L’ÉVEIL DU PRINTEMPS
Tragédie enfantine

Article publié dans la Lettre n° 453
du 25 avril 2018


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L’ÉVEIL DU PRINTEMPS. Tragédie enfantine de Frank Wedekind. Mise en scène Clément Hervieu-Léger. Traduction François Regnault. Scénographie Richard Peduzzi avec 23 comédiens dont Michel Favory, Cécile Brune, Éric Génovèse, Alain Lenglet, Clotilde de Bayser, Christian Gonon, Julie Sicard, Serge Bagdassarian, Bakary Sangaré, Nicolas Lormeau, Georgia Scalliet, Sébastien Pouderoux, Christophe Montenez, Rebecca Marder, Pauline Clément, Julien Frison, Gaël Kamilindi, Jean Chevalier.
N’est-ce pas paradoxal ? Le jour de ses quatorze ans, Wendla croit encore que ce sont les cigognes qui apportent les bébés quand sa mère lui propose de remiser enfin sa robe d’enfant qu’elle refuse d’abandonner, pour revêtir celle d’une jeune fille. Ses camarades n’en savent pas davantage qui pouffent entre elles à la vue d’une bande de garçons, élevés eux-aussi dans l’ignorance du sexe opposé. Moritz ne sait rien de la reproduction. Faible de caractère et mauvais élève de surcroît, son ami Melchior l’a pris sous son aile. Il lui promet de lui passer en cachette un précis qu’il a écrit sur ce sujet tabou. Ces enfants sont élevés dans les règles strictes d’une éducation dispensée par la société puritaine du XIXe siècle qui ne les prépare en rien aux changements physiques et psychologiques que la puberté est en train d’opérer sur eux. Seule la mère de Melchior a élevé son fils sans interdit, le mettant seulement en garde lorsqu’elle le voit lire Faust : « À ta place, j’aurais attendu une ou deux années mais…fais ce que tu sens ». Ce qui devait arriver survient. L’écrit de Melchior est découvert. Il signifie son renvoi de son établissement scolaire et son placement dans une maison de correction. Il passe ainsi de la liberté surveillée d’un lieu qui l’a condamné, à un enfermement où la cohabitation avec ses compagnons d’infortune lui renvoie sa propre déchéance.
Moritz est dorénavant seul. Il s’en veut d’être passé à côté des sollicitations non équivoques d’Ilse, il s’en veut de ses mauvais résultats scolaires. Décevoir ses parents lui est insupportable. Pour lui, le suicide est la seule échappatoire. Sa mort amène quelques commentaires, celui réitéré de son père : « le petit n’était pas de moi » et cet autre du corps enseignant : « Comment peut-on se conduire si lâchement ? De toute façon, nous n’aurions pas pu le faire passer dans la classe supérieure, il aurait été sur le carreau » ! 
Après avoir voulu jouer au jeu dangereux de se mettre dans la peau de sa camarade fouettée par ses parents, Wendla, quant à elle, se laisse séduire par ignorance. Enceinte, elle meurt des offices d’une faiseuse d’anges.
Trois heures, quarante personnages, « L’Éveil du printemps » est une pièce monumentale qui mérite d’être représentée « dans son jus », sans coupe, ni adaptation et avec tous les rôles, même si le premier acte est un peu pesant. Psychanalyste avant l’heure, Frank Wedekind (1864-1918) aborde tous les tabous dans cette œuvre qualifiée à l’époque d’« insensée cochonnerie » : masochisme, auto-érotisme, masturbation collective, homosexualité, avortement, suicide. Il établit un état des lieux glaçant du difficile passage de l’enfance à l’âge adulte vécu par des adolescents qui vivent dans une sorte de carcan, celui rassurant du collège ou du foyer et celui plus angoissant du monde extérieur, la forêt, entre autres, lieu de tous les dangers et des tragédies. Le décor mobile est à cet égard très judicieux. Cet éveil à la vie d’adulte, trois d’entre eux le vivent mal car l’ignorance les torture et les empêche d’envisager sereinement leur vie future. La soif de savoir les conduit à leur perte. Cette lutte frontale entre vivre ou y renoncer, seul Melchior, peut-être mieux armé par une éducation maternelle plus éclairée, la gagne en se laissant conduire vers son destin.
Une pièce pleine de vie et de fureur mise en scène et interprétée avec une formidable acuité. Une mention particulière pour ceux qui jouent les rôles des enfants. M-P.P. Comédie-Française Salle Richelieu 1er.


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