TRÉSORS EN NOIR ET BLANC. Après la fin de l’Exposition universelle de 1900, le Petit Palais devient le musée des Beaux-Arts de la ville de Paris pour abriter une collection permanente allant de l’Antiquité à la fin du XIXe siècle. Ce musée ouvre en 1902 et bénéficie cette année-là d’une donation exceptionnelle des frères Eugène et Auguste Dutuit, qui cèdent leur collection riche de près de 20 000 œuvres dont 12 000 gravures, patiemment rassemblées par Eugène en près de cinquante ans. Il s’agit d’estampes anciennes et le directeur de l’époque, Henri Lapauze (1867-1925), décide alors de créer au sein même du Petit Palais un Musée de l’Estampe moderne afin de s’ouvrir à la création contemporaine. Pour cela il sollicite des dons de la part des artistes et de leurs parents, des galeries et des collectionneurs. En peu de temps, plus de 3 000 estampes sont recueillies dont 1 500 sont exposées dans un nouvel espace du Petit Palais, créé en 1908. Par la suite le fonds a continué de s’accroître par des dons, des legs et des achats et compte aujourd’hui plus de 20 000 estampes. Avec près de 180 œuvres présentées dans la présente exposition, nous avons un petit aperçu de cette exceptionnelle collection.
Le parcours est divisé en trois grandes sections correspondant aux trois phases d’acquisition du cabinet d’art graphique du Petit Palais. La première nous présente des gravures acquises par Eugène Dutuit (1807-1886). Elles sont réparties en quatre cabinets consacrés à Albrecht Dürer (1471-1528), Jacques Callot (1592-1635), Rembrandt (1606-1669) et Francisco de Goya (1746-1828). À part pour Goya dont il ne cherchait à collectionner que les estampes rares comme Les Ménines d’après Vélasquez et des pièces uniquement tirées par Goya lui-même, tel que l’album des Caprices, soit un total de soixante-quatre estampes, Eugène Dutuit avait réussi à rassembler la quasi-totalité des œuvres de Dürer, Callot et Rembrandt. Mais ce qui est le plus remarquable c’est qu’il s’était attaché à ne collectionner que des épreuves de très grande qualité. Parmi celles-ci nous pouvons admirer, de Dürer, le fameux Rhinocéros (1515), Hercule à la croisée des chemins (vers 1498-1499) inspiré des Gladiateurs de Pollaiolo, également présents, La Grande Fortune (1501-1502), Adam et Ève (1504), Le Chevalier, la Mort et le Diable (1513), Melencolia I (1514), Saint Jérôme dans sa cellule (1514), sorte d’autoportrait du graveur, et quelques autres tout aussi remarquables.
En ce qui concerne Jacques Callot, la sélection est très vaste et comprend un grand nombre de petites estampes qui grouillent de personnages amusants (Les Deux Pantalons, Les Gueux) mais aussi des extraits de séries dramatiques comme Les Grandes Misères de la guerre (1633) ou des gravures de grandes dimensions comme La Foire d'Impruneta (1620) avec des centaines de personnages.
Eugène Dutuit avait une collection de plus de 350 estampes de Rembrandt, réputée comme l’une des plus remarquables de son temps. Ici sont exposés de nombreux portraits dont cinq autoportraits, des paysages comme La Chaumière et la Grange à foin (1641) et des gravures de grandes dimensions telle La Pièce aux cent florins (1649) qui doit son nom au montant estimé par Rembrandt pour l’échanger contre d’autres œuvres.
De Goya enfin nous avons, outre Les Ménines (1778-1785), des gravures de la série des Caprices (Tous tomberont, Ils s’envolèrent, etc. [1796-1799]), de surprenantes scènes de Tauromachie (1815-1816) et des scènes curieuses de la série les Disparates (1816-1823) que l’on peut traduire par sottises ou folies.
La deuxième section est consacrée au Musée de l’Estampe moderne. On y présente divers exemples de dons. Tout d’abord le don d’un collectionneur, Henri Béraldi (1849-1931), qui offre cent portraits de grands noms du XIXe siècle tels Edmond de Goncourt ou Ingres. Puis nous avons des dons d’artistes qui émanent le plus souvent de leurs familles ou de leurs amis. Sont exposés en particulier des estampes de Chahine, Devambez, Chéret, Buhot et Toulouse-Lautrec. Enfin nous avons des dons de marchands et éditeurs tel Georges Petit qui développe dans ses catalogues d’éditions un véritable plaidoyer pour la couleur, autre cheval de bataille d’Henri Lapauze.
La dernière section met en avant la politique d’acquisition du musée avec des œuvres de Renoir, Ranson, Toulouse-Lautrec, Redon, Zorn, etc. C’est ainsi qu’entre 2013 et 2023, 1289 estampes ont rejoint le Petit Palais.
Au fil des salles, nous avons des vitrines présentant les produits et accessoires utilisés dans les différentes techniques d’estampe, telles la gravure sur bois, le burin, l’eau-forte, la lithographie et l’eau-forte en couleurs. Ajoutons également quelques cartels pour le jeune public à qui l’on demande de trouver des détails dans les gravures pour lui apprendre à regarder de telles œuvres. Une exposition absolument remarquable tant pour les œuvres exposées que pour sa scénographie et sa pédagogie. R.P. Petit Palais 8e. Jusqu’au 14 janvier 2024. Lien: www.petitpalais.paris.fr.