LE BORD d’Edward Bond. Mise en scène Jérôme Hankins avec Françoise Gazio, Yves Gourvil, Hermès Landu.
L’homme s’effondre en titubant sur le pavé. Un jeune homme s’approche, tente de le ranimer, glisse la main vers son cœur pour s’assurer qu’il est encore en vie, avant de l’abandonner à son ivrognerie. Quelques instants plus tard, le jeune homme rentre chez lui, où il retrouve sa mère. Il est question de départ lointain, les propos tournent vite à l’aigre, la mère geint et récrimine, le fils hurle et s’en va. Le poivrot survient, bien vivant, et crie au vol de son portefeuille, la bouche pleine de rancœur, de fiel et de haine à l’encontre de cette jeunesse égoïste et sans respect. La mère défend son fils tout en proposant le dédommagement, le jeune clame son innocence, le vieux s’incruste. Est-ce un vrai clochard, un mystificateur ? Le couteau brandi assurera-t-il sa fonction meurtrière ?
Au centre de ce monologue à trois voix, tant les personnages sont murés dans l’incompréhension mutuelle, la question est moins celle du départ programmé ou du vol présumé que celle de la méfiance, de la solitude, de l’impossible cohabitation, jusqu’aux rives de l’incohérence et de la névrose.
Peu de meubles, quelques parois et des portes qui claquent, l’espace est oppressant par sa nudité même, à l’image des relations troubles et asphyxiantes, du lourd prix à payer pour se faire reconnaître et accepter, même et surtout par sa propre mère. L’étranger est burlesque et inquiétant, la mère égoïste et si esseulée, le fils peine à trouver sa place pour respirer. Le débit de leurs paroles, qui oscillent entre une syntaxe chahutée et un flot inextinguible, contribue lui aussi à cette impression d’un tissu déchiré. Les trois acteurs sont convaincants dans ce huis-clos, dont on sort perplexe et ébranlé, presque mal à l’aise.
Une fable théâtrale d’une actualité intemporelle. A.D. Théâtre de l’Épée de Bois - Cartoucherie de Vincennes, 12e.