DANS LES FORÊTS DE SIBÉRIE d’après Sylvain Tesson. Mise en scène et interprétation William Mesguich.
Il a quitté la ville, ses bruits, ses paroles incessantes, l’hystérie de ses rythmes. L’attendent le silence, la solitude, le froid glacial, la survie à la seule force des bras et de la volonté. De cette expérience qui va durer quelques mois, Sylvain Tesson a tiré un journal d’ermitage, dont William Mesguich s’empare pour le donner à voir et à ressentir dans la saveur des émotions brutes, des sensations jusque-là ignorées. Comment s’approprier au quotidien neuf mètres carrés de vie dépouillée de tout artifice, de toute cette bimbeloterie qui parasite la vie urbaine à la course-poursuite du temps ? Comment survivre mentalement et physiquement dans un espace plutôt hostile, où rien ne vient distraire la méditation, la songerie, le face-à-face avec soi-même ? Il s’est fortifié de livres, ceux qu’il n’est jamais parvenu jusque- là à lire en entier, et de vodka, celle qui a accompagné ses ivresses. « La cabane, cellule de grisement. » Oui, en se grisant aussi de neige, de glace, de froid arctique. Seule une mésange quotidienne procure les joies de la convivialité, avec quelques incursions de voisins, les plus proches à plusieurs heures de marche. Dans ce qui pourrait tourner à la déréliction et à la désespérance de la rupture amoureuse, émerge un vrai regard sur ce qui fonde la liberté et le rapport au temps, dans les joies primordiales du bois à couper, du saucisson partagé, du corps à entretenir, de la chaleur à préserver quand les conditions atmosphériques sont drastiques. Robinson Crusoë à la sauce sibérienne, dont on cherche à prouver la beauté existentielle. Seuls la discipline et les rythmes qu’on s’impose sauveront l’ermite par la paix ainsi procurée, parce que « l’ermitage resserre les ambitions aux proportions du possible. » Entre les considérations triviales sur la vie ordinaire et l’extrapolation conceptuelle, s’élabore une philosophie de la simplicité, entre léger cynisme et humour salvateur. Chaque journée permet de survivre à la nuit, de « gagner un petit surcroît d’existence ». Le texte de Sylvain Tesson est extrêmement attachant, William Mesguich en compose un spectacle d’une profonde humanité et d’une sagesse revigorante, par son jeu sobre, sans forcer le trait, sans fioriture ni caricature. Il nous convie dans son isba chaleureuse comme le bois dont elle est construite, ses livres ouvrent leurs pages, la vodka invite à la griserie. Le recul amusé, l’humour sont là, en clin d’œil de légèreté. Une véritable leçon de vie. A.D. Théâtre de la Huchette 5e.