L’HEUREUX STRATAGÈME de Marivaux. Mise en scène Emmanuel Daumas avec la troupe de la Comédie-Française Éric Génovèse, Jérôme Pouly, Julie Sicard, Loïc Corbery, Nicolas Lormeau, Jennifer Decker, Laurent Lafitte, Claîre de La Rüe du Can.
Parce que la Comtesse considère que la fidélité est une hypocrisie, elle décide d’éprouver l’amour de Dorante, trop constant à son goût, en feignant de lui être infidèle. Ce Don Juan en jupon va révolutionner son entourage, faisant fi des dommages collatéraux qu’elle entraîne. Le Chevalier Damis papillonne autour d’elle, elle lui déploie tout son charme, au grand désespoir de Dorante et au fort dépit de la Marquise, jusqu’alors courtisée par le Chevalier. Le chagrin d’Arlequin et de Lisette, les domestiques de Dorante et de la Comtesse, n’est pas moindre. Très amoureux, ils s’apprêtaient à convoler.
Mais fine mouche, la Marquise ne croit pas un instant au revirement amoureux de la Comtesse. Elle a compris sa manœuvre et réfléchit à la prendre à son propre jeu. Le stratagème qu’elle imagine nécessite la complicité de Dorante qui, après de multiples tergiversations, finit par lui accorder sa confiance. Il s’agit de laisser accroire leur amour et leur décision de se marier.
Blaise, paysan de son état et père de Lisette, voyant le mariage de sa fille compromis, est fou furieux. Lisette, quant à elle, endoctrinée par sa maîtresse, se rallie à ses idées et se laisse courtiser par Frontin, valet du chevalier. Arlequin exprime sa douleur à l’idée de la perdre. Dorante passe par toutes les angoisses du cœur, la Marquise persévère tandis que la Comtesse persiste.
Le stratagème sera heureux mais il faudra du temps à certains cœurs blessés pour surmonter l’épreuve.
Les costumes contemporains, les actes ponctués par des intermèdes musicaux dans la langue de Shakespeare soulignent la modernité de cette pièce et les qualités de psychologue de son auteur. Ses œuvres, incomprises en son temps, passaient pour futiles. Elles avaient simplement deux siècles d’avance.
La dynamique des sentiments est illustrée par des dialogues irrésistibles dont s’emparent les comédiens du Français avec leur ineffable talent. Totalement pris par les péripéties, le public installé des deux côtés de la scène, s’amuse des accès de désespoir d’Arlequin, rit de la colère de Blaise exprimée dans un jargon très parlant. Il compatit à la détresse de Dorante, suit avec attention le plan de la Marquise, est éberlué par le discours de la Comtesse. Il se tord de rire lorsque le Chevalier, dans sa langue de gascon, tente vainement de comprendre les revirements de chacun, ne sachant plus très bien pour qui bat son cœur.
Cette mise en scène bi frontale permet ainsi à l’assistance d’être au plus près de l’action même si certaines répliques lui échappent. M-P.P. Comédie-Française - Vieux-Colombier 6e.