ÉLYSÉE de Hervé Bentégeat. Mise en scène Jean-Claude Idée. Avec Christophe Barbier, Adrien Melin, Emmanuel Dechartre, Alexandra Ansidei.
8 janvier 1996. Le moment est paradoxalement difficile pour Jacques Chirac lorsqu’il annonce, dans une brève allocution, le décès de François Mitterrand. À ce moment-là, une question le taraude. Il la pose à Philippe Dechartre, gaulliste de gauche puis député UDR, plusieurs fois secrétaire d’état, résistant et ami de François Mitterrand depuis la Seconde Guerre Mondiale : « Pourquoi m’a-t-il poussé à me présenter une troisième fois ? ». La réponse fuse : « Pour faire la nique à Jospin » !
Si à cette époque, Jacques Chirac a une idée précise de la culture et de la redoutable intelligence de son adversaire de toujours, il semble ne pas avoir tout à fait mesuré les forces qui ont fait de lui quelqu’un d’imprévisible, forces qui l’ont maintenu si longtemps au sommet : l’opportunisme, la dissimulation, le mensonge, et l’inclination à la trahison. Il lui avait pourtant confié en 1981 : « la trahison en politique, cela n’existe pas puisqu’on n’a pas d’amis ».
Jacques Chirac remémore alors la passation de pouvoir en mai 1995. François Mitterrand lui avait résumé l’avantage d’être le Président de la République : la fierté de représenter la France, la satisfaction de prendre une décision contraire à l’opposition et la réalisation de quelque chose d’utile à long terme. Le président sortant lui avait également brossé un tableau lucide du pouvoir : le choix essentiel de ceux qui l’entourent, la conviction que tout se joue à l’échelle mondiale et que ce sera de plus en plus vrai. Pour le reste, aucune illusion à se faire, le président est détesté, voire haï, et ne résiste à aucune catastrophe.
Le ton de la pièce est donné au rythme des retours en arrière. Mai 1995 puis août 1994 lorsque François Mitterrand vient le rencontrer secrètement à la Mairie de Paris pour le pousser à se présenter. Face aux doutes de Philippe Dechartre sur les chances du Maire de Paris d’être élu, il avait rétorqué : « La chance, cela se provoque ». Viennent ensuite l’entrevue organisée suite au débat entre les deux tours le 28 avril 1988, puis celle, stupéfiante, du 30 avril 1981, à l’issue du premier tour. Tous ces moments marquent combien la décision de l’électeur ne lui appartient pas tout à fait. Le locataire de l’Élysée est certes élu au suffrage universel mais derrière cette élection se nichent maintes tractations secrètes. Et puis, comme François Mitterrand l’avait lui-même constaté, le désistement de dernière minute d’un candidat, l’arrivée totalement inattendue d’un autre, presqu’inconnu, une épidémie, tout cela influence…
À l’Élysée, à la mairie de Paris ou au domicile de Philippe Dechartre, le spectateur attentif découvre, mi-amusé mi-surpris, une histoire vraie qui dévoile les arcanes du pouvoir. Les trois comédiens sont d’une indéniable authenticité. Alexandra Ansidei, quant à elle, tient à ravir le rôle d’une employée de maison très courtisée par deux impénitents coureurs de jupons ! M-P P. Petit Montparnasse 14e.