LE CAS SNEIJDER d’après le roman de Jean-Paul Dubois. Adaptation et mise en scène Didier Bezace avec Pierre Arditi, Didier Bezace, Sylvie Debrun, Morgane Fourcault, Thierry Gibault et le chien Fox.
« Ce n’est pas le doute, c’est la certitude qui rend fou ». Paul Sneijder a tracé cette phrase de Nietzsche en blanc sur le noir des murs, poussé lui-même à passer du doute à la certitude. Il cherche à comprendre pourquoi le 4 janvier 2011, il fut le seul survivant de l’accident d’ascenseur, cet « engin rudimentaire déguisé en bolide ascensionnel » qui coûta la vie aux quatre autres personnes montées avec lui, dont sa fille. Il devrait être mort et pourtant il est là, bien vivant, à contempler les calculs et les schémas qu’il a écrits et dessinés. Lorsqu’il s’est réveillé d’une longue nuit de vingt-trois jours, à la question : « où est ma fille ? », le neurologue, à son chevet, lui a répondu : « votre fille n’est plus ». Marie, sa fille unique et chérie née d’un premier mariage que sa seconde femme, Anna Keller, a résolument écartée de la vie de leurs jumeaux, de vrais « Keller » comme elle, matérialistes et sans cœur. « Je pense qu’il serait temps pour toi de revenir dans une vie normale, de retrouver ton travail, d’arrêter de te prendre en pitié et d’oublier ce qui est arrivé. Tu n’es quand même pas le seul à avoir eu un accident ». Ces deux phrases prononcées par Anna trahissent sa cruauté, son égoïsme et son mépris pour un époux qu’elle trompe depuis deux ans. « Il serait temps » pour qui ? Pour Paul ou pour elle humiliée par un conjoint qui ne se comporte plus comme avant, qui, loin de reprendre le poste de releveur de compteurs qu’elle lui a trouvé, se fait embaucher comme promeneur de chiens pour prendre l’air ? À la question de l’avocat qui se présente chez lui, chargé de représenter les sociétés ascensoristes impliquées dans l’accident, et surpris par les schémas, il répond : « j’essaie de comprendre Monsieur Wagner-Leblond, comprendre l’origine du malheur ». Cette origine, il la trouvera. Mais son rêve de voyage et son intention de ne pas porter son affaire au tribunal, malgré le conseil soufflé par Charles Wagner-Leblanc, scellent son destin. Pourtant, si la phrase de Nietzsche confirme le diagnostique de ses proches, lui connaît son état. Son corps prisonnier attend, patient, mais sa pensée, libre et vagabonde, rejoint Marie dans un univers connu d’eux seuls.
Ce récit poignant, saupoudré d’humour et de dérision, se love dans l’espace scénique qui transporte savamment les personnages et les comédiens qui les incarnent dans les différents lieux. Pierre Arditi, Paul poignant, est l’homme qui parcourt ce chemin douloureux à la recherche de la vérité dont les seuls remparts contre la cruauté et le mépris sont Charlie, « un chien magnifique », joué par le chien Fox, super comédien, une fille merveilleuse, excellente Morgane Fourcault et un avocat en phase avec lui, interprété par Didier Bezace dont l’indéniable présence est l’apanage des grands comédiens. Sylvie Debrun, Anna, et Thierry Gibault, employeur insatiable et ingrat, sont également remarquables. M-P P. Théâtre de l’Atelier 18e.