ENFANCE. De Nathalie Sarraute. Mise en scène Tristan Le Doze. Avec Marie-Madeleine Burguet et Anne Plumet.
Tout est contraste, balancement, conflit, alternance, dans l'enfance racontée de Nathalie Sarraute. Dérive inconfortable entre la Russie maternelle et le Paris du père, entre deux langues, sensation de malaise qu'éprouve cette petite fille qui ne trouve sa place nulle part au milieu de ces parents qui semblent jouer avec elle comme avec un punching ball de leur propre conflit. Aime-t-elle sa mère, tout en s'émerveillant de la poupée «qui est plus belle que toi, Maman» ? Son père a-t-il vraiment envie de la recevoir chez lui, dans sa vie désormais centrée sur Véra, quand la mère vogue vers de nouvelles amours avec Kolia ? Une mère froide et distante, un père trop pudique pour exprimer sa tendresse. Ce funambulisme qui lui est imposé pèse lourd sur la conscience de l'enfant, qui n'a que ses sensations et ses souvenirs à opposer à un tel tangage. Conscience et surtout mauvaise conscience de ne pas ressentir d'élans vers sa mère tout en trouvant en Véra une tendresse plus rassurante, tout en appréciant davantage le gentil Kolia.
Pour exprimer ce long cheminement vers une identité difficile à élaborer, Nathalie Sarraute choisit le dialogue entre elle et ses souvenirs sous le regard sans concession d'une mère qui «dit» la réalité. C'est par le goût et le pouvoir des mots, dont elle traque minutieusement la précision, qu'elle trouvera une forme d'équilibre moins instable, une lucidité constitutive de sa personnalité en gestation.
L'espace scénique manifeste cette dualité, vide de tout artifice matériel, entre lumière diffuse et ombre habitée par le dialogue de deux femmes, l'enfant et la mère en surplomb, revêtues du même tissu en variation de vêtements. Elles se renvoient des images précises de l'enfance, assorties du commentaire, lui aussi multiple, de l'enfant qui parle par ses mots et ses sensations enfantines, de celui de l'adulte qu'elle est devenue, de celui de la mère qui la pousse dans les retranchements de sa mémoire.
Dans ce clair-obscur, qui pourrait être déroutant, Marie-Madeleine Burguet et Anne Plumet déroulent leur évidente complicité et la diversité chatoyante de leur interprétation, et donnent au spectateur l'envie de leur dire «encore!». À ne surtout pas manquer. A D. Théâtre de Poche Montparnasse 6e.