CERTAINES N’AVAIENT JAMAIS VU LA MER

Article publié dans la Lettre n°580 du 25 octobre 2023


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CERTAINES N’AVAIENT JAMAIS VU LA MER d’après le roman éponyme de Julie Otsuka. Traduction Carine Chichereau. Adaptation et mise en scène Béatrice Vincent, Sandrine Briard, Delphine Augereau. Scénographie et costumes Sophie Piégelin. Avec Sandrine Briard, Béatrice Vincent.
Sur la scène dépouillée, une valise à la main, Sandrine Briard et Béatrice Vincent se lancent un regard de connivence, prêtes à dévoiler un fait réel, exhumé de l’oubli par Julie Otsuka: Entre 1908 et 1924, un nombre nourri de jeunes japonaises, issues de toutes les régions du pays, embarquèrent à bord d’un bateau pour une traversée de trois semaines vers San Francisco. « Certaines n’avaient jamais vu la mer » et certaines n’avaient pas treize ans. Une photo et la promesse d’un riche mariage les avaient décidées à épouser par procuration des prétendants émigrés avant elles. Une photo et le rêve de l’Amérique. Mais pour ces Picture Brides, la réalité fut tout autre une fois débarquées. À la vision d’un homme bien plus âgé que sur les photos et à la nuit de noces brutale succédèrent, non pas la villa et la voiture miroitées, mais les rudes journées de travail itinérantes des cueilleurs et les nuits à même le sol dans les granges.
La mise en scène délicate laisse toute sa place au récit. L’une des valises devient couchette puis table, l’autre contient les trésors du passé et les objets du présent. Sandrine Briard et Béatrice Vincent ne sont que deux pour clamer l’impatience, l’espoir puis la désillusion, les peines et les humiliations éprouvées par toutes ces jeunes femmes. Mais elles s’expriment à la première personne du pluriel, un « nous » qui les rassemble toutes, chacune poursuivant le récit commencé par l’autre car bientôt viennent les nombreuses naissances aux accouchements précaires, l’éducation des enfants qui grandissent, oublient la langue, se donnent d’autres noms et finissent par les rejeter. Et puis survient la guerre et, avec elle, la disparition inexpliquée des maris, leur propre départ pour une destination inconnue, le silence et l’oubli.
Grâce à une belle adaptation du roman, Sandrine Briard et Béatrice Vincent sont les révélatrices des visages effacés de toutes ces « invisibles ». Elles lèvent brillamment la pierre qui a enfoui leur histoire. M-P P. Théâtre Essaïon 4e.


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