Parcours en images de l'exposition

LE TROMPE-L’ŒIL
de 1520 à nos jours

avec des visuels mis à la disposition de la presse
et nos propres prises de vue

Parcours accompagnant l'article publié dans la Lettre n°608 du 15 janvier 2025


 

AVERTISSEMENT :
À part les céramiques, la Grive morte de Houdon et quelques pièces en fin d'exposition, toutes les oeuvres
sont des peintures sur toile ou des dessins. Tout est donc plat, même les tablettes et les cadres (sauf quelques exceptions)

 

 

Le musée Marmottan Monet célèbre son 90e anniversaire avec une exposition dédiée au trompe-l’œil de 1520 à nos jours, construite autour du fonds initial de Jules et Paul Marmottan. À partir du XVIe siècle, l’art du trompe-l'œil de chevalet obéit à des règles précises: le tableau doit s'intégrer à l'environnement dans lequel il est présenté, requérant ainsi une mise en scène tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'œuvre. Il exige également que la représentation du sujet soit figurée grandeur nature, dans son intégralité sans être entravée par le cadre. La signature de l'artiste, quant à elle, doit être dissimulée dans le tableau pour garantir l'illusion.

Au cours des siècles, le trompe-l'œil se diffuse grâce à des médiums divers et prend des formes différentes. Si certaines sont bien connues, comme les vanités, les trophées de chasse ou les porte-lettres, le parcours aborde d’autres thèmes dont les déclinaisons décoratives (mobilier et faïences) jusqu'aux versions modernes et contemporaines de ce genre. Sans vouloir être exhaustive, l'exposition propose un parcours varié et didactique où le trompe-l’œil constitue un clin d'œil aux pièges que nous tendent nos propres perceptions.

Affiche de l'exposition.

 
Texte du panneau didactique.
Scénographie
 
Cristoforo Munari (1667-1720). Trompe-l'oeil aux instruments du peintre et aux gravures, avant 1715. Huile sur toile, 90 x 77,5 cm. Paris, Collection Farida et Henri Seydoux. © Studio Christian Baraja SLB.

Installé à Florence de 1706 à 1715, au service de la cour de Ferdinand Ill de Médicis, Cristoforo Munari, se spécialise dans le genre de la nature morte. Trompe-l'œil aux instruments du peintre et aux gravures présente un format découpé dit chantourné: les gravures dans la partie supérieure, la palette dans le bas, ainsi que le bâton de peintre dépassent du rectangle initial du châssis. L'illusionnisme est ici exprimé par les gravures plaquées sur un battant de placard en bois, ainsi qu'une toile peinte sans châssis dont le paysage évoque l’art de Dughet.
 
Cornelis Norbertus Gijbrechts (vers 1610 - après 1675). Armoire en trompe-l'œil, 1665. Huile sur toile. Rouen, musée des Beaux-Arts, don Henri et Suzanne Baderou, 1975.

Nicolas de Largillière (1656-1746). Deux grappes de raisin, 1677. Huile sur panneau, 24,5 x 34,5 cm.
Paris, Fondation Custodia, Collection Frits Lugt. © Paris, Fondation Custodia.

Largillierre est l’un des portraitistes les plus admirés des XVIIe et XVIIIe siècles. De sa première formation, il conserve, tout au long de sa carrière, un goût affirmé pour la nature morte qu'il associe à certains de ses portraits. Plus rares sont ses peintures illusionnistes telles ses Deux Grappes de raisins, suspendues à même un mur, hommage à Zeuxis, peintre de l'Antiquité, célèbre pour avoir peint des raisins qui attirèrent des oiseaux qui tentèrent de les picorer, trompés par leur réalisme.
 
Anonyme, Allemagne du Nord. Armoire aux bouteilles et aux livres, vers 1520-1530. Huile sur bois, 106 x 81 cm. Colmar, musée Unterlinden. © Musée Unterlinden / Christian Kempf.

Ce tableau singulier donne à voir un placard feint dont l'une des deux portes est entrouverte. Dans la niche inférieure sont disposés des objets qui renvoient à la pratique de la médecine. Lors de son apparition dans le commerce d'art new-yorkais vers 1950, cette œuvre fut considérée comme l'incunable de la nature morte indépendante. Le tableau est avant tout un trompe-l'œil, placé dans un environnement dont nous n'avons plus la trace et côtoyant de véritables meubles. Il s'agissait de faire illusion en suscitant l'envie de vérifier la réalité de ce placard et des objets à grandeur qui s'y trouvent et ont l'air si «vrais».
 
Cornelis Norbertus Gijsbrechts (vers 1610 - après 1675). Trompe-l’œil, 1665. Huile sur toile, 59 x 56 cm. Paris, musée Marmottan Monet. © Musée Marmottan Monet / Studio Christian Baraja SLB.

Des lettres froissées, pliées, des gravures, un bâton de cire retenus par des rubans cloués à un panneau de bois sont disposés dans un désordre apparent mais savamment organisé. Le porte-lettres appelé également quodlibet est l’un des sujets privilégiés des artistes au XVIIe siècle, grâce auquel Gijsbrechts a été considéré, de son vivant, comme l'un des grands maîtres de cet âge d'or du trompe-l'œil, réputation qu’il l’a conduit à devenir le peintre officiel des rois de Danemark Frédéric III et Christian V entre 1668 et 1672. Cette facture et ces coloris chaleureux ont certainement amené Jules Marmottan à acquérir cette œuvre avant de la transmettre à son fils Paul.


1 - GENÈSE ET ÂGE D'OR DU TROMPE-L'ŒIL
Le XVIIe siècle

Scénographie

L’Antiquité définit la peinture comme mimêsis, le moyen privilégié d'imiter la nature. C’est précisément le défi que se lancèrent Zeuxis et Parrhasius: l'un ayant dupé des oiseaux par l’image de raisins et l'autre, son concurrent avec un rideau peint (Ve et IVe siècles avant J-C).

Si la période médiévale se préoccupe peu de ces jeux optiques, ils réapparaissent à la Renaissance. Les recherches sur la perspective amènent certains artistes à concevoir de véritables décors en trompe l'œil. À partir du début du XVIe siècle, la figuration illusionniste d'objets du quotidien séduit collectionneurs et amateurs. L'Armoire aux bouteilles et aux livres (musée d’Unterlinden, Colmar) constitue un exemple significatif de l'une des plus anciennes natures mortes en trompe l'œil connue.

Les Pays-Bas au XVIIe siècle voient l'apogée de ces recherches menées par les artistes. À travers la peinture à l'huile, la perspective, les effets de lumière, l'artiste rivalise avec la réalité. Flamand, Cornelis Norbert Gijsbrechts, peintre de la cour de Copenhague au service des rois Frédéric III puis Christian V, amateurs de cabinets de curiosité, conçoit pour eux des trompe-l'œil dont la virtuosité reste inégalée.

 
Texte du panneau didactique.
 
Jean-François de Le Motte (1635? - 1685?). Trompe-l’œil, 2e moitié du XVIIe siècle. Huile sur toile, 78,1 x 53,2 cm. Dijon, musée des Beaux-Arts, legs Chenagon-Gautrelet, 1957. © Musée des Beaux-Arts / photo François Jay.

L'artiste a été reçu maître peintre à l'Académie de Saint-Luc de Tournai en 1653. Dans cette même ville, il a ouvert son atelier où il forma de nombreux artistes. Sur ce panneau de bois, l'artiste offre au regard des œuvres d'art dont une marine, des lettres, un bas-relief en terre cuite, un buste de femme en plâtre, des lettres maintenues par un cordon et des outils de peintres, des pinceaux, une boîte métallique et une palette. La réunion de ces objets semble constituer un portrait matériel de son atelier et un portrait symbolique de l'artiste dont la signature est apposée sur la lettre repliée à proximité du bâton de cire.
Jean-François de le Motte (1635? - 1685?). Nature morte au trompe-l’œil, 1660. Huile sur toile. Collection Kugel.

Au vu du nombre d'œuvres du peintre connu à ce jour, cette Nature morte est considérée comme le plus grand format réalisé par l'artiste et l'une de ses plus importantes toiles. Sa singularité réside dans sa composition scindée en deux parties, l'une en pleine lumière et l’autre dans l'ombre. Fourmillant de détails et d'objets tel un véritable cabinet de curiosités, elle cristallise toutes les conditions faisant d’une nature morte un trompe-l'œil. La virtuosité dans son exécution traduit l'influence des écoles du Nord et notamment de Cornelis Norbertus Gijsbrechts que l'artiste a probablement rencontré en 1664.
 
Antonio Cioci (actif de 1750 à 1792). Nature morte en trompe l'œil avec un autoportrait,  vers 1771. Huile sur toile. Florence, Opificio delle Pietre Dure.

 
Franciscus Gijsbrechts (1649 - après 1676). Vanité, 2e moitié du XVIIe siècle. Huile sur toile. Rennes, musée des Beaux-Arts, acquis en 1871.

