TOULOUSE-LAUTREC. Résolument moderne. La dernière grande rétrospective consacrée à cet artiste remonte à 1992 (Lettre 56). C’est dire si on attendait beaucoup de celle-ci. Avec quelque 200 œuvres, notre attente est comblée et l’on peut admirer la plupart des grands chefs-d’œuvre de Lautrec (1864-1901), venus du monde entier et bien sûr des musées d’Orsay et d’Albi, d’où sont issus les commissaires. Mentionnons aussi tout spécialement la Bibliothèque nationale de France qui détient l’ensemble de l’œuvre lithographié de cet artiste.
Si le parcours commence et se termine d’une manière chronologique, la plus grande partie est thématique comme le montrent les titres « À hauteur d’hommes », « Apothéose de la Goulue », « En littérature », « Deux gants noirs » et surtout « Féminin / Féminin », la plus riche de ces sections.
Lautrec était-il « résolument moderne » comme l’affirme le sous-titre de cette exposition ? Les commissaires insistent au tout début en affirmant que « Lautrec fait de la photographie son alliée », comme le faisait Degas, mais ne nous montrent aucune photographie qu’il aurait prises, mis à part le panneau qui illustre la première salle. La salle suivante, « Un naturalisme de combat », expose des dessins de nus remarquables mais tout à fait classiques. Cependant on y voit aussi, côte à côte, Le Bois sacré cher aux Arts et Muses (1884-1889) de Puvis de Chavannes et la Parodie qu’en a faite Lautrec en 1884, lui qui disait qu’il faut « faire vrai et non pas idéal ». D’autres toiles illustrent cette maxime comme cette Étude de nu. Femme assise sur un divan (1882) ou ce Nu féminin (1884), portrait cru de Suzanne Valadon, sa maîtresse.
Les portraits réunis dans la section « Carmen, Jeanne, Suzanne », laissent à penser que Lautrec, comme Jean-Jacques Henner (Lettre 475), appréciait la couleur rousse. Jeanne Wenz (À la Bastille, 1888) et Carmen Gaudin portraiturée sous différents angles, y compris de dos (Rousse (La Toilette), 1889) étaient rousses !
La salle suivante, « Autour des XX », présente une dizaine de tableaux dont trois des onze que Lautrec exposa à Bruxelles en 1888 avec la Société des XX, créée autour de l’idée « d’exhiber les audacieux de toute nationalité ». On y voit un portrait de La Comtesse Adèle de Toulouse-Lautrec, sa mère ; un magnifique portrait à la craie colorée de Van Gogh, son ami, et Au Cirque Fernando, une toile représentant une écuyère rousse en pleine action. Ce dernier tableau, le plus apprécié de Lautrec, annonçait son goût pour le cirque, le théâtre et les cabarets. Mais avant de rejoindre ces lieux de plaisir, on voit tout d’abord de magnifiques portraits d’hommes qui font penser à Gustave Caillebotte. Parmi eux, il y a les trois qui furent exposés au Salon des Indépendants de 1891 (Gaston Bonnefoy, Louis Pascal et Henri Bourges), exceptionnellement réunis ici.
Les lieux de plaisir commencent avec l’affiche pour le chansonnier et écrivain Aristide Bruant, dont on voit les différents états de sa réalisation, et la fameuse affiche Moulin Rouge - La Goulue (1891) qui révolutionna le genre. Plus loin les deux grands panneaux commandés par Louise Weber, dite La Goulue, pour orner la façade de sa baraque de foire lorsqu’elle devint indépendante, frappent par l’originalité de leur composition. Découpés plus tard en huit morceaux par un marchand peu scrupuleux, ces panneaux furent reconstitués et sont aujourd’hui au musée d’Orsay.
Peintre lettré, Lautrec se rapprocha de La Revue blanche fondée par les trois frères Natanson. C’est Thadée Natanson qui disait de Lautrec que « Tout l’enchante ». Ce dernier réalise une magnifique affiche pour la revue, des programmes pour Le Théâtre libre, des dessins de comédiens tels Sarah Bernhardt, Lugné-Poe, Berthe Bady, etc. et des illustrations de livres.
Une section « Deux gants noirs » est tout entière consacrée à Yvette Guilbert, une rousse diseuse et chanteuse qui se produit au Divan Japonais. On y voit quelques-uns des nombreux croquis de Lautrec avant un projet d’affiche finalement refusé par celle-ci !
Vient ensuite la section rassemblant des œuvres de Lautrec consacrées aux maisons closes, un milieu qu’il connaissait bien, au point d’y vivre un certain temps. En dehors de ses affiches, on a trop souvent retenu de lui ses scènes de bordel. Les sections précédentes montrent combien cette appréciation est réductrice. Néanmoins c’est dans cette section que l’on trouve quelques-uns de ses plus beaux tableaux comme Au salon de la rue des Moulins (1894), Femme qui tire son bas (1894), etc., évocation d’un monde qu’il ne juge pas et qu’il présente sans voyeurisme. En 1896 il publie Elles, un album tiré à 100 exemplaires, illustré de onze planches en couleur, toutes présentées ici, sur le quotidien des pensionnaires des maisons closes. Le succès ne fut pas au rendez-vous et Lautrec racheta les invendus pour vendre les lithographies au détail !
Vient une section intitulée « vite » où l’on voit des tableaux équestres et des danseuses. Parmi ces derniers nous avons Jane Avril, Marcelle Lender, Loïe Fuller et l’impersonnel et tourbillonnant La Roue (1893). L’exposition se termine avec cette interrogation « Quelle fin ? ». Rongé par l’alcool et la maladie, interné un temps dans une luxueuse clinique privée à Neuilly, Lautrec n’a cependant pas perdu tous ses moyens comme le montrent ses dessins de cirque, ses portraits, en particulier celui de L’Anglaise du Star au Havre (1899) et ses tableaux de Messaline (1900-1901), un spectacle donné à l'Opéra de Bordeaux. Une exposition originale dans son parcours et sa présentation pour un peintre qui l’était tout autant. R.P. Grand Palais 8e. Jusqu’au 17 janvier 2020.
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