MERTEUIL de Marjorie Frantz. Conception et mise en scène Salomé Villiers. Avec Chloé Berthier, Marjorie Frantz.
Donner une suite au chef-d’œuvre de Pierre Choderlos de Laclos, quelle idée séduisante et quel pari à relever !
Sur la route de Paris où la révolution fait rage, la Marquise de Merteuil, en tenue de voyage, vient d’être introduite dans un salon qu’elle considère avec impatience. L’attente est longue, trop longue. Excédée, elle pose le porte-documents qu’elle tient à la main tout en réfléchissant. Qui, par l’intermédiaire d’un billet, lui a demandé de faire halte dans ce relais de chasse isolé « afin que l’honneur de Valmont soit lavé » ? Le temps a passé. Le nom du vicomte, décédé quinze ans plus tôt, ne serait-il pas tout à fait tombé dans l’oubli ? Une femme survient enfin mais ne se présente pas. Il faut un certain temps à Madame de Merteuil pour deviner son identité. Mais que lui veut aujourd’hui Cécile de Volanges, épouse de Gercourt, la fille de cette grande amie d’autrefois qu’elle a jetée dans les griffes de Valmont, à peine sortie du couvent ? Aujourd’hui veuve, Cécile de Gercourt vit, elle aussi, retirée du monde.
En donnant la parole à deux personnages clés des Liaisons dangereuses, Marjorie Frantz développe en profondeur un plaidoyer sur la condition féminine ébauché par Choderlos de Laclos. Quand l’une remémore les conséquences dramatiques sur sa vie de ce qu’elle appelle un viol, l’autre oppose le mot « consentement » pour qualifier l’abandon de l’adolescente aux charmes de Valmont. Et elle se targue aussi de lui avoir fait découvrir des plaisirs qu’elle aurait ignorés. Les arguments d’une femme toujours mordante malgré l’âge, la maladie et l’exil ne manquent pas. Madame de Merteuil assume ses actes au nom de la liberté et de l’égalité des sexes, celui, entre autres, d’avoir voulu combattre la plus dangereuse des maladies pour les femmes, « l’ignorance vertueuse ».
Mais à ce plaidoyer s’invitent l’amour et ses conséquences. L’amour inconditionnel de l’une pour Valmont, mais mâtiné de déception et de rancune. Une passion partagée enfin retrouvée pour l’autre mais en péril si la marquise persiste dans le projet qu’elle a ourdi.
La mise en scène rigoureuse de Salomé Villiers fait la part belle au texte ciselé dans le style de l’œuvre initiale. L’auteure interprète sur le fil une marquise encore pleine d’aplomb et de morgue, sûre de sa lutte contre l’oppression masculine et « l’infériorité sociale » du sexe féminin jusqu’à la révélation d’un secret qui la brisera. Face à elle, Chloé Berthier, Cécile, use de toute la palette de ses sentiments. Émouvante lorsqu’elle persiste dans son état de victime d’un jeu malsain et d’un mariage forcé, combative lorsqu’elle dévoile la véritable raison de l’exil de la marquise, tenace dans la décision de briser dans l’œuf la vengeance de son invitée d’un soir, au nom d’un amour qui ne s’est jamais émoussé. On ne peut que les féliciter. M-P P. Le Lucernaire 6e.