Cette vanité à échelle réelle est emblématique de l’œuvre de Gijsbechts, peintre anversois formé par son père au trompe-l'œil. La composition en cascade envahit l'espace du spectateur et dramatise l’accumulation d'objets autour d’un crâne. C’est là un symbole de l’insignifiance du luxe et des plaisirs fugaces de la vie face à la mort inéluctable. Le passage du temps y est symbolisé par un sablier alors que le parchemin sigillé ancre dans l'époque. Ce memento mori pourrait néanmoins porter un message d'espoir par la présence d’épis de blés, allusion à la résurrection autant qu'aux cycles naturels.


2 - DU TROPHÉE AU QUODLIBET
Du XVIIe siècle au XVIIIe siècle

Scénographie

Au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles, dans la production des natures mortes illusionnistes, les trophées et les quodlibet trouvent leur place dans les intérieurs aisés. Les trophées de chasse deviennent de véritables portraits de gibiers et volatiles faisant la fierté des maisons qui les commandent. Louis XV sollicite le pinceau de Jean-Baptiste Oudry, peintre du roi, pour immortaliser ses prouesses à la chasse à courre. L'artiste joint aux côtés des animaux un cartellino, petit papier froissé relatant l’histoire du trésor débusqué.

Le quodlibet (forme latine quod libet), qui peut se traduire par «ce qu'il vous plaît» met en scène un désordre savamment organisé. Traditionnellement, des rubans ou des lanières sont cloués sur des planches de sapin retenant des objets (lettres, besicles, œuvre d'art, etc.). Au-delà de la technicité de ces compositions permettant de lire les documents imités, les artistes pouvaient y dissimuler, tel un rébus, certains messages plus ou moins explicites selon son destinataire, que le spectateur se plaisait à reconstituer Ces quodlibet, avec l'éparpillement des papiers froissés et déchirés, renvoient le plus souvent à une pensée moralisatrice, celle de la vanité du savoir et du temps qui passe.

 
Texte du panneau didactique.
 
Jean Antoine Houdon (1741-1828). La Grive morte, vers 1775. Bas-relief en marbre. Collection particulière.

Le sculpteur Jean Antoine Houdon expose son Oiseau mort au Salon de 1775 et de 1777. Le volatile attaché est suspendu tel un trophée de chasse. Le rendu du duvet et des plumes d'une exécution remarquable, renforcé par la préciosité et la transparence du marbre, remportèrent un large succès au Salon dont l'auteur et critique Friedrich Melchior Grimm témoigne lorsqu'il découvre l'œuvre en 1775: «ce morceau est d'un effet prodigieux: plus on le voit de près, plus il fait illusion». Ce rendu virtuose permet à Houdon de rivaliser avec les meilleurs artistes animaliers de son temps comme Oudry.
Guillaume Dominique Doncre (1743-1820). Trompe-l'œil, 1785. Huile sur toile. Arras, musée des Beaux-Arts.

Constant Aimable Géry, juge au Tribunal d'Arras et membre de nombreuses sociétés savantes, a été l’un des premiers biographes de Doncre, en 1868. Dans son ouvrage, il souligne la multiplicité et la diversité de ses productions. Dans la liste qu'il établit, une seule œuvre, datée de 1785, qui était alors déjà conservée au musée d'Arras, est précisément décrite: le trompe-l'œil où il s'est peint lui-même, à proximité d'outils d'architectes, dans une imitation de gravure, avec ces mots: «Ego sum pictor».
 
Jean-Baptiste Oudry (1686-1755). Tête bizarre d'un cerf pris par le Roi dans la forêt de Compiègne le 3 juillet 1741, 1741
(ensemble et détail). Huile sur toile, 100 x 88 cm.
Paris, musée du Louvre, dépôt au musée national du château de Fontainebleau. © Grand Palais Rmn (Château de Fontainebleau) / Gérard Blot.

Louis XV s’adonnait avec passion à l’art de la chasse à courre. Jean-Baptiste Oudry, le peintre des chiens et des chasses du roi en témoigne à travers ses portraits de trophées appelés «tête bizarres» ou «massacres» qui représentent de manière naturaliste des bois de cerfs chassés accompagnés d'un cartel. Il en exécuta cinq entre 1741 et 1752. Jean-Jacques Bachelier a poursuivi cet ensemble après la mort d'Oudry. À la fois, trophée royal, leçon d'histoire naturelle, curiosité historique, cette toile constitue une véritable leçon de peinture où la virtuosité technique se mêle à la passion officielle et intime de Louis XV pour la vénerie.
Scénographie
 
Edwaert Collier (1642-1708). Trompe-l’œil, vers 1703. Huile sur toile. Leyde, musée de Lakenhal.

 
Guillaume Dominique Loncre (1743-1820). Trompe-l'œil aux putti: panneau au putto dessinant, milieu du XVIIIe siècle. Huile sur toile. Bourg-en-Bresse, musée du Monastère royal de Brou, don Miriam et Boris Milman.

Clouées sur des planches de bois, de petites toiles représentent l’une des angelots dessinant un buste en marbre au pied de colonnes antiques (d’après une composition peinte par François Boucher), l'autre des putti assoupis sur des tonneaux parmi des grappes de raisin (œuvre non exposée). L'oisiveté et l'ivresse s'opposent ainsi à l'étude et au savoir. Les cartes à jouer appartiennent à un jeu créé à Paris vers 1750. La lettre décachetée dévoile le nom de son destinataire: l'orfèvre Bert documenté à Dunkerque vers la fin du XVIIIe siècle pourrait ainsi être le commanditaire des deux pendants.
Scénographie
 
Gaspard Gresly (1712-1756). Portes de bibliothèque (librairie), recto et verso, vers 1750. Huiles sur toile marouflée.
Bourg-en-Bresse, musée du Monastère royal de Brou, don Miriam et Boris Milman.

Simulant les deux côtés d'une porte vitrée de bibliothèque, ces deux peintures constituent l'un des chefs-d'œuvre de Gresly, qui les a signées. Portant l'ancienne trace d'un trou de serrure, elles devaient être fixées sur un véritable abattant. L'idée de peindre de faux meubles ouverts sur un grand désordre remontait au XVIIe siècle, avec Gijsbrechts et Hoogstraeten. Mais Gresly l’adapta à une situation réelle, laissant entrevoir le monde d'un maître de danse. En effet, devant les livres aux belles reliures de cuir figurent un sablier et une «pochette bateau», servant à marquer le pas, ainsi que plusieurs partitions musicales.
 
École Française. Trompe-l'œil à la gravure d'après un autoportrait de Maurice Quentin de La Tour, 1742. Huile sur toile. Collection Kugel.

Déchirée et clouée au bois, une gravure reprenant le célèbre Autoportrait riant du pastelliste Maurice Quentin de La Tour se trouve reproduite ici de manière illusionniste. Ce trompe-œil joue des oppositions: la brutalité du bois contrastant avec la fragilité du papier, la gravure noire et blanche faisant face aux couleurs vives des cartes à jouer ou la perspective savante déployée dans l'estampe confrontée à la planéité de l'image accrochée. L'artiste interroge ainsi avec humour la matérialité d'une œuvre diffusée par des impressions multiples, réintégrée ici à une peinture unique, comme pour évoquer la vie propre des images après la création artistique.
 
Johann Caspar Füssli (1706-1782). Quodlibet avec portraits de contemporains et têtes anciennes, vers 1757. Huile sur toile. Suisse, Trogen, Kantonsbibliothek Appenzell Ausserrhoden.

 
Gaspard Gresly  (1712-1756). Trompe-l'œil à la gravure du Rieur, d'après Frans Hals, vers 1740. Huile sur toile. Besançon, musée des Beaux-Arts et d'Archéologie.

Scènes de genre ou trompe-l'œil, l'artiste à ses débuts, prend son inspiration dans le répertoire des écoles nordiques dont il trouve les exemples largement diffusés par le commerce florissant des estampes. Ce trompe-l'œil est inspiré par une gravure de Wallerant Vaillant (1623-1677), Deux enfants rieurs, d'après une toile de Frans Hals. Choisissant une interprétation plus libre, Gresly, ne représente qu'un seul des enfants. Le sens du sujet, inversé par rapport à l'original gravé de Vaillant, laisse supposer que le modèle utilisé par Gresly est une copie d’après l'œuvre de Vaillant (1).
1. Plusieurs exemples dans l'œuvre de Gresly, comme la gravure de Marinus, Le Toucher d'après Adrian Brower, dont Gresly utilise une fois l'original et deux fois la copie exécutée par le Franc-Comtois Pierre de Loisy.
 
Gaspard Cresly (1712-1756). Trompe-l'œil à l'almanach, aux gravures et à la bourse, 1739. Huile sur toile. Béziers, musée des Beaux-Arts.

