LA CAMPAGNE

Article publié dans la Lettre n°561 du 11 janvier 2023


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LA CAMPAGNE de Martin Crimp. Traduction Philippe Djizan. Mise en scène Sylvain Maurice. Avec Isabelle Carré, Yannick Choirat, Manon Clavel.
Richard et sa femme Corinne ont quitté la ville pour s’installer à la campagne. Ils rêvaient, selon eux, d’une vie tranquille, près de la nature. Médecin de profession, Richard ramène un soir à la maison une jeune femme qu’il affirme ne pas connaître. Il aurait trouvé Rebecca inanimée sur le bas-côté de la route, sans même un sac à ses côtés… Les enfants dorment quand ils ne sont pas en garde chez une certaine Sophie et la sonnerie répétitive du téléphone se fait lancinante.
L’intrusion soudaine de la jeune femme dans la vie du couple questionne. Les dialogues sont menés à la façon d’un thriller avec des pistes qui intriguent et que Martin Crimp place peu à peu à la façon d’un puzzle et d’une partie d’échecs.
Il vient alors à l’esprit la phrase célèbre de toute enquête policière : « qu’est-ce qu’on a ?».
Une épouse amoureuse, sans doute, qui réclame un second baiser, un mari distant qui refuse de le lui donner, qui déclame tout à coup un poème de Virgile, esquive les questions, revient sur ses déclarations, assume avec vigueur la raison de la présence soudaine de Rebecca et reçoit des appels téléphoniques de plus en plus pressants d’un certain Morris qui l’oblige à quitter son domicile de toute urgence. Ses regrets seront trop tardifs : « j’aurais dû te laisser sur ce putain de chemin »…
Il y a certainement eu un avant chez ce couple qui a soudainement déserté la ville pour se réfugier à la campagne et Corinne l’a en mémoire. La vue des seringues dans le sac de Rebecca l’interpelle tout comme la réflexion qu’elle jette à son mari sur la mort d’un homme. Elle veut comprendre et suit sa logique : elle l’interroge sur la présence de la jeune femme : « Aurais-tu été aussi attentionné si cela avait été un homme, l’aurais-tu pris dans ta voiture ? ». Face à ce couple, Rebecca est une jeune femme moderne, libérée, lectrice de Virgile elle aussi. D’abord frissonnante et l’esprit troublé, elle évoque le souvenir d’une pierre étrange et glacée puis elle reprend pied. Face à cette femme au foyer, son ton devient condescendant et à la fin d’une passe d’armes, elle finit par assener : « Il est venu à la campagne pour être avec moi, à cause de cette envie d’être avec moi ».
Sur scène, le mobilier du salon se résume à une seule chaise et une table immense à laquelle personne ne s’invite. Le couple pensait se ressourcer en venant habiter à la campagne mais le passé l’a suivi et la maison l’isole. Au fond du plateau, le mur éclairé par une lumière d’un blanc éblouissant vire à l’orange lors du dénouement, deux mois plus tard, orange sanguine comme la paire de chaussures hors de prix offerte par Richard à sa femme, une femme qu’il regarde d’un autre œil. Mais Corinne s’est, elle aussi, assise sur cette pierre étrange et glacée et Isabelle Carré l’exprime magnifiquement. La boucle est bouclée, Martin Crimp la ferme avec maestria. M-P P. Théâtre du Rond-Point 8e.


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