FLAMMES DE SCIENCE - EXIL INTÉRIEUR

Article publié dans la Lettre n°558 du 23 novembre 2022


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FLAMMES DE SCIENCE - EXIL INTÉRIEUR. Texte de Elisabeth Bouchaud. Mise en scène Marie Steen. Avec Elisabeth Bouchaud, Benoit Di Marco, Imer Kuttlovci.
La Première Guerre mondiale n’est pas tout à fait terminée lorsque le chimiste Otto Hahn rejoint Lise Meitner, sa collègue physicienne, à l’Institut Kaiser-Wilhelm de Berlin. Il s’est absenté plusieurs mois pour participer à l’élaboration du gaz moutarde, bien plus ravageur que le gaz français. Lise lui en fait le reproche, épouvantée par les conséquences mortifères de cette nouvelle invention pour la vie humaine. Durant l’absence de son collègue, la jeune femme a poursuivi leurs recherches qui aboutissent à la découverte d’un nouvel élément radioactif, le protactinium. En 1918, un brillant avenir s’ouvre devant les deux chercheurs. Mais lorsque se profilent 1933 et la montée en puissance d’Hitler, le physicien Otto Frisch, neveu de Lise, la presse de quitter l’Allemagne ce qu’elle refuse. Née à Vienne dans une famille juive mais convertie au protestantisme, elle ne se sent pas en danger. En 1938, suite à l’invasion de l’Autriche par l’Allemagne, sa situation devient intenable. Considérant que «  la juiverie met l’institut en danger », son directeur utilise Otto comme intermédiaire pour la renvoyer, ce que fait le chimiste sans trop de scrupules. Avec l’aide de deux savants hollandais, Lise s’enfuit, la mort dans l’âme, sans papiers, au risque de se faire arrêter et déporter, le passeport autrichien n’ayant plus aucune valeur. Elle laisse derrière elle toute sa vie et échoue à Stockholm où elle n’a « pas d’étudiants, pas de laboratoire, pas non plus de statut ». Otto et Lise se rencontrent à Copenhague. Ils discutent des expériences mises en œuvre ensemble à Berlin et elle les rapporte aussi à son neveu Otto qui suggère de nommer « fission nucléaire » les résultats des expériences de Berlin.
Otto Hahn et Lise Meitner publieront séparément leurs résultats. Otto Hahn se verra décerner le prix Nobel de chimie en 1944. Lise Meitner, autrefois surnommée « la Marie Curie allemande » par Einstein, recevra seulement un sobriquet sous forme de phrase, celui de « mère juive de la bombe atomique », celle qui a trouvé l’outil permettant d’accélérer la fin de la Seconde Guerre mondiale. Elle supportera difficilement cette association mais son amertume cédera la place au pardon : « nous vivons dans un monde où les hommes s’entre-tuent et où les femmes pardonnent » constatera-t-elle avant de décéder en Angleterre en 1968.
Physicienne de formation, Elisabeth Bouchaud met en lumière, sous forme d’un diptyque, deux femmes scientifiques dont les travaux furent « récupérés » par leurs collègues masculins. Les aléas de leur vie professionnelle permettent de comprendre l’éternelle mise à l’écart qui a frappé et frappe encore les « savantes » à l’origine de découvertes dont elles sont systématiquement exclues. Ce premier volet concerne donc Lise Meitner, physicienne à l’origine de la découverte de la fission nucléaire.
Sur le plateau, un grand panneau de bois se prête à maintes transformations, devenant paillasse, table, wagon, frontières. Complété par un mobilier en acier sans âme, il montre avec efficacité l’exil subi par Lise, de passage d’un pays à l’autre, sans jamais se sentir chez elle, dans ses meubles. Mais le plus dur est l’exil intérieur, fait de solitude et d’impuissance.
Dans ce décor lourd et spartiate, Elisabeth Bouchaud se fond littéralement dans la figure humaniste de la scientifique qui a toujours suivi ses principes, ceux de voir ses découvertes ne servir que pour le bien de l’humanité, ayant refusé catégoriquement de travailler sur une application militaire de la fission nucléaire. Benoit Di Marco endosse avec talent le rôle d’Otto Hahn, complice d’une organisation sociale bien définie. Imer Kuttlovci joue brillamment celui du fidèle neveu. Elisabeth Bouchaud constate simplement les faits sans porter de jugement. Mais si aujourd’hui les hommes continuent de s’entre-tuer, les femmes, elles, ne consentent plus à pardonner. M-P P. Théâtre La Reine Blanche 18e.


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