Assez tôt dans la carrière de l'artiste, ce tableau aligne déjà les éléments familiers de son répertoire: suspendues sur un panneau de sapin brut aux vigoureuses nervures, deux gravures dont l’une est en partie dissimulée par l'Almanach du solitaire sur lequel figure la date, «1739». La seconde aux coins déchirées, est tirée des vues italiennes des Pérelle que Gresly va utiliser à de nombreuses reprises remplaçant la signature du graveur par la sienne. Un cachet de cire rouge aux armes incertaines l’oblitère partiellement. La bourse en soie aux chatoyants coloris apporte une note colorée et raffinée.
Scénographie
 
École française.
- Trompe-l'œil avec des instruments d'écriture, une estampe de Jacques Callot et des bésicles, vers 1780 - 1800.
- Trompe-l'œil avec des instruments d'écriture, une estampe de Jacques Callot et des ciseaux, vers 1780 - 1800.
Huiles sur toile. Waddesdon, famille Rothschild.

Ces deux compositions rappellent le principe traditionnel des porte-lettres des XVIIe et XVIIIe siècles de Jean François de Le Motte ou de Gaspard Gresly présentant une multitude d'objets, accrochés sur un panneau de bois. Ils renvoient aux cinq sens et semblent interroger ces mêmes sens qui nous trompent parfois. L'auteur semble ainsi inviter le spectateur à apprendre à regarder et à se méfier de l’illusion créée. Les cadres en trompe l’œil récemment découverts sous les cadres en bois lors de la restauration de ces œuvres participent pleinement à ce questionnement.
 
Gaspard Gresly (1712-1756). Trompe-l'œil à la gravure de Bouchardon au verre brisé, après 1738. Huile sur toile. Besançon, musée des Beaux-Arts et d'Archéologie.

Repoussant les limites du leurre en simulant l'apparence d'une gravure encadrée dont le verre est brisé en plusieurs morceaux, ce trompe-l'œil présente la planche II du Premier Livre de diverses figures d'académies dessinées d'après le naturel par Edme Bouchardon, gravées par Pierre Aveline, publié en 1738 (1). Ce petit tableau, d'une évidente qualité plastique, ravive la question d'un séjour parisien de l'artiste et de son éventuelle rencontre avec le cercle des amateurs éclairés évoluant autour du Comte de Caylus (2).
1. Premier Livre de diverses figures d'académies dessinées d'après le Naturel par Edme Bouchardon sculpteur du Roy, à Paris, chez Huquier rue St. Jacques au coin de la rue des mathurins. Avec Privil, du Roy, 1738.
2. Relaté dès 1780 par Dom Grappin, premier biographe de Gresly, ce voyage à Paris semble attesté par des rapprochements d'indices de lieu et de date figurant sur des trompe-l'œil récemment analysés.
 
Gaspard Gresly (1712-1756). Trompe-l'œil avec une gravure de Callot, après 1750. Huile sur toile. Bourg-en-Bresse, musée du Monastère royal de Brou, don Miriam et Boris Milman.

Spécialisé dans le trompe-l'œil, Gresly suit une recette immuable: sur un fond en bois noueux, il accroche divers objets ou papiers, recréant une réalité familière. Ici, l'estampe de Jacques Callot publiée vers 1622 fait allusion au spectateur qui se laisserait tromper par sa vue, car il s'agit de L'Aveugle et son compagnon. La carte à jouer est un valet de trèfle provenant d'un jeu allemand, rappelant les liens de la Franche-Comté avec l'Empire germanique, auquel elle avait appartenu jusqu'en 1678.


3 - ARCHITECTURE ET TROMPE-L'ŒIL

Scénographie

Les fouilles archéologiques sur le site d’Herculanum commencées en 1738 puis sur celui de Pompéi initiées à partir de 1748 contribuent à créer un véritable engouement pour tout ce qui a trait à l'antique. De ce goût nouveau naît le néoclassicisme qui se diffuse dans la mode et les arts. L'art de l'illusion se révèle notamment au travers des œuvres réalisées à des fins décoratives par Jacob de Wit et Piat Joseph Sauvage visant à l'imitation de bas-reliefs.

Ainsi au-delà de la peinture de chevalet, la peinture en trompe l'œil peut également se définir comme élément de décor architecturé, faisant partie intégrante des intérieurs d'une société aristocratique séduite. Le peintre Dominique Doncre, établi dès 1770, à Arras, où il effectue l'essentiel de sa carrière, est l'un des plus éminents spécialistes du décor en trompe l'œil et en grisaille. Paul Marmottan a collectionné les œuvres de cet artiste, comme celle du Musée des Beaux-Arts d'Arras exposées  ici. Au sein des prestigieux hôtels particuliers arrageois, ses angelots et ses enfants rythment les dessus-de-porte, les devants de cheminées et ses médaillons ornèrent les murs de ces demeures.

 
Texte du panneau didactique.
 
Attribué à Piat Joseph Sauvage (1744-1818). Napoléon Bonaparte, Premier consul, vers 1799 - 1804. Huile sur toile. Paris, musée Marmottan Monet, legs Paul Marmottan, 1932.

Originaire de Tournai, Sauvage s’est formé à l'atelier de Spaendonck à Anvers. Il s'installe à Paris en 1774 avant d'être reçu à l'Académie royale de peinture et de sculpture en 1783. Il se spécialise dans l'imitation en trompe l'œil de sculptures en bas-relief reproduisant de manière saisissante les effets de matière. Ce portrait rappelant les médaillons antiques, style alors en vogue, présente Napoléon Bonaparte en tant que Premier consul, fonction qu'il a occupé entre 1799 et 1804 avant de devenir empereur. Sa popularité est telle que d'autres versions de cette même œuvre ont été réalisées et sont aujourd'hui conservées au musée Carnavalet, à la Bibliothèque de l'Institut de France ou encore au château de Malmaison.
 
Augustin-Victor Pluyette (1820-1870). Trompe-l'œil au crucifix et au bas-relief, n.d. Huile sur toile. Saint-Cloud, département des Hauts-de-Seine / musée du Grand Siècle - donation Pierre Rosenberg.

Pluyette ne s'est pas intéressé à la peinture religieuse, c'est donc probablement plus le tour de force technique que le sujet de cette composition qui l'a motivé. Au-delà d'un rideau, le visiteur entrant dans une pièce découvre, sur sa droite et en raccourci, accrochés au mur, un grand crucifix de bois - identique à celui du Trompe-l’œil au crucifix en ivoire et en bois peint par Boilly, en 1812 - dans lequel est glissé une branche de buis et une Déploration du Christ, probablement de plâtre est accrochée à proximité.
 
Attribué à Guillaume Dominique Doncre (1743-1820). Deux Amours lisant, vers 1800. Huile sur bois. Saint-Omer, musée Sandelin.

Scénographie
 
Anne Vallayer-Coster (1744-1818). Trompe-l'œil aux putti jouant avec une panthère ou Le Printemps, 1776. Huile sur toile. Collection particulière.

Voir le cartel ci-dessous.
 
Jacob de Wit (1695-1754). Allégorie des quatre éléments en trompe l'œil de bas-relief, vers 1750. Huile sur toile. Collection Kugel.

Anne Valayer-Coster (1744-1818). Trompe-l'œil avec une faunesse et des putti, 1774. Huile sur toile. Collection particulière.

Anne Vallayer-Coster est la première femme à avoir été admise à l'Académie des beaux-arts en 1770 à l'âge de 26 ans et a été peintre à la cour de Marie-Antoinette. Célèbre pour ses portraits, elle l'est également pour ses natures mortes. Dans ces deux Trompe-l'œil en camaïeu de gris, sa technicité et sa virtuosité laisse voir sa pleine maîtrise de l’art de l'illusion feignant de peindre avec une touche rapide deux bas-reliefs antiques réalisés à des fins décoratives. Si le spectateur averti se doute que les bas-reliefs sont en fait une peinture, il se laisse prendre au piège des cadres feints.
 
Guillaume Dominique Doncre (1743-1820). Génies funèbres, 1783. Huile sur toile. Arras, musée des Beaux-Arts, don Paul Marmottan, 1932.

Dominique Doncre s'est formé à Saint-Omer puis à Anvers. Après avoir été reçu académicien, à Paris, le 19 août 1758, il est venu s'installer à Arras, vers 1770. Il y a été «admis à la bourgeoisie», en1772, année où il a exécuté un Christ pour la cathédrale. Dès l'année suivante, il apparaît comme «peintre de grisaille» et participe au décor de plusieurs hôtels particuliers arrageois. Ce panneau a probablement appartenu au décor aujourd'hui démembré de la chapelle d'une de ces résidences.
 
Jacob de Wit (1695-1764). Les Vestales, 1749. Huile sur toile. Montauban, Musée Ingres Bourdelle.

Cet élément de décor représente des vestales, prêtresses de Vesta, déesse du foyer, dans la Rome antique, au moment où elles allument le feu sacré de son temple. En marge de l'acte sacré, de Wit, lecteur de la Vie des hommes illustres de Plutarque, n'omet pas de faire figurer un médaillon sur l'autel, portrait d'homme de profil accompagné de la mention «Numa rex», honorant ainsi le fondateur du culte de Vesta. Signé et daté de 1749, ce tableau préfigure le néo-classicisme, grand amateur de décor feint.
Scénographie
 
Guillaume Dominique Doncre (1743-1820). Quatre Enfants jouant, 1803. Huile sur toile. Arras, musée des Beaux-Arts, dépôt à la Préfecture du Pas-de-Calais.

