BRASSEUR ET LES ENFANTS DU PARADIS. Texte et mise en scène Daniel Colas avec Alexandre Brasseur et Cléo Sénia.
Oui, un funambulisme de chaque instant, telles furent les circonstances des Enfants du paradis en gestation, au plus sombre de la France de 1943. Funambulisme entre rêves de tournage et réalités financières, entre la frilosité timorée de Marcel Carné, à l’égard des autorités et de la censure, et les audaces poétiques de Jacques Prévert. Difficile équilibre entre le quotidien sourdement menacé des artistes clandestins, Kosma, Trauner, et les utopies de liberté proclamée et de résistance avérée. Funambulisme sur le fil si ténu entre accommodement et collaboration. Parce qu’au centre de l’intrigue, il y a la somptueuse Arletty et ses amours avec le bel officier teuton… C’est à elle que Pierre Brasseur s’adresse métaphoriquement dans un long monologue dialogué. Ou plutôt à la ravissante jeune femme qui pose nue pour lui, dans son atelier de peintre. Quelques années après le moment précis de la gestation du film, Brasseur va évoquer cette étrange période où il s’élabora. En filigrane, les conditions du tournage entre Provence et Paris occupé et l’histoire d’une guerre, de ses proscrits et de ses combattants de l’ombre. En dialogues, les cabotinages rieurs et sans illusion, les rodomontades de don juan de Frédérick Lemaître-Brasseur et la gestuelle lunaire de Deburau alias Jean-Louis Barrault, les prises de bec de Carné et Prévert, les fausses naïvetés amoureuses d’Arletty et le prix à payer pour ses amours illicites. Les drames alternent avec les retards et les compromis, les rires de la convivialité parviennent par moments à tenir à distance tracas, drames et échéances. Mais le génie et les talents inouïs de ces grands faiseurs l’emporteront sur la pesanteur des circonstances.
Chien chasse de race, le petit-fils Alexandre est à la hauteur de son modèle, Pierre le grand-père. La ressemblance physique est saisissante, tout autant que le mimétisme gestuel et vocal. L’évocation tant historique que circonstanciée du film est illustrée, au sens le plus fort, par le passage des ciels en fond de scène, voûte étoilée, bleu limpide, nuages menaçants, qui déroulent une partition en harmonieuse résonance avec ce bel hommage.
Les funambules, tel était le titre initialement choisi pour le film mythique. Alexandre Brasseur accomplit son exercice d’équilibriste, entre rire et émotion, avec une maestria éloquente. L’apparence de la simplicité, l’évidence du talent… A.D. Théâtre du Petit Saint-Martin 10e.