JE M’APPELLE BASHIR LAZHAR

Article publié dans la Lettre n°565 du 8 mars 2023


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JE M’APPELLE BASHIR LAZHAR. Texte d'Evelyne de la Chenelière. Mise en  scène Thomas Coste. Avec Thomas Drelon.
Un drame est survenu dans une école, voici les CM2 en panne de remplaçant. En dépit de ses réticences, la directrice confie cette lourde succession à Bashir Lazhar, qui s'est présenté inopinément, averti du fait divers par un article de presse. Dans cet homme banal engoncé dans un veston étriqué, qu'il revêt et dévêt sans cesse, dont il triture les boutons, avec son cartable vieilli d'expérience, on perçoit une obscurité, qu'il cache avec une efficacité mitigée derrière le phrasé impeccable du français, la douceur et la courtoisie sans faille de son comportement envers les élèves, les collègues, la direction. Un homme douloureusement seul, qui parle en aparté de son passé algérien, des deuils qui ont semé sa route d'exil. Fatima, les enfants, Saïd ? Bashir, attentif et prévenant envers ses jeunes élèves, se refuse à toute compromission avec la sensiblerie du contexte et la bien-pensance de l'institution et propose un cheminement pédagogique qu'on qualifierait de vieillot, en bousculant tout le monde par la simplicité sans hypocrisie de ses questions.
Autour de l'élément scénique central de ce puzzle, le pupitre et sa chaise, s'élabore une chorégraphie rectangulaire, sous-tendue et rythmée par la pureté charnelle d'une sonate pour violoncelle de Jean-Sébastien Bach, dans la tension entre ombre et lumière, entre halos des souvenirs et obscurité des ruminations angoissées de Bashir, qui se voit bientôt rattrapé par sa franchise à la fois pudique et sans filtre.
Sur l'inévitable filigrane de l'histoire troublée des migrations politiques, des préjugés, des méfiances contre cet inclassable qui dérange par ses initiatives, se dessine le portrait d'un homme pur et plein d'amour, pétri de justice, qui a su désarmer bénéfiquement les enfants à défaut des adultes.
Nous, public en témoins attentifs et attendris, nous sommes les élèves déconcertés mais progressivement conquis par cet étrange maître qui ne laisse rien paraître de son propre drame.
Même proscrit, Bashir Lazhar s'éloignera la tête haute, parce que les graines de vérités qu'il a semées resteront vivaces.
Thomas Drelon est bouleversant et sincère, sans larmoiement ni raideur. Un funambulisme très réussi entre implicite, suggéré, et donné-à-voir.
Un très beau moment de réflexion, plein de tendresse et d'humour, sur le deuil et ce qui autorise à le dépasser sans l'affadir. « Un tableau noir sur lequel on écrit et qu'on efface ». Encore et encore. Mais les mémoires impossibles à enfouir tiennent-elles seulement à un bâton de craie ? A. D. Théâtre Le Lucernaire 6e.


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