 
Guillaume Dominique Doncre (1743-1820). Quatre Enfants jouant avec un oiseau, 1803. Huile sur toile. Arras, musée des Beaux-Arts, dépôt à la Préfecture du Pas-de-Calais.



4 - Arts décoratifs
LA CÉRAMIQUE

Scénographie

Au XVIII siècle, la volonté de créer l'illusion s'étend à la production de la céramique au service d'objets utilitaires. Elle prend son origine dans la production des Della Robbia, une célèbre famille de sculpteurs en terre cuite émaillée et de leurs suiveurs pendant la Renaissance en Italie et évolue au cours des siècles suivants. Des thématiques inédites apparaissent au gré des nouvelles techniques dont celle de la porcelaine dure. Soupières en forme de choux, de salades, de courges, assiettes garnies de fruits et légumes ou terrines de forme animalière décorent les tables d’apparat aux côtés de plats plus traditionnels.

Entre les XVIIe et XVIIIe siècles, ce goût pour le trompe-l'œil en céramique s’autonomise et connaît un véritable succès à travers toute l'Europe grâce à des manufactures prestigieuses dont Meissen en Allemagne et celles de Sceaux ou encore de Niderviller en France. Au XIXe siècle, Avisseau fait redécouvrir les secrets du céramiste de la Renaissance, Bernard Palissy qui peupla ses plats d'animaux et insectes exécutés en relief. Avisseau fonde alors l'école de Tours et influence d'autres céramistes passionnés. La tradition du trompe-l’œil dans les arts décoratifs se renouvelle au XXe siècle avec des décors posés à la surface des objets à la manière d'une peinture illusionniste, technique utilisée par l'artiste Pierre Ducordeau et le designer milanais Piero Fornasetti.

 
Texte du panneau didactique.
 
Manufacture de Niderviller, Henri Kilian (actif en 1766). Cafetière, 1767. Faïence stannifère, décor de petit feu polychrome. Sèvres, manufacture et musée nationaux, achat Garrau, 1860.

 
Charles-Jean Avisseau (1795 - 1861). Bassin rustique, plat en trompe l'œil, vers 1853-1854. Faïence émaillée. Tours, musée des Beaux-Arts.

Surnommé le «Bernard Palissy de la Touraine», Charles-Jean Avisseau redécouvre les secrets de fabrication des terres cuites vernissées autour de 1843. Plus qu'un simple imitateur des «rustiques figulines» du maître du XVIe siècle, Avisseau crée des effets de trompe-l'œil aux airs de microcosme foisonnant et élargit la palette des émaux. Chez lui, l'effet esthétique prime sur le vérisme scientifique, situant ses œuvres entre le caprice néo-renaissance et le fantasme des théories de l’Évolution qui agitent le siècle.
 
Atelier parisien post-palisséen / suite de Bernard Palissy. Plat ovale à décor de rustiques figulines, 1ère moitié du XVIIe siècle. Terre cuite à glaçure plombifère. Paris, musée Gustave Moreau.

Géologue, chimiste et céramiste, Bernard Palissy (1510-1590) a marqué la Renaissance française avec ses poteries naturalistes. Inventeur des rustiques figulines, une technique de trompe-l'œil en terre cuite émaillée, il créait des marécages en relief à partir d'espèces naturelles moulées sur le vif. Ce plat, attribué aux ateliers parisiens post-palisséens du XVIIe siècle, est exposé dans l'atelier de Gustave Moreau. Il témoigne du goût des artistes romantiques et symbolistes pour ce type de décor durant la seconde moitié du XIXe siècle.
 
Léon Antoine Brard (1830 - 1902). Assiette de moules et une huître, 4e quart du XIXe siècle. Faïence émaillée à décor au naturel et en relief. Tours, musée des Beaux-Arts.

 
Manufacture de Tournai. Tasse et soucoupe, vers 1780-1790. Porcelaine tendre, décor de faux bois. Sèvres, manufacture et musée nationaux, legs marquis de Grollier, 1908.

Scénographie
 
Manufacture France ou Italie? Terrine en forme de melon et petite courge, vers 1750. Faïences stannifères, décor de petit feu polychrome. Lyon, musée des Beaux-Arts, don Joseph Gillet en 1885.

 
Attribué à la facture de Lunéville. Plateau de déjeuner,  vers 1780. Faïence stannifère, décor de petit feu polychrome. Sèvres, manufacture et musée nationaux, don Édouard Williamson, 2005.

 
Manufacture de Niderviller. Attrape avec une pyramide de mirabelles, vers 1760. Faïence stannifère, décor de petit feu polychrome. Paris, musée de Cluny - Musée national du Moyen-Âge, dépôt à Sèvres, manufacture et musée nationaux.

 
Manufacture Hannong, Strasbourg. Terrine en forme de laitue, 1750. Faïence stannifère, décor de petit feu polychrome. Paris, musée de Cluny - Musée nationale du Moyen-Âge, dépôt  à la manufacture et au musée nationaux, Sèvres.

Dès la seconde moitié du XVIIIe siècle, la Manufacture Hannong de Strasbourg produit et diffuse des pièces utilitaires, des terrines en trompe l'œil, des récipients conçus pour contenir des ragoûts. Cette manufacture s'inspire des productions allemandes et fait venir de talentueux artisans dont Johann Wilhelm Lanz et Johan Louis venus de Meissen, qui y élaborent des objets, à l'image de cette terrine en forme de laitue, qui témoigne du haut talent de technicité de ces artisans capables de recréer des formes complexes et les couleurs délicates de la matière végétale.
Lille, manufacture non identifiée. Série d'assiettes décoratives aux cartes à jouer, vers 1760 - 1770. Faïence.
Lille, Palais des Beaux-Arts, mode et date d'acquisition inconnus, avant 1869; ancienne collection Jules Houdoy.


L'idée de reproduire des cartes à jouer en trompe l'œil sur des faïences naît à Delft. La mode se diffuse ensuite en Europe, à l'instar de ces objets issus de productions européennes distinctes; ces assiettes ornées de cartes à jouer et ce plateau (ci-dessous) reproduisant le tableau de paiement du Boston - ancêtre du Bridge et proche du Whist, particulièrement apprécié au XIXe siècle - surprennent par l'aspect brillant de la céramique, matière plus noble que le carton dont ils sont généralement constitués. Faisant fusionner le temps du repas et celui du jeu en des objets curieux et raffinés, ils assurent un rôle utilitaire en plus d'amuser les convives.
 
Fabrique de M. M. Fischer et Reichenbach, Carlsbad, Bohème, Tchéquie. Plateau octogonal avec tableau de paiements du jeu de Boston, XIXe siècle. Porcelaine dure. Sèvres, manufacture et musée nationaux.

(Voir commentaire ci-dessus).
 
Manufacture de Niderviller. Comte Custine (1740 - 1793). Assiette, 1774. Faïence stannifère, décor de petit feu polychrome. Sèvres, manufacture et musée nationaux, don Le Carpentier, 1864.

 
Nicola-Joseph Richard (peintre et doreur à Sèvres, actif 1820-1872).
- Portrait peint de Louis-Rémy Robert, peint en camée, 1869.
- Portrait peint de Denis-Désiré Riocreux, peint en camée, 1869.
Porcelaine dure; montage dans un cerclage en métal doré formant un rang de perles et cadre en bois noirci mouluré. Sèvres, manufacture et musée nationaux.

Ces portraits sous forme de camées peints renvoient à une forme de décoration apparue à la manufacture dès la fin du XVIIIe siècle et qui participent au goût pour l'Antiquité. On les retrouve sous forme d'ornements de décor représentant des figures antiques sur des pièces de formes ou des pièces de services. Ils prennent également l'aspect, comme ici, de médaillons honorant des personnalités contemporaines saisies dans leurs apparences et leurs costumes d'hommes et de femmes du XIXe siècle.
 
Piero Fornasetti (1913 - 1988). Assiette ornementale, série «thème et variations» (Tema e Variaioni) n°002, 1952. Céramique. Milan, Triennale.

 
Pierre Ducordeau (1928 - 2018). L'Assiette ficelée, 2006. Céramique peinte. Paris, collection Ducordeau.



5 - ÉPANOUISSEMENT AU XVIIIe SIÈCLE
Peinture illusionniste

Scénographie

Au cours du XVIIIe siècle, période de l’âge d'or de la gravure en France, plusieurs artistes dont Gaspard Gresly, Étienne Moulineuf, Dominique Doncre et Louis Léopold Boilly s’attellent à peindre des éléments ou des compositions entières en grisaille. Ces peintures réalisées en camaïeux de gris deviennent alors des œuvres extrêmement abouties imitant les techniques de la gravure alors qu’au siècle précédent ces œuvres en grisaille sont le plus souvent préparatoires à un tableau ou à une estampe. Ces gravures feintes sont ainsi fixées sur une planche de sapin brut peinte en trompe l'œil. Les sujets représentés par ces artistes peuvent rendre hommage à des maîtres de l'histoire de l'art comme le peintre hollandais Frans Hals ou le graveur lorrain Jacques Callot. D’autres artistes, quant à eux, mettent à profit la maîtrise de cette technique pour souligner les traits de leurs modèles comme ceux de Madame Chenard par Boilly ou leur virtuosité. La toile de Moulineuf présentée dans cette section démontre l’habilité du verre cassé feint.

