GELI. Texte de Diastème. Mise en scène de l’auteur. Avec Frédéric Andrau et Aliénor de la Gorce.
Elle se dresse en halo au cœur de l'obscurité, blafarde et douloureuse dans le récit de sa mort inacceptable de si jeune fille. Par petites touches, elle révèle sa trouble parenté avec son «demi-oncle», ses amours contrariées avec le chauffeur de celui-ci, son innocence bafouée par l'entourage. S'est-elle suicidée ? A-t-elle été assassinée? Sur ce filigrane s'ébauchent lentement la figure de cet oncle monstrueux, Adolf Hitler, dont elle est la nièce, Angela Maria Raubal, dite Geli, morte à 23 ans en 1931, ainsi que les circonstances historiques qui ont entaché de violences multiples l'entre-deux guerres.
Dans ce paysage de brutalité familiale et politique, la naïve Geli a payé au prix le plus fort son amour tissé de fascination malsaine, ses dons pour la musique.
Assis à sa table d'écriture, émerge alors de l'obscurité un écrivain actuel qui a entrepris de ressusciter cette figure historique méconnue, en lui apportant les précisions historiques qui manquaient à sa cohérence biographique. Millions de morts, barbarie déchaînée dans le sillage du monstre.
Le fantôme de la jeune fille, avec la joie de son âge sacrifié, tourbillonne autour de l'homme vieillissant, sans se départir d'une interrogation angoissée sur sa potentielle culpabilité dans le cours de l'Histoire. Et si elle n'avait pas disparu du paysage mental et affectif d'Adolf, ouvrant ainsi le champ de son inhumanité définitive...?
La confrontation entre l'auteur et sa créature, au-delà de la mort et de leurs douleurs intimes en miroir, d'aveu en confidence, va les révéler à eux-mêmes. Levant le voile des circonstances ambiguës de la mort de Geli, le « re-créateur » de la jeune fille trouve sa propre vérité, formule enfin ses manquements amoureux, entrevoit l'espoir de reconquête de celle qui l'a déserté.
Dans le clair-obscur du huis-clos théâtral, dont l'atmosphère aurait pu sembler mortifère, le choc des anachronismes s'illumine au contraire de la franchise espiègle de la jeune fille qui, enfin rendue à la mémoire, ébranle sainement les sentiments enfouis de son auteur, le contraint à la lucidité, l'arrache à une errance de malédiction.
Frédéric Andrau et Aliénor de la Gorce, par leur jeu sobre et complice, impriment une tendresse subtile dans cette méditation sur les relations entretissées entre le créateur et sa fiction. A D. Manufacture des Abbesses 18e.