DÉJEUNER CHEZ WITTGENSTEIN

Article publié dans la Lettre n° 472
du 6 février 2019


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DÉJEUNER CHEZ WITTGENSTEIN de Thomas Bernhard. Traduction Michel Nebenzahl. Mise en scène Agathe Alexis. Avec Yveline Hamon, Anne Le Guernec, Hervé Van Der Meulen.
La salle à manger viennoise d’une famille bourgeoise. Dene, l’aînée, met la dernière main à la préparation de la table. Elle est heureuse de la venue de son frère Ludwig même si celui-ci, interné dans un hôpital psychiatrique, n’a qu’une permission de sortie. Ritter, sa sœur cadette, est contre cette sortie. Elle ironise sur le nombre de ces visites ratées et sur le cérémonial domestique désuet de sa sœur pour un frère qui les détestent.
A table, entourés des portraits des anciens, les retrouvailles sont éclaboussées par les frustrations qui ont jalonné leur enfance, les espoirs de réussite déçus pour Ludwig mais surtout sa haine envers une famille qu’il rejette. Rien n’a bougé dans la maison alors qu’il aurait voulu ne rien retrouver, et ces portraits qui le fixent lui sont insupportables. Dene, toute à l’affection qui la lie à son frère, fait l’impossible pour le gâter et lui être agréable. Sa prodigalité affective ne trouvant pas d’écho, elle l’étouffe de nourritures plus terrestres. Son frère et sa sœur la raillent, mais on la sent au-dessus de ces sarcasmes qui, pourtant, l’attristent. Ritter, s’amuse, jette de l’huile sur le feu ou bien s’évade avec un verre de vin, deux pas de danse ou quelques notes au piano. Ludwig vitupère, crache son dégout, fustige la famille, pilier de l’éducation, la médecine qu’il subit mais aussi l’art, le théâtre et le mécénat.  Le repas, étouffant, à l’aune des profiteroles qu’il avale telle une oie que l’on gave, est un désastre.
Thomas Bernhard mêle dans cette pièce autobiographie et fiction. La famille est la métaphore de l’Autriche telle que l’auteur la voit, avec sa lâcheté et ses mensonges, mais elle est aussi la représentation d’une société bourgeoise figée dans des principes obsolètes qu’il abhorre.
Bien dirigés par Agathe Alexis, les trois comédiens excellent dans l’art d’exprimer des opinions et sentiments où se télescopent l’amour et la haine, le génie philosophique et la folie. Yveline Hamon est formidable en sœur aînée qui a sacrifié sa vie à un frère qu’elle adule. Anne Le Guernec interprète avec talent le rôle de la cadette provocatrice, le verbe plein de dérision. Hervé Van Der Meulen impressionne en philosophe éminent qui raisonne jusqu’à la folie, alternant force et vulnérabilité dans de fulgurantes diatribes. Ensemble, ils servent particulièrement bien les obsessions de l’auteur formulées dans un style remarquable. M-P.P. Théâtre de Poche Montparnasse 6e.


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