 
Texte du panneau didactique.
 
Franz Rösel von Rosenhof (1626-1700). Trompe-l’œil avec un singe capucin dans sa caisse, dit aussi Le Singe effronté, dernier quart du XVIIe siècle. Huile sur toile. Paris, collection Farida et Henri Seydoux.

Le caractère illusionniste de la caisse représentée par le peintre autrichien Rösel von Rosenhof, est renforcé par la découpe géométrique du support qui la projette dans l'espace et donne l'illusion d’un objet tridimensionnel. De la partie inférieure de la porte s'échappent des brins de paille et leurs ombres, tandis qu'au centre de la façade, projetée sur le fond sombre de l'intérieur de la caisse, apparaît la tête du singe ou sapajou capucin, réaliste, dans une ouverture qui la laisse à peine passer.
 
Charles Bouillon (actif à Paris vers 1704-1707).  Plis et objets en trompe-l’œil, 1704. Huile sur toile, 81,5 x 107,5 cm. Paris, collection particulière. © Studio Christian Baraja SLB.

La biographie de Charles Bouillon qui signe Bouillon Flammant reste très méconnue à l'exception de son séjour parisien entre 1704 et 1707. C'est au cours de cette période qu'il peint ce quodlibet présenté pour la première fois depuis des décennies dans une exposition. Il témoigne en ce début du XVIIIe siècle de l'intérêt constant que portèrent les artistes à cette thématique du porte-lettres. Pour sa réalisation, l'artiste s'est probablement inspiré des compositions à l'équilibre harmonieux des maîtres du genre, Cornelis Norbertus Gijsbrechts ou Jean François de Le Motte.
 
Jean Pillement (1728-1808). Trompe-l'œil avec ruban turquoise devant le paysage de la campagne portugaise, vers 1790. Huile sur toile, 37,5 x 54 cm. Paris, Collection Farida et Henri Seydoux. © Studio Christian Baraja SLB.

Dans l'œuvre de Pillement, ce trompe-l'œil fait figure d'exception. Un ruban paraissant pris sous la moulure du cadre pend par-dessus un paysage semblable à ceux que peignait l'artiste. Il rappelle ceux que Pillement dessina pour le Cahier de six nœuds de rubans paru en 1770, ainsi que ses liens avec les soyeux lyonnais. La virtuosité avec laquelle sont rendus les plis et les brillances du ruban démontrent les qualités de l'ornemaniste, tout en rappelant le caractère illusionniste de la peinture.
 
Jean Valette-Falgores dit Valette-Penot (1710-après 1777). Sainte Famille, vers 1770.  Huile sur toile. Montauban, Musée Ingres Bourdelle.

 
Jean Valette-Falgores dit Valette-Penot (1710-après 1777). Le Désordre de l'atelier, 1770. Huile sur toile. Collection particulière.

Scénographie
 
Louis Léopold Boilly (1761-1845). Trompe-l’œil aux pièces de monnaies, sur le plateau d’un guéridon, vers 1808-1815 (voir ci-dessus). Peinture à huile sur vélin et bois. Guéridon 76 cm de hauteur, plateau 48 x 60 cm. Lille, Palais des Beaux-Arts. © Photo : RmnGrandPalais (PBA, Lille) / Stéphane Maréchalle.

Boilly réinvente ici l'illusion picturale en déployant sa virtuosité sur le support horizontal d'un plateau de meuble. Ce guéridon de style Empire, pourrait avoir décoré le château de Saint-Cloud, résidence de Napoléon Ier, selon un document découvert dans un de ses tiroirs. La pièce à l'effigie de ce dernier serait alors peut-être un clin d'œil à l'illustre commanditaire de ce trompe-l'œil. L'efficacité de ce piège peint repose sur la composition sobre et la diversité des effets produits par des éléments anodins, tels qu'un morceau de verre brisé et une loupe, ou encore les gouttes de colle tombées par inadvertance sur le papier.
 
Louis Léopold Boilly (1761-1845). Un Trompe-l'œil, vers 1800-1805. Huile sur toile. Collection particulière.

Les trompe-l'œil constituent un pan majeur de l’œuvre de Boilly: dès 1789, il multiplie les peintures imitant des cadres encombrés de feuilles manuscrites et d'images, maintenues derrière un verre brisé qui donne l'illusion de la tridimensionnalité. L'artiste connaît un succès populaire avec des œuvres qui jouent du rendu illusionniste des matières autant que d'une mise en abyme de l'image en feignant diverses techniques picturales: des esquisses à l'huile jouxtent des dessins au fusain, à la sanguine, des gravures aquarellées … Ces éléments sont familiers du public avec qui Boilly établit une connivence.
 
Laurent Dabos (1761-1835). Trompe-l’œil, dit aussi Traité de paix définitif entre la France et l’Espagne, après 1801. Huile sur bois, 58,9 x 46,2 cm. Paris, musée Marmottan Monet. © Musée Marmottan Monet / Studio Christian Baraja SLB.

L'œuvre du musée Marmottan Monet, restaurée récemment offre à voir sous un verre feignant d’être brisé en plusieurs endroits des documents savamment éparpillés. Une gravure de paysage va même au-delà du cadre, créant ainsi grâce à son ombre l'effet d’une troisième dimension. À ce désordre organisé, Dabos joint une dimension politique grâce à la présence des portraits de Bonaparte, alors Premier consul et de Charles IV, roi d'Espagne, symboles de l'alliance entre la France et la monarchie absolue espagnole contre la Grande-Bretagne qui aboutira à la signature du traité d'Amiens le 25 mars 1802.
 
Louis Léopold Boilly (1761-1845). Trompe-l'œil: les Petits Soldats, grisaille à l'imitation de l'estampe, dit aussi Trois enfants de l’auteur faisant de l'exercice ou La Vocation militaire de l'enfance, 1809. Huile sur toile. Douai, musée de la Chartreuse.

Les Petits Soldats met en scène les trois fils du peintre, Julien, Édouard et Alphonse déguisés en soldats, et témoigne d’un genre particulier dans l'œuvre du peintre, consistant à reproduire - à l'identique - en grisaille «à l'imitation de l’'estampe», une précédente peinture polychrome (huile sur toile, 1809, Douai, musée de la Chartreuse). Ce type de transposition monochrome copie généralement la gravure au pointillé, une technique caractérisée par sa dimension plus picturale et ses tons riches, rendant ainsi la frontière entre peinture et gravure plus ténue.
 
Étienne Moulineuf (1706 - 1789). Trompe-l'œil au verre cassé d'après le Bénédicité de Jean Siméon Chardin (1699-1779), après 1744. Huile sur toile. Bourg-en-Bresse, musée du monastère royal de Brou, don Miriam et Boris Milman.

Étienne Moulineuf, co-fondateur de l'Académie de peinture et de sculpture de Marseille, est l'auteur de trompe-l'œil si réussis qu'il était soupçonné de coller des estampes au lieu de les reproduire au pinceau. Pour répondre à ses détracteurs, il réalisa un autoportrait. Ici, sous un verre cassé lui permettant de donner profondeur et véracité à sa peinture, il représente le célèbre Bénédicité peint par Jean-Siméon Chardin. Cette scène de prière récitée avant le repas nous plonge dans une intimité familière.
 
Louis Léopold Boilly (1761-1845). Trompe-l’œil: portrait de Madame Chenard, grisaille à l'imitation de l'estampe, 1813. Huile sur toile. Paris, musée Marmottan Monet, legs Paul Marmottan, 1932.

Lié par une forte amitié au Chanteur Simon Chenard, Louis Léopold Boilly peint plusieurs portraits de membres de sa famille, parmi lesquels celui de son épouse, Madame Chenard. Cette œuvre, restaurée à l’occasion de cette exposition, peinte en grisaille, c'est-à-dire dans un jeu de camaïeu gris donnant l'illusion du relief et de la sculpture, prend ici pour but d'imiter la gravure. La signature de l'artiste en bas à gauche «Boilly pinxit» (Boilly a peint) qui s'inscrit dans une longue tradition de la peinture occidentale, révèle le caractère feint de la technique simulée.
 
Scénographie.

 
Louis Léopold Boilly (1761-1845). Trompe-l'œil : Ah! Ça ira, grisaille à l'imitation de l'estampe, dit aussi Mère jouant avec ses enfants ou L'Oiseau chéri, vers 1789-1793. Huile sur toile. Saint-Omer, musée Sandelin.

 
Jean-Étienne Liotard (1702-1789). Trompe-l’œil au portrait de Marie-Thérèse d’Autriche, vers 1762-1763. Huile sur panneau, 36,2 x 43,4 cm. Paris, Sylvie Lhermite-King. © Paris, collection Sylvie Lhermite-King.

