FARCES ET NOUVELLES DE TCHEKHOV

Article publié dans la Lettre n°583 du 6 décembre 2023


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FARCES ET NOUVELLES DE TCHEKHOV. Mise en scène Pierre Pradinas. Avec Quentin Baillot, Louis Benmokhtar, Romain Bertrand, Aurélien Chaussade, Laure Descamps, Maloue Fourdrinier, Maude Gentien, Philippe Rebbot, Prune Ventura.
Cinq pièces courtes de Tchekhov mettent aux prises des personnages contrastés, dans un univers délirant de désespérance et de claustration, que le minimalisme des décors et accessoires met d'autant plus en valeur. Le regard porté est ambigu, entaché de condescendance voire de mépris envers leur veulerie, leur pusillanimité, leur grossièreté, leur incapacité à se défaire de leurs démons intérieurs, tout en ne résistant pas à une forme de pitié et même de tendresse pour chacun de ces individus qui sont foncièrement lucides sur leur propre incohérence, sans pouvoir néanmoins s'en départir.
Les méfaits du tabac. Un mari dégingandé et velléitaire soliloque entre joie factice et propos contradictoires. Son épouse, soi-disant aimée et surtout redoutée, est une virago assoiffée de gains, qui le surveille sans vergogne et fait payer cher sa lâcheté à ce raté de la vie. Traité en homme à tout faire, il se voit contraint à des prestations de conférencier devant un public hypothétique. Les méfaits du tabac ? Le spectateur risque d'en être pour ses frais...
Philippe Rebbot est attendrissant et hilarant dans le rôle du clown triste.
L'ours. Recluse volontaire dans son riche domaine et dans la vodka immodérée, une veuve éplorée se voit brutalement ramenée à la réalité par un individu, grossier et agressif, qui a forcé sa porte. Une histoire de dettes impayées par le défunt rend à la jeune veuve une vigueur perdue et au créancier la virulence de sa misogynie. L'insupportable fermier exige le remboursement immédiat et menace de s'incruster, elle le prend de haut sans parvenir à chasser l'importun. Duel évoqué, pistolets en attente. Des insultes fusent, on en vient aux mains, puis au rapprochement subreptice, puis... Devant le valet effaré... Ah, la passion...
Quentin Baillot fait merveille en ours mal léché foudroyé par l'inattendu, aux prises avec Maloue Fourdrinier, hautaine et si fragile dans ses contradictions.
La mort d'un fonctionnaire. Un général et son épouse assistent à un opéra. Les mimiques de leurs visages illustrent les évolutions chorégraphiques. Assis derrière eux, un spectateur, très myope, éternue et les postillons éclaboussent la veste du général. L'un se confond en excuses que l'autre accepte avec indifférence. Fin de l'incident. Oui, mais ! L'éternueur poursuit sa victime d'une flagornerie à la mesure d'une culpabilité servile de petit fonctionnaire, qui le mènera à la dernière extrémité.
Une très courte scène, qui dit tout de l'absurde hiérarchisation dans cette Russie de fin de XIXe siècle.
Une demande en mariage. Un jeune voisin vient faire sa demande en mariage. Enchanté, le père va quérir sa fille. Elle ne demanderait que cela si... S'il n'y avait pas cette querelle ancestrale à propos d'une petite pâture limitrophe de leurs deux domaines. Le ton monte, les coups pleuvent. Rupture des négociations. Mais chacun, chacune a intérêt à cette alliance. On ravale les insultes et la flagornerie reprend. Oui, mais il y a aussi les deux chiens... Un affrontement désopilant entre le soupirant hypocondriaque et la virulente promise, et le père en arbitre peu lénifiant. La vie conjugale à venir promet bien des éclats !
Romain Bertrand, Laure Descamps et Philippe Rebbot déchaînent des vagues de rire.
Un drame. Un auteur à succès se voit assiégé par une écrivaine qui sollicite son avis sur le drame en cinq actes qu'elle a commis. Il se résigne à en écouter le début... qui se transforme en une effroyable torture physique et mentale. Elle est survoltée, il perd conscience. La chute est pour le moins inattendue.
Quentin Baillot et Laure Descamps sont irrésistibles de mimes et de drôlerie devant Romain Bertrand qui renonce à maîtriser une telle houle de folie jubilatoire.
Ces cinq moments de théâtre, en deux séances, sont un vrai régal de cruauté sarcastique et témoignent du sourire plein d'une acuité mêlée de tendresse que Tchekhov porte sur les travers des gens de son temps.
A savourer sans attendre. A D. Théâtre du Lucernaire 6e.


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