LA MALADIE DE SACHS d'après le roman de Marc Winckler. Mise en scène Delphine Lefranc. Avec Thomas Ailhaud, Julien Donnot, Delphine Lefranc, Mathilde Pous.
Au centre d'un espace scénique très dépouillé, une longue table se fera alternativement table d'examen médical ou de repas, lieu de sommeil et d'ébats. A ses côtés, le docteur Sachs, aussi dépouillé que les lieux qu'il hante de son silence attentif, se montre prévenant comme une éponge à l'immense douleur plurielle dont ses multiples patients l'investissent. Si peu bavard, sauf dans quelques envolées amères où explose le trop-plein de sa souffrance impuissante. Il évolue, quasi mutique, dans le flot ininterrompu des paroles off, qui le « racontent » et le décrivent à la deuxième personne du singulier, dans la noria des patients rapides qui viennent le cerner, de ceux et celles qui l'agressent, le molestent verbalement, lui crient leur dépit ou leur méfiance, qui attendent tant de sa bienveillance par gestes et regards. Le contraste est saisissant entre la sobriété de sa parole et les autres mots qui vibrionnent, entre l'épaisseur du silence de certaines scènes à la limite du mime et la gravité qu'elles suggèrent ou montrent avec une extrême pudeur.
L'atmosphère est chargée de douleur et de deuil, d'impossibilité à dire simplement qu'on aime, à assumer ses désirs les plus profondément enfouis, comme un poison insidieux qui envahit tout, mais est heureusement contrebalancé par le bon sens et l'évidence des sentiments qui osent se dire.
La mise en théâtre d'un médecin de campagne confronté à des sujets aussi graves, vieillesse, souffrance, solitude, violence diverse, dans la trivialité de leur quotidien, rend d'autant plus pertinent le constat d'échec répété d'une médecine qui prend trop souvent des biais dilatoires faute de pouvoir soigner sa propre impuissance à soigner la misère environnante.
Thomas Ailhaud campe avec grande sobriété émue le docteur Sachs, environné avec efficacité et pertinence par ses trois complices en douleurs et en rires parsemés, qui interprètent la galerie de tous les possibles.
On n'en sort pas indemne. Et c'est la marque d'un théâtre qui remplit au mieux sa mission de « donner à voir ». A D. Théâtre des Déchargeurs 1er.