L'œuvre du Genevois atteste de sa rigueur d'observation, pour la ressemblance des sujets et des objets reproduits, ainsi que de son exigence à rendre atmosphères et textures. Marie-Thérèse d'Autriche (1717-1780) est un sujet récurrent du portraitiste. La demi-figure de l’impératrice émerge ici d’une boîte dont le couvercle a coulissé. L'artiste conjugue trompe-l'œil et nature morte pour servir sa quête: confondre représentation et réalité. Accentuant l'effet du leurre, le panneau de bois partiellement peint donne l'impression qu'un médaillon en bas-relief y a été cloué.
 
Louis Léopold Boilly (1761-1845). Trompe-l’oeil : une collection de dessins, vers 1801-1807. Huile sur toile, 52 x 62 cm. Paris, musée du Louvre. © Grand Palais Rmn (musée du Louvre) / Gérard Blot.

Outre un recours à des objets du quotidien du public, comme cette pièce de monnaie républicaine, Boilly crée des compositions peuplées de références à la culture visuelle. Dans ses trompe-l'œil se mêlent des fragments de ses propres œuvres: sont notamment reconnaissables ici des portraits du peintre François Swebach et du dramaturge Benoit Hoffmann représentés dans la Réunion d'artistes dans l'atelier d'Isabey (1798, Paris, musée du Louvre). Ces clins d'œil, tout comme la loupe agrandissant la signature de l'artiste, incitent le spectateur à voir Boilly en contemporain de son époque.
 
Jean Étienne Liotard (1702 - 1789). Jeune Femme à la lettre, vers 1746-1750. Crayon gras, mine de plomb et sanguine sur carton 3 plis, apprêt gypse ou craie, sous verre, écrin en cuir et velours. Genève, musée d'art et d'histoire de Genève, achat avec l’aide de la Confédération helvétique, 1948.

Entre hyperréalisme et illusion, il est question d'apparence, comme d'intimité: celle que le petit format favorise. Soulignant leur haute valeur affective, des écrins protègent parfois les miniatures, spécialement celles transportées avec soi. Ici se découvre une jeune femme accoudée auprès d'une missive décachetée. Le parfait équilibre de la figure centrée traduit la sérénité de la liseuse, soutenant le regard du témoin, passionné où indiscret, qui a ouvert l'étui.
 
Jean Étienne Liotard (1702-1789). Portrait d'un homme de qualité, vers 1750-1760. Graphite et sanguine sur papier marouflé sur carton teinté ocre, cadre-lunette en cuivre poli. Genève, musée d'art et d'histoire de Genève, achat, 1971.

Ce portrait en miniature illustre la dextérité de Jean Etienne Liotard à conjuguer le dépouillement de la composition et du choix chromatique à la minutie du rendu des détails, notamment des textures, pour servir la véracité de l'image, à l'imitation de la nature. L'artiste insiste dans son traité des principes et des règles de la peinture publié en1781: «les petits détails, quand ils sont bien imités, font un très grand plaisir». Aussi, la prestance d'un gentilhomme anonyme s’impose-t-elle sans être affaiblie par la palette de camaïeu de gris et de rose qui contribue à la sérénité de la figure.


6 - LE RENOUVEAU DU TROMPE-L'ŒIL
Le XIXe siècle aux États-Unis

Scénographie

Sous la Révolution française, le trompe-l'œil devient un support pictural à visée politique. Dès le Premier Empire, la peinture illusionniste gagne en popularité et connaît même un succès commercial grâce à des artistes comme Louis Léopold Boilly. Ce dernier intitule, pour la première fois l’une de ses œuvres Trompe-l'œil au Salon de 1800 et y fait sensation. Boilly fait du spectateur le complice de ses jeux esthétiques en convoquant avec dérision les codes traditionnels de l'illusion.

La pratique du trompe-l'œil connaît un renouveau aux États-Unis avec la dynastie de peintres philadelphiens autour de Charles Winston Peale dès la fin du XVIIIe siècle. Au siècle suivant, le peintre William Harnett, après une formation à Munich où il admire l’art des Pays-Bas du XVIIe siècle, revient à Philadelphie où il rencontre John Frederick Peto. Avec John Haberle, ils sont parfois assimilés à ce que l’on nomme commodément la «seconde École de Philadelphie». Ils réinterprètent de manière moderne cette tradition en utilisant des objets quotidiens et contemporains. Ce mouvement, resté méconnu en France, a largement influencé les peintres américains des générations suivantes qui s'intéressèrent de nouveau à ce genre.

 
Texte du panneau didactique.
 
Adolphe-Martial Potémont (1828-1883). Lettres d’Alsace et de Lorraine, s.d. Huile sur toile, 49,7 x 60,8 cm. Pau, musée des Beaux-Arts. © Pau, musée des Beaux-Arts.

Lettres et enveloppes, ont été souvent intégrées aux trompe-l'œil. Leur présence permet de révéler le nom du peintre ou du commanditaire, elles peuvent aussi fournir d'autres informations. Avec cette œuvre de Potémont, peinte au lendemain de la perte de l'Alsace-Lorraine, l’allusion est claire: les enveloppes déchirées, les lettres ouvertes qui ont laissé s'échapper des fleurs séchées, ne révèlent pas leurs destinataires mais les timbres et les cachets rendent compte de la douloureuse séparation, ferment d’une «revanche».
 
John Frederick Peto (1854-1907). Le Vieux Violon [The old Violin], vers 1890. Huile sur toile, 77,2 x 58,1 cm. Washington, National Gallery of Art, don de l’Avalon Foundation. © Washington, National Gallery of Art.

Longtemps confondue avec celle de William Harnett, l'œuvre de l'américain Peto ne fut redécouverte qu'à partir des années 1960 par l'historien de l'art de San Francisco, Alfred Frankenstein. Ce violon - qu'il a représenté à plusieurs reprises sous le titre The Old Cremona, évoquant son origine italienne et faisant probablement référence aux temps anciens de l'immigration -, a fait partie du premier corpus de vingt œuvres sur lequel se sont construits le catalogue et la réputation de son auteur.
 
John Haberle (1856-1933). Petite monnaie, 1887. Huile sur toile. Bentonville (Arkansas), Crystal Bridges Museum of American Art.

Sur une planche de bois, le peintre américain Haberle intervient de diverses manières. De haut en bas, il indique, à droite, son nom, la date de 1887 et la mention de New Haven au-dessus du dessin caricatural d’un personnage à l’allure dansante. Plus bas, apparaissent une pièce de monnaie tenue en place par trois clous à tête dorée, deux billets usagés de 10 et 25 cents aux portraits de William Meredith et de George Washington. En bas à droite, figurent encore une pièce de monnaie et un ultime clin d’œil du peintre, son portrait photographique.
Scénographie
 
John Frederick Peto (1854-1907). Pour la piste [For the Track], 1895. Huile sur toile, 110,5 x 75,9 cm. Washington, National Gallery of Art. Don de Jo Ann et Julian Ganz Jr en l’honneur d’Earl A. Powell III. © Washington, National Gallery of Art.

Dans cette œuvre tardive, Peto a réuni divers objets en rapport avec les courses équestres, adossés à un panneau de bois peint en vert foncé. Il s'agit probablement d'une porte dont les charnières apparaissent à gauche et introduisent, avec l'entrée de serrure, les seules courbes de la composition. La ferrure du bas, cassée, laisse apparaître l'unique touche claire qui s'oppose au fond sombre et aux éclats de couleur, le rouge de la casquette de jockey, le vert d’une affiche déchirée, ou le bleu d’un papier glissé dans la feuillure.
 
John Frederick Peto (1854-1907). Couteau Bowie, bugle à clés et gourde, années 1890. Huile sur toile. Chadds Ford, Brandywine Museum of Art, don Amanda K. Berls, 1980.

Sur une porte semblable à celle qui figurait déjà dans For the track, Peto a représenté la ferrure inférieure cassée, à gauche, introduisant une touche claire. Au centre de la composition, suspendus sur la porte, apparaît une superposition d’objets: poire à poudre, couteau à découper, bugle à clefs et gourde, appuyés, en partie haute, sur une gravure et un cahier à couverture bleue. Ces objets permettent d‘imaginer que le commanditaire de l’œuvre était un chasseur et peut-être le propriétaire de la maison évoquée par la gravure?
Touland (XIXe siècle). Trompe-l'œil aux assignats et cartes à jouer, XIXe siècle. Huile sur carton.
Collection particulière.



7 - LES TROMPE-L'ŒIL CONTEMPORAINS
Le groupe des peintres de la Réalité

Scénographie

À partir de 1911-1912, George Braque et Pablo Picasso posent la question du lien entre la peinture et le réel à travers le cubisme. L'ordonnance spatiale en une série de plans verticaux y est novatrice, et leur permet de mêler des jeux d'illusion et de matière comme le montre la Nature morte à la chaise cannée de Picasso (musée national Picasso-Paris). Le monde des objets va également intéresser les surréalistes qui en feront un support onirique. Pierre Roy, peintre membre du groupe surréaliste, développe une peinture en trompe l'œil et s'amuse à inverser l'échelle des objets du quotidien tel que le fait également René Magritte.

