MÉDÉE

Article publié dans la Lettre n°570 du 17 mai 2023


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MÉDÉE d’après Euripide. Traduction Florence Dupont. Adaptation et mise en scène Lisaboa Houbrechts. Avec Serge Bagdassarian, Bakary Sangaré, Suliane Brahim, Didier Sandre, Anna Cervinka, Élissa Alloula, Marina Hands, Séphora Pondi, Léa Lopez et Sandra Bourenane, Yasmine Haller, Ipek Kinay.
Leur histoire avait commencé dans la grandeur épique des Argonautes. Elle s’achève dans l’intimité sordide d’un couple désuni.
« Si seulement », psalmodie la nourrice dans son souhait de revenir en arrière pour que tout cela n’ait pas eu lieu. Mais elle ne peut rien, pas même empêcher ce long hurlement de désespoir qui glace le sang des habitants de Corinthe et les compagnons d’infortune de Médée, impuissants à trouver les mots qui consolent, partagés entre désir d’ordre dans leur cité, pour les uns, et empathie pour les autres. Et il y a de quoi. Par amour pour Jason qui s’est emparé de la toison d’or, Médée n’a pas hésité à sacrifier son frère afin d’échapper à Aétès, son père, qui les poursuivait. Aujourd’hui mère des deux enfants de Jason, celui-ci l’abandonne pour épouser Créüse, la fille de Créon, roi de Corinthe. Offrir à leurs enfants une vie meilleure, est la justification du traître.
Médée succombe tout d’abord à la douleur, vide de mots et d’action à la perspective d’un exil immédiat. Elle supplie Créon de lui donner du temps. Le roi de Corinthe la craint. Il a peur qu’elle s’en prenne à sa fille, peur de sa vengeance, peur de ses pouvoirs. Mais, homme d’honneur, il lui accorde un jour pour quitter les lieux avec ses enfants. Médée a gagné cette journée, elle la met à profit. Partagée entre le désespoir et la raison la plus froide, il lui faut maintenant en finir avec cet amour en affrontant Aphrodite, responsable de son malheur, et demander protection à Égée, le roi d’Athènes, contre la promesse de lui faire recouvrer la fertilité. Elle peut alors se transformer en monstre vengeur et assassin, empoisonnant la princesse et son père puis égorgeant ses propres enfants.
La musique omniprésente et les couleurs changeantes du décor varient selon les sentiments éprouvés par la femme trahie et le dessein qu’elle conçoit. Précédée du long hurlement de bête blessée qu’elle pousse, Séphora Pondi, imposante Médée, impressionne plus encore lorsqu’elle s’avance, emplissant la scène de sa corpulence. Ne quittant plus le plateau et entre deux diatribes sur la condition des femmes et un questionnement sur leur véritable appétence à enfanter et à élever des enfants, elle vit les sentiments de son personnage : désespoir, humilité et repentance feintes, véhémence puis froideur lorsqu’elle assassine. Face à elle, Didier Sandre, Créon, tourne et virevolte avec virtuosité autour de cette furie qu’il ne sait pas trop comment aborder. Rôles masculins joués par des femmes, rôles féminins tenus par des hommes, les comédiens oublient leur genre et se surpassent. Bakary Sangaré, plus qu’une nourrice, est une narratrice tout à son impuissance. Suliane Brahim, Jason, et Anna Cervinka, roi d’Athènes, tirent toute leur énergie de leur apparente fragilité. Marina Hands et Serge Bagdassarian mènent les Chœurs dans un savant ballet. Une représentation inventive, d’une remarquable modernité. M-P P. Comédie-Française Salle Richelieu 1er.


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