HORS LA LOI. Texte et mise en scène Pauline Bureau. Avec Martine Chevallier, Coraly Zahonero, Alexandre Pavloff, Françoise Gillard, Laurent Natrella, Danièle Lebrun, Claire de la Rüe du Can, Sarah Brannens, Bertrand de Roffignac.
Depuis toujours, elles avortaient en secret, prenant le risque de mourir plutôt que d’affronter la honte et la mise au ban de la société. Depuis la loi de 1920, quelque deux cent cinquante mille d’entre elles passèrent de vie à trépas dans l’indifférence générale. Jusqu’au jour où, pour échapper à la prison pour vol, un scélérat préféra dénoncer la jeune fille de 15 ans qu’il avait violée. L’avortement clandestin était, pour les deux inspecteurs qui prirent sa déposition, bien plus croustillant qu’un vol de voiture. Le voyou recouvra la liberté et c’est la jeune fille qui passa devant la justice.
Elle s’appelait Marie-Claire Chevalier. À soixante ans, elle évoque la terreur qui ne l’a jamais quittée, tapie à l’intérieur d’elle-même. Elle remémore l’adolescente qu’elle était en 1971, dans la tourmente de cet avortement qu’elle requit en pleine conscience. Elle ne voulait pas de cet enfant. Sa mère, mère célibataire, ne voulait pas non plus que sa fille vive ce qu’elle avait vécu. Une course contre la montre s’engagea alors, la solidarité féminine se mit en route et une « faiseuse d’anges » exécuta l’acte, heureusement sans conséquence dramatique pour l’adolescente.
Un très grand mal pour un très grand bien ? Gisèle Halimi en tête, les femmes s’emparèrent de l’histoire de Marie-Claire, descendirent dans la rue et, avec l’appui de quelques citoyens sensés, ouvrirent la voie à la loi Veil.
Pauline Bureau a conçu la pièce en deux parties, de la funeste rencontre de Marie-Claire avec son violeur aux derniers mots de la célèbre plaidoirie de Gisèle Halimi.
La première plonge au cœur du logis de Michèle Chevalier, cette employée à la RATP qui élève seule ses deux filles. Elle est lente la descente aux enfers brillamment restituée par Martine Chevallier, Marie-Claire à 60 ans, Coraly Zahonero, la mère, Claire de la Rüe du Can, Marie-Claire à 16 ans et Sarah Brannens, Martine, la petite sœur. Les événements, comme les sentiments disséqués, donnent la juste mesure de la lourde décision, de l’attente insupportable, de la douleur et du sang, de toute l’angoisse mêlée à la détermination que vivent durant des semaines la mère et sa fille, aidées par une voisine bienveillante et des relations discrètes. Le décor et la dramaturgie sont particulièrement efficaces.
À l’émotion palpable de cette séquence, succède celle glaciale du commissariat et du tribunal de Bobigny où prévenue et complices doivent répondre de leur acte. Pauline Bureau laisse alors la place à l’aspect juridique de l’affaire, à l’Association Choisir, au Manifeste des 343 femmes, aux témoignages de Simone de Beauvoir, Delphine Seyrig, Michel Rocard et du Professeur Monod, sans oublier celui bouleversant de cette ouvrière de 18 ans, reléguée dans un foyer sordide pour « filles-mères » pour avoir gardé l’enfant.
Ensemble, ils firent fléchir la justice et permirent la genèse d’une loi. Les 2h10 de cette représentation passent comme un souffle. M-P.P. Comédie-Française - Théâtre du Vieux-Colombier 6e.