LA CERISAIE d’Anton Tchékhov. Mise en scène Nicolas Liautard et Magalie Nadaud avec Thierry Bosc, Sarah Brannens, Jean-Yves Broustal, Emilien Diard-Detœuf, Jade Fortineau, Nanou Garcia, Emel Hollocou, Marc Jeancourt, Fabrice Pierre, Simon Rembado, Célia Rosich, Christophe Battarel ou Paul-Henri Harang ou Nicolas Roncerel.
La Cerisaie pourrait être, et n’être que, « tellement russe », nimbée de nostalgie et de langueur slaves. Et pourtant, elle continue à fasciner tous les publics, sans que les multiples explications qu’on en tenterait comblent le champ des possibles. Réflexion sur le servage si mal aboli ? sur la méchanceté indifférente, pourrait-on dire, des nantis à l’encontre des fils de moujiks ? sur l’inconséquence et la légèreté des nobles ruinés ? sur l’incapacité à déclarer simplement l’amour ? sur les pique-assiettes et autres parasites ? sur l’irresponsabilité des idéologues éternels étudiants ? sur les maladroits « 22 malheurs » ? sur la transparence des serviteurs qu’on oublie comme un meuble ? La liste serait encore longue des strates de cette fresque souriante et cruelle, qui suscite par excès successifs l’émotion, l’indulgence et l’exaspération.
Lioubov, femme dépensière et inconséquente, revient dans la maison familiale, où elle est accueillie avec force embrassades. Fidèle serviteur, fille aînée anxieuse, frère incorrigiblement bavard, « Petit Moujik », et les autres servants sont impatients de son retour et glissent dans son sillage. Les dettes se sont accumulées et la propriété ancestrale est vouée à une vente aux enchères. L’échéance proche de ce déchirement est source de tristesse, mais n’interdit pas de faire la fête. L’inconséquence se transportera ailleurs, avec les dommages collatéraux qu’elle causera. La fille aînée sera laissée pour compte, le frère érodera sans succès sa paresse dans un emploi sans avenir, le valet fidèle s’éteindra sur place, comme les armoires désertées. Le moujik enrichi sonnera le glas de la cerisaie et du domaine désormais morcelé.
Nul héros, Tchékhov ne fait à personne le cadeau de sa pitié ou de son respect, il « se contente » de brosser un tableau en farandole d’une douzaine de personnages entre rires et pleurs, indignations et colères, banalité et excès. Sans transitions entre chaque sentiment et son explosion.
La mise en scène donne à voir ce dénuement essentiel sur un plateau presque vide, habité de quelques vestiges de la splendeur passée, meubles et lustres cristallins. Silence et vide du début, la noria des comédiens y virevolte, plaisanteries et méchancetés y volettent, avant le retour au silence en clair-obscur de la fin. Bulles de champagne et de rires, bulle d’une société close qui se referme sur son échec sans appel, comme les borborygmes de Firs. A.D. Théâtre de la Tempête-Cartoucherie de Vincennes, 12e.