DEUX MAINS, LA LIBERTÉ de Antoine Nouel avec la participation de Frank Baugin. Mise en scène Antoine Nouel. Avec Éric Aubrahn, Philippe Bozo, Antoine Nouel.
«Entrez, cela fait quarante ans que je vous attends». C’est avec ces mots sibyllins que le Dr Kô, un lama tibétain, accueille Felix Kersten. Estonien de naissance, naturalisé finlandais, hollandais par sa mère, allemand par son père, il est médecin de formation mais ses mains possèdent un don pour les massages profonds. Le lama en avait connaissance. Il espérait sa venue afin de lui transmettre son savoir et regagner sa terre. Chose faite, la réputation du «bon docteur» court comme une traînée de poudre jusqu’aux oreilles du Reichsführer-SS, affecté par de fortes crampes d’estomac. Felix Kersten accepte de le rencontrer et, miracle, dès le premier massage, les douleurs disparaissent provisoirement. L’homme n’est autre que Heinrich Himmler et sa reconnaissance est immense : «Je ne sais pas comment vous remercier». «Vous me paierez d’une autre manière» s’entend-il répondre. En effet, le médecin est bien décidé à monnayer ses soins contre la liberté de milliers de prisonniers. À chacune des séances, il lui remet une liste de noms de plus en plus longue. Himmler signe les libérations accordées même s’il en diminue le nombre et Brandt, son secrétaire personnel, se charge de relayer l’ordre, mais sans tenir compte de cette restriction.
Les faits sont authentiques. Entre 1939 et 1945, les quelque 200 séances prodiguées par Félix Kersten ont sauvé 100.000 personnes dont 60.000 juifs, nombre retenu par l’histoire mais il semble qu’il soit bien plus important. À la fin du conflit, «le bon docteur» parvient même à convaincre Himmler de ne pas exécuter l’ordre d’Hitler de détruire tous les camps de concentration et leurs occupants ainsi que la ville de La Haye.
Une expérience personnelle et deux récits «La Liste de Kersten» de François Kersaudy et «Les Mains du miracle» de Joseph Kessel ont inspiré Antoine Nouel. Sur scène, le décor est d’un tel réalisme, le jeu des trois comédiens d’un tel naturel que l’on assiste à leur conversation comme s’il s’agissait des véritables protagonistes, l’un dévoué corps et âme à ses semblables, l’autre âme damnée du Führer, le troisième œuvrant dans l’ombre.
Felix Kersten mourut en 1960 d’une crise cardiaque à 61 ans, au moment de recevoir la légion d’honneur des mains de Charles de Gaulle. La pièce d’Antoine Nouel éclaire son combat de la plus belle des manières. M-P P. Studio Hébertot 17e.