Un intérêt renouvelé pour le genre du trompe-l'œil apparaît chez les artistes et le public après-guerre. En 1960, au Salon Comparaisons, le groupe des peintres de la réalité créé par Henri Cadiou expose des trompe-l'œil. Jacques Poirier, Pierre Ducordeau et plus tard Pierre Gilou, fils de Cadiou, se rallient à l'artiste pour fonder le groupe Trompe-l'œil / Réalité. En 1993, ils exposent au Grand Palais lors de la manifestation sur «le Triomphe du trompe-l'œil» suscitant l'intérêt de milliers de visiteurs.

 
Texte du panneau didactique.
 
Ton de Laat (1946-2016). Paquet postal, 1986. Aquarelle sur papier, 39 x 30 cm. © Collection ING.

Héritier de la tradition de la peinture des Pays-Bas du XVIIe siècle, Ton de Laat réactualise le thème du porte-lettres ou des tables à dessus. La simulation du relief est obtenue par des jeux de contrastes colorés aux tons ocre et par la méticulosité apportée aux détails des objets qu'il représente. Les caractéristiques tactiles des documents - la rugosité des enveloppes en papier kraft, la souplesse du papier journal et la rigidité des cartes postales - démontrent sa parfaite maîtrise de la peinture illusionniste à l'aquarelle.
Pierre Roy (1880-1950). Papillon, 1933. Huile sur toile. Nantes, musée d'Arts, achat en 1967.

Voir les commentaires ci-dessous (La Terre).
 
Pierre Ducordeau (1928-2018). Tableau en déplacement, 1966. Huile sur toile, 64 x 56 cm. Paris, collection Ducordeau. © Collection particulière.

Pierre Ducordeau, décédé en 2018, a fait partie du groupe Trompe-l'œil / Réalité. Cette œuvre peinte en 1966 est certainement l’une de ses œuvres les plus célèbres. Entre un cadre en bois doré feint dépourvu de toute représentation et son passe-partout vert, il insère non sans humour un bon d'enlèvement informant que la toile a quitté son écrin pour rejoindre les cimaises de l'exposition des «Chefs-d’œuvre français» organisée à la National Gallery de Londres. Telle une mise en abyme, cet encadrement peut être considéré comme un autoportrait démontrant la virtuosité de Ducordeau.
 
Pierre Roy (1880-1950). La Terre, 1926. Huile sur toile. Nantes, musée d'Arts, achat en 2005.

Originaire de Nantes, Pierre Roy a fait partie du cercle surréaliste grâce à son amitié avec Giorgio De Chirico. Restant en marge du groupe, il poursuit ses activités d'illustrateur de livres, de décorateur de théâtre et ses recherches illusionnistes. Il fait preuve dans ces deux toiles (voir Papillon ci-dessus) d’une grande maîtrise technique présentant à la fois des objets manufacturés et des spécimens naturels, tels que la carapace de tortue, métaphore du monde, rassemblés dans des cadres feints et créant ainsi de véritables cabinets de curiosités en relief.
Scénographie
 
Henri Cadiou (1906-1989). La Déchirure, 1981. Huile sur toile, 80 x 54 cm. Collection particulière. © Droits réservés. © ADAGP, Paris 2024.

Henri Cadiou représente l'image iconique de Monna Lisa qui apparaît partiellement à travers un emballage froissé et lacéré à peine retenu par des bandes adhésives d'un grand réalisme. La carte de visite glissée laisse entrevoir la signature et l'adresse de l'artiste. La présence de l'œuvre de Léonard de Vinci fait semble-t-il référence à l'œuvre de Marcel Duchamp. Admiratif de cet artiste, Cadiou lui a dédié deux œuvres, son Hommage à Marcel Duchamp peint en 1969 (en mains privées) reprenant son fameux urinoir (Fontaine) et cette toile faisant écho à la parodie de la Joconde pourvue d'une moustache réalisée par Duchamp en 1919.
 
Martin Battersby (1914 - 1982). Trompe-l'œil, vers 1960. Huile sur toile. Collection Patrick Mauriès.

Martin Battersby, expert du trompe-l'œil au XXe siècle en Angleterre, allie architecture et design pour créer des illusions visuelles saisissantes. Dans ses œuvres, comme celle-ci, il utilise la technique du faux bois et des ombres portées afin de créer de la profondeur. Cette main gantée de velours semble ainsi sortir du cadre tendant au spectateur ce bouquet de fleurs fermé par un ruban. Ses talents de peintre sont sollicités pour des décors d'intérieur, notamment la maison des Mellon à Oak Spring en Virginie (États-Unis), où il réalise une bibliothèque en trompe l'œil abritant une variété d'objets, tel un cabinet de curiosité.
 
Henri Cadiou (1906-1989).  Transcendance spaciale, 1960. Huile sur toile, 41 x 33 cm. Collection particulière. © Droits réservés. © ADAGP, Paris 2024.

Graphiste publicitaire, Henri Cadiou a finalement choisi d'embrasser une carrière de peintre et devient l'un des membres fondateurs du groupe Trompe-l'œil / Réalité. En 1960, il peint son premier trompe-l'œil, Transcendance spatiale, citation des célèbres Entailles (Tagli) du peintre Lucio Fontana, série reconnaissable à ces lacérations de toiles par une lame de rasoir initiée en 1958. Si, à première vue, il peut s'agir d'un hommage à l'artiste argentin, Cadiou critique sous la forme du pastiche illusionniste l’art abstrait.
 
Jacques Poirier (1928-2002). Le Reliquaire, années 1980. Huile sur panneau, 44 x 38 cm. Lyon, galerie Saint-Hubert.

Illustrateur pour la presse et l'édition, Jacques Poirier se consacre exclusivement à la peinture dès 1981. Il se spécialise dans le genre de la nature morte illusionniste et devient l'un des membres du groupe Trompe-l’œil / Réalité fondé par Henri Cadiou. Avec Le Reliquaire, il crée des simulacres de rebuts ayant appartenu à Picasso. L'œuvre est un hommage amusé au maître espagnol, que l'on identifie par son portrait. Poirier appose sa signature dans le phylactère, à la base du cadre, et se représente en buste, dans le médaillon.


8 - LES TROMPE-L'ŒIL CONTEMPORAINS
Les illusionnistes de la Réalité

Scénographie

L'Arte Povera, mouvement d'avant-garde apparu en Italie dans les années 1960 incarne une certaine défiance vis-à-vis de la société de consommation. Ses artistes, tels que Michelangelo Pistoletto, Giovanni Anselmo et Giuseppe Penone, privilégient l'utilisation de matériaux naturels ou de récupération. À partir de 1962, Pistoletto réalise la série des Tableaux-miroirs démontrant que le monde de l’image est scindé en deux: une part tenant de la reproduction picturale, une autre plus spéculaire, objective.

Daniel Spoerri a pris part, dans les années 1960, à l'émergence du mouvement des Nouveaux réalistes. Dès 1963, il dénonce, comme le groupe de l’Arte Povera, les excès de la société de consommation à travers la représentation de repas consommés dans ses «tableaux-pièges» bravant les lois de la pesanteur et interrogeant les limites entre la réalité et l'illusion, l'art et la vie. Daniel Firman, avec Jade, inscrit lui son œuvre dans l'histoire du moulage d'après nature.

En 2018, Giuseppe Penone crée pour la Manufacture de Sèvres, Envelopper la terre avec la terre démontrant la capacité du céramiste à donner l'illusion de la feuille froissée sur laquelle repose l'empreinte de son poing serré.

 
Texte du panneau didactique.
 
Daniel Firman (né en 1966). Jade, 2015. Résine peinte, acier, vêtements, perruque. Courtesy Ceysson & Bénétière.

Daniel Firman s'intéresse au langage du corps. Il s'est fait connaître notamment avec sa série «Attitude». Moulés d'après nature, habillés de véritables vêtements, et portant perruque, les corps humains sont saisis dans des poses singulières appuyés contre un mur. Ses sculptures anthropomorphiques abandonnent l'aspect figé des œuvres hyperréalistes américaines au profit d'une représentation du mouvement qui semble arrêtée. Jade nous trompe sur la réalité de la personne accoudée au mur: absence du visage et utilisation de véritables vêtements et accessoires.
 
Carlo Guarienti (1923 - 2023). Trompe-l'œil au porte-courrier, 1955. Huile sur panneau. Collection particulière.

Guarienti est un artiste italien rattaché aux Peintres modernes de la réalité (Pittori moderni della realtà), qui, à la fin des années 1940, revendiquent une filiation à la grande tradition picturale. Cette toile est l'une des dernières réalisées par le peintre avant son éloignement du groupe et pourrait symboliser cette rupture. Malgré une composition illusionniste assez cryptique, divers indices étayent cette hypothèse. Ainsi, Sandro Rubboli, critique d'art et lié au mouvement, est désigné par une enveloppe lui étant adressée et par le dessin d’un mannequin, un motif hérité de l’art de Giorgio de Chirico et central dans la collection personnelle de celui-ci. Le sécateur et une lettre signée de l'artiste précédée d'un «cordial salut» vont dans ce sens.
 
