œuvre du XVIIe avec le même enthousiasme, et c’est tout simplement délicieux. Théâtre Mouffetard 5e.

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