LA LÉGENDE D’UNE VIE de Stefan Zweig. Traduction Jean-Yves Guillaume. Adaptation Michael Stampe.  Mise en scène Christophe Lidon avec Natalie Dessay, Macha Méril, Bernard Alane,  Gaël Giraudeau, Valentine Galey.
                  Le  décor, style art nouveau, renvoie avec une belle sobriété l’opulence des lieux mais  aussi la rigueur qui pèse sur la maison familiale viennoise où Leonor Franck  règne en maîtresse incontestée. Elle a consacré sa vie à honorer la mémoire de  son mari, le grand poète Karl Franck, une icône nationale. Elle s’est évertuée  à sculpter de lui l’image idéal d’un marbre blanc sans tache, ni aspérité, avec  l’indéfectible fidélité de Hermann Bürstein, ami, éditeur et biographe de Karl.  Ce soir, une lecture d’une œuvre de Friedrich Marius Franck, le fils aîné, est  organisée dans la demeure, mais Leonor est contrariée par une organisation qui  ne lui convient guère et surtout par le comportement de Friedrich. Le jeune  homme aimerait ne plus avoir le poids de ce père célèbre sur ses épaules, s’affranchir  de l’inévitable comparaison. Tandis que Bürstein et Clarissa, la fille cadette,  venue spécialement pour la soirée, aident au bon déroulement de l’événement,  les disputes entre la mère et le fils se succèdent. 
                  Soudain  une femme survient. Maria Folkenhof explique avoir entrepris le voyage pour  assister à cette lecture et faire plus ample connaissance avec Friedrich. Est-elle  vraiment une « étrangère » à cette maison, comme le dit Leonor qui  tente de l’éconduire ?
                  Cette  œuvre méconnue de Stefan Zweig décrit avec minutie la société viennoise du  début du XXe siècle avec ses secrets et son apparence et brosse une remarquable  étude psychologique des caractères. L’impressionnant travail de traduction et d’adaptation  cisèle les personnages. Leonor Franck cache sous son intransigeance le cœur d’une  femme ayant sacrifié sa vie à un époux qui l’a toujours ignorée. Hermann  Bürstein, l’ami intime, aveuglé par l’admiration, n’a jamais perçu les défauts  du grand homme. Friedrich rejette un père qui l’étouffe. Clarissa semble avoir  surmonté le sentiment d’avoir été oubliée par un père « absent ». Maria,  enfin, crée la surprise par une visite dont le but ne laisse pas d’inquiéter  l’épouse et l’ami.
                  Les  dialogues vont à l’essentiel. Ils découvrent peu à peu le rôle majeur joué par  Maria autrefois et tout ce qu’il en reste. Tout est là, intact, mémoire vivante  d’un lourd passé, dans cette chambre d’hôtel où Hermann Bürstein vient lui  rendre visite, redoutant, comme Leonor, les conséquences de cette réapparition  soudaine. Il précède de peu Friedrich dont la démarche est celle d’un fils qui  hait son père et veut en connaître le passé. C’est un tout autre homme qui sort  de ce tête-à-tête… 
                  Leur  rôle respectif est un véritable cadeau pour Natalie Dessay et Macha Méril, excellentes  Leonor et Maria. Bernard Alane, Gaël Giraudeau et Valentine Galey, personnages  essentiels face à leur confrontation, leur donnent la réplique avec beaucoup de  finesse. 
                  Une  pièce captivante, événement incontournable de ce début de saison. M-P.P. Théâtre Montparnasse 14e.