MICHEL-ANGE ET LES FESSES DE DIEU de Jean-Philippe Noël. Mise en scène Jean-Paul Bordes assisté de Dominique Scheer avec François Siener, Jean-Paul Bordes, Jean-Paul Comart, César Dabonneville.
Rome, 1508. Les pas lourds résonnent dans le silence de la chapelle Sixtine. Michel-Ange descend les marches de l’escalier imposant qui mène à l’échafaudage fixé très haut pour un projet non moins imposant: la décoration du plafond, une fresque devant représenter les douze apôtres, sur 800 mètres carrés, à vingt mètres de hauteur. Jules II a passé cette commande à Michel-Ange mais le maître le plus prisé de l’époque se fait prier. « Badigeonner un plafond » plutôt que de se plonger avec délice dans la création du tombeau du pape lui déplaît au plus haut point. 40 mètres sur 13, compte-t-il à grandes enjambés, « jamais ! ». « Dieu m’a voulu sculpteur… Mon âme, même, a besoin de se cogner à la dureté de la pierre ! ». Mais 3 000 ducats ne se refusent pas, il accepte sous certaines conditions. Il ne peindra pas les douze apôtres, il illustrera dans la continuité de ses prédécesseurs « le monde Ante Legem, celui d’avant les lois, celui qui va de la Création au Déluge…». Il se débarrasse de ses assistants, qu’il dit incapables. Sa méfiance envers ses confrères, Raphaël « le petit peintre d’Urbino » en particulier, révèle son état d’esprit. Michel-Ange refuse l’accès à la chapelle à quiconque pourrait épier le choix de ses pigments et l’élaboration de ses couleurs mais aussi par crainte d’être assassiné par jalousie. Seul Mattéo, son fidèle serviteur, sera à ses côtés s’attelant à cette tâche tellement secrète. Le successeur du trône de Saint-Pierre et le Maestro s’opposent. Jules II tente de le raisonner. Œuvrant seul, il lui sera impossible de mener ce chantier à son terme sans retard mais l’artiste s’enferre. Il refuse l’ordre de se faire aider.
Jules II passe davantage de temps sur son cheval à guerroyer que sur son trône et la lenteur des travaux l’indispose tout comme le caractère difficile de Michel-Ange qui, face aux techniques de la fresque qu’il ne maîtrise pas toujours et dès le moindre reproche, lui rappelle qu’il est sculpteur avant d’être peintre. Mais le génie du Maestro fascine le pape-mécène, son audace aussi, lorsqu’il découvre les détails de la voûte : « Les fesses de Dieu !... On les voit tellement que les gens n’oseront même pas les regarder » !
Jean-Philippe Noël imagine dans un style remarquable les relations conflictuelles entre ces deux hommes d’exception durant les quatre années de l’élaboration éprouvante de la fresque, dans un contexte de conflits faits de complots et de trahisons et où l’argent manque. La mise en scène et les costumes évoquent à la perfection l’époque de la Haute Renaissance italienne à son apogée. Le décor et les bruitages suggérent avec la même réussite l’amplitude verticale du chantier et l’atmosphère mystérieuse d’un lieu clos et secret.
François Siener interprète brillamment le rôle du pape-soldat et mécène, qui s’insurge et tempête, toujours seul face aux guerres et aux multiples préoccupations qui l’assailliront jusqu’à sa mort en 1513, agacé par cet artiste hors du commun qui a la tête ailleurs, toujours en quête du marbre parfait pour un tombeau qu’il n’achèvera jamais et dont les œuvres n’ont qu’un but, celui de glorifier le Créateur. Jean-Paul Bordes illumine de son talent un Michel-Ange au caractère irritable, obsédé par la peur qu’on attente à sa vie, maître tyrannique de son serviteur Mattéo, excellent Jean-Paul Comart. L’osmose qui lie les trois comédiens sublime la réflexion de leur personnage respectif sur l’exercice du pouvoir et ses limites, sur l’art et son pouvoir. M-P.P. Théâtre 14 14e.