Daniel Spoerri (né en 1930) : Tisch n°5, 4 novembre 1968. Panière à pain, coupelle en céramique, trois verres, cendrier, mégots, sucrier, moulin à poivre, salière, pot à crème, assiette, couverts, boîte à fromage vide, deux titres de transport, une pièce de monnaie. Objets divers collés sur bois peint. Grenoble, collection du musée de Grenoble, achat en 1987.

Dès 1963, l'artiste propose des expériences culinaires perturbant les papilles et les coutumes alimentaires et culturelles. À la fin des repas, les restes sont fixés sur la table avant d’être basculés à la verticale. Ce théâtre d'objets réels invite à reconstituer la scène pétrifiée. Identifiable par son panneau bleu, Tisch n°5 a été réalisé en 1972 au Restaurant Spoerri à Düsseldorf. Ce piège optique prend pour cible la peinture classique et ses représentations mimétiques. Il interroge les frontières entre la réalité et l'illusion, le vrai et le faux, renverse l'ordre établi, déstabilise le regard et les préconçus.
Michelangelo Pistoletto (né en 1933). Déposition, 1973. Sacrée conversation, Anselmo, Zorio, Penone, 1974.
Sérigraphie sur acier inoxydable, miroir poli. Biella, Collection Cittadellarte - Fondation Pistoletto. Courtesy Galleria Continua.

Formé auprès de son père, restaurateur de tableaux et peintre de natures mortes, Michelangelo Pistoletto commence à partir de 1962 la série de tableaux-miroirs, basés sur un miroir inframince confondu avec le mur et dont la surface réfléchissante renvoie à des figures se positionnant au même plan que l'image du reflet du spectateur. À partir de 1971, il utilise un processus sérigraphique de reproduction de l'image photographique. Dans Sacra conversazione: Anselmo, Zorio, Penone, les trois artistes du mouvement Arte Povera sont élevés au rang de personnages saints avec lesquels nous sommes conviés à converser.
 
Jud Nelson (né en 1943). Chemise / (Cardin), série Holos 10, 1895. Marbre de Carrare. New York, Louis K. Meisel Gallery.

Dès 1971, Jud Nelson réalise des répliques minutieuses d'objets issus d'un consumérisme ordinaire qu'il regroupe en une série intitulée «Holos». Chemise / (Cardin) est la première version de six sculptures prenant pour modèle une chemise en coton. L'artiste s'attache à évoquer la légèreté, la souplesse et la douceur du tissu par l'emploi du marbre blanc de Carrare, par essence lourd, dur et froid. L'écart produit entre la banalité du sujet et la noblesse de la matière déplace le thème de la vanité en trompe l'œil dans la société consumériste américaine des années 1980.
 
Giuseppe Penone (né en 1947) et la Manufacture nationale de Sèvres. Envelopper la terre avec la terre, 2018. Grès et biscuit de porcelaine. Sèvres, manufacture et musée nationaux.

Réalisée par Giuseppe Penone à la manufacture de Sèvres, Avvolgere la terra con la terra (envelopper la terre avec la terre) fixe dans le grès l'empreinte du poing serré de l'artiste, posé sur une feuille froissée en biscuit de porcelaine. Les plis naturalistes de la feuille offrent un saisissant effet de trompe-l'œil et évoquent la texture d’un papier ou d’un tissu, la blancheur et le velouté de la porcelaine accompagnant ce trouble de la perception.
Rappelant ce geste premier de l'humanité de pétrir la terre, Penone inscrit dans la matière l'acte de toucher, de prendre, de serrer.


9 - TROMPER L'ADVERSAIRE
L'art du camouflage

Scénographie

La Société d'études d'histoire militaire la Sabretache rassemblant des passionnés d'histoire militaire dont les peintres Édouard  Detaille et Ernest Meissonier est à l'origine de la fondation du musée historique de l'Armée, ancêtre du musée de l'Armée, décrétée en octobre 1896. Paul Marmottan, érudit et collectionneur du style Empire, s'est impliqué dans sa création en tant que membre fondateur de la Sabretache et donateur d'une partie de sa collection. Ainsi, les liens étroits entre nos deux musées nous ont permis d'interroger comment tromper l'ennemi avec l'art de la dissimulation à usage militaire.

Un an après le début de la Première Guerre mondiale, en août 1915, la section de camouflage est créée. Des artistes et des décorateurs de théâtre spécialistes de l'illusion développent des dispositifs stratégiques homologués par les généraux pour protéger les hommes et améliorer la défense. Cette nouvelle arme qu'est le camouflage va au fil des conflits du XXe et du XXIe siècle se perfectionner pour que le soldat se confonde avec son environnement. Les photographies contemporaines de Daniel Camus et de Lisa Sartorio en proposent une vision mêlant réalisme et esthétisme.

 
Texte du panneau didactique.
 
Grande-Bretagne. Ghillie suit Chamelon ® Woodland, 1998. Coton, polyester, plastique, métal, tissu velcro, caoutchouc. Paris, musée de l'Armée.

Véritable camouflage en 3D, le ghillie suit est un vêtement utilisé par les tireurs d'élite, les unités de recherche humaine (URH) pour les missions de renseignement ou les  chasseurs. Il leur permet de se dissimuler en se fondant dans l'environnement immédiat, grâce à une combinaison de fils de couleurs, de morceaux de toile découpés, dont la forme et les teintes reprennent celles du sol ou du feuillage, et l'ajout de matériaux naturels (branches, feuilles ...).
André Villain dit Dréville (1878-1938), imprimerie G. Delattre & Cie. Frise des camoufleurs, 1916.
Lithographie sur papier marouflé sur toile. Paris, musée de l'Armée, achat auprès de la galerie Laura Pecheur, 2015.

André Villain représente ici quarante artistes français mobilisés à la section de camouflage. Créée en 1915, et commandée par le peintre Victor Lucien Guirand de Scevola (1871-1950), visible au centre, elle comprend des peintres, décorateurs, spécialistes du trompe-l'œil…, chargés de camoufler à la fois les hommes, le matériel et les voies de communication. Tous sont identifiés. Au centre, Jean-Louis Forain (1852-1931) inspecteur général de la section, est appuyé sur sa canne. L'auteur de la frise s’est représenté face au décorateur Louis Guingot (1864-1948), en avant-dernière position à droite.
 
Lisa Sartorio (née en 1970). M14-Ebr, série L'Écrit de l'Histoire, en cours depuis 2014. Épreuve jet d'encre pigmentaire sur papier Fine Art, contrecollée sur aluminium. Paris, musée de l'Armée, achat auprès de la galerie Binome, 2018.

À distance, le regard se perd dans une masse végétale. De près, l'œil distingue des milliers de fusils d'assaut, actuellement vendus dans le monde entier et hier utilisés par l’armée américaine lors de la guerre du Vietnam. Le sujet jaillit de la trame qui le camouflait, créant une surprise autant qu'un sursaut. Lisa Sartorio interroge la façon de redonner aux images de guerre trop médiatisées leur force de témoignage. En transformant plastiquement la matière à partir d'images préexistantes, l'artiste provoque un déplacement du regard et convie à un réveil des consciences et de la mémoire.
 
Jean-Baptiste Eugène Corbin (1867-1952). Maquette de canon peinte pour des études sur le camouflage, Toul (France), août 1914. Modèle réduit en bois et fer peint. Paris, musée de l'Armée, achat, 2005.

Cette maquette, peinte dans des tons  verts, ocre et marron, illustre les premières recherches sur le camouflage des pièces d'artillerie. Elle a été réalisée en août 1914 par Eugène Corbin, un entrepreneur et mécène nancéen mobilisé dans l'artillerie. L'objectif est de dissimuler les canons et leurs servants à la vue de l'aviation ennemie. Par la suite, Corbin réalise les premières bâches de camouflage et devient l'un des précurseurs du camouflage militaire.
Daniel Camus (1929-1995).
- Le retour dans la jungle est aussi pénible que l'aller. La montée est dure sous le soleil
- Et maintenant la descente difficile et fatigante car la piste est devenue glissante et les chutes sont nombreuses.

Photographies 19 et 22 du reportage intitulé Coup de main sur les positions Vietminh au nord de Diên Biên Phu, 2 février 1954. Tirages gélatino-argentiques noir et blanc sur papier baryté. Paris, musée de l'Armée, don du général Pierre-Élie Jacquot, 1955.

Daniel Camus, jeune pigiste pour Paris Match, devient photographe militaire au sein du Service presse information. En service officiel pendant la guerre d'Indochine, il couvre entre 1953 et 1954 les actions des soldats français engagés dans une âpre lutte contre les forces indépendantistes du Vietminh. Avec un grand sens de la composition, ses photographies témoignent des conditions de vie particulièrement difficiles des combattants, ici en progression dans la jungle au nord de Diên Biên Phu, entre soleil ardent, boue humide et ennemis tapis sous le couvert végétal.