APRÈS UNE SI LONGUE NUIT de Michèle Laurence. Mise en scène Laurent Natrella avec Maxime Bailleul, Olivier Dote Doevi, Slimane Kacioui, Elodie Menant.
Ils sont quatre en rang d’oignon dans la salle d’attente de l’hôpital où leur maman d’adoption est sur le point de mourir. Ils ne se sont pas vus depuis dix ans et les retrouvailles sont à la hauteur des sentiments mêlés qui les étreignent, face à la perte de leur dernier point d’ancrage.
Venus des quatre coins du monde, ils ont été adoptés ensemble par Jean et Manou qui les ont élevés en tâchant d’apaiser les souffrances définitivement inscrites dans leur mémoire tout en leur insufflant un souffle de paix. « Fais la paix avec toi-même et avec les autres » est l’ultime conseil murmuré à chacun par la mourante.
Sarah, la fillette juive, est longtemps restée muette après avoir recueilli le soulier ensanglanté de sa mère montée dans un bus avec toute sa famille juste avant qu’il n’explose. Emmanuel a renié sa religion catholique. Sa mémoire effacée après le génocide commis dans son village africain, il réapprend lui aussi à parler et a longtemps répondu au nom de Tekitoi, faute de se souvenir de son prénom et de sa date de naissance. Samir, le musulman, a vu sa maison s’écrouler sur les siens. Pierrot, lui, n’a pas de religion. Il a été retrouvé à côté des poubelles d’un hôpital parisien, abandonné là, à peine sorti du ventre maternel, par une immigrée peut-être bosniaque, d’après un témoin peu fiable.
Ils ont traversé l’enfance et l’adolescence avec leurs angoisses et leurs cauchemars, épaulés par ce couple attentif qui les a extraits tous ensemble des murs gris de la D.D.A.S.S pour leur redonner vie à coup de « mots qui allaient droit au cœur », les aider à renouer le cours d’une enfance fracassée et leur donner les moyens de devenir des adultes comme les autres. Durant cette nuit d’attente, suspendus au dernier souffle de Manou, ils se souviennent de leurs jeux, des anniversaires, des fous rires et des innombrables disputes, des fugues de Pierrot et de ses démêlés avec la justice. Aujourd’hui, Emmanuel est un athlète, Sarah est venue de New-York où elle s’est installée pour étudier et s’interdire d’aimer. Samir, lui, a souhaité sans succès retrouver des racines qui se sont atrophiées malgré lui. C’est Pierrot le rebelle redevenu « fréquentable » qui, après un acte responsable et généreux, va reformer le cocon détruit par les dix années de séparation. Après une si longue nuit, viennent enfin la résilience et l’espoir de construire ensemble un avenir.
En prenant comme personnages ces enfants d’origines et de confessions différentes dont le seul point commun est une guerre destructrice, Michèle Laurence dépeint avec lucidité le monde d’aujourd’hui secoué par les conflits dont les premières victimes sont des enfants. La sobriété de la mise en scène fait la part belle à l’union improbable de ces quatre rescapés dont les rôles sont brillamment tenus par les comédiens. M-P P. Festival d’Avignon-Théâtre du Roi René-Avignon.