Parcours en images de l'exposition

TARSILA DO AMARAL
Peindre le Brésil moderne

avec des visuels mis à la disposition de la presse
et nos propres prises de vue

Parcours accompagnant l'article publié dans la Lettre n°606 du 11 décembre 2024




Titre de l'exposition
 


Figure centrale du modernisme brésilien, Tarsila do Amaral (ou Tarsila, de son nom d’artiste) est la créatrice d’une œuvre originale et évocatrice, puisant dans les imaginaires indigénistes et populaire autant que dans les instances modernisatrices d’un pays en pleine transformation.

Dans les années 1920, évoluant entre São Paulo et Paris, elle est une passeuse entre les avant-gardes de ces deux capitales culturelles, mettant son univers iconographique brésilien à l’épreuve du cubisme et du primitivisme, en vogue dans la capitale française. Sa peinture inspire alors les mouvements Pau-Brasil et Anthropophage, dont la quête d’un Brésil «authentique», multiculturel et multiracial, vise à refonder sa relation avec les «centres» européens de la colonisation.

La dimension militante de ses peintures des années 1930 et sa capacité à accompagner, jusqu’aux années 1960, les évolutions profondes de son environnement social et urbain confirment la puissance d’une œuvre ancrée dans son temps et toujours prête à se renouveler, malgré les conditions instables que peut rencontrer, en fonction des époques et des contextes, une artiste femme émancipée et indépendante.

Nous invitant au cœur d’une modernité brésilienne qu’elle a contribué à forger plus qu’elle ne l’a illustrée, l’œuvre de Tarsila do Amaral dévoile toute la complexité de ce concept toujours ouvert à débat, soulevant des questions identitaires et sociétales qui demeurent très actuelles, au Brésil comme en Europe.

Affiche de l'exposition.

 
Texte du panneau didactique.
Entrée de l'exposition


Paris/São Paulo. Passeports pour la modernité

Scénographie

Issue d’une famille cultivée de grands propriétaires terriens de la région de São Paulo, Tarsila do Amaral entreprend son premier voyage d’études à Paris en 1920, reproduisant le parcours typique des peintres académiques brésiliens. Pendant son absence, en février 1922, la «Semaine d’Art moderne» donne une impulsion nouvelle à̀ la scène artistique de São Paulo: jeunes écrivains, musiciens et peintres prônent une avant-garde affranchie des modèles importes, sans pour autant renier leur cosmopolitisme. De retour en juin 1922, Tarsila participe personnellement à ce renouveau moderniste, aux côtés de la peintre Anita Malbati et des écrivains Paulo Menotti del Picchia, Mário de Andrade et Oswald de Andrade, avec qui elle forme le Groupe des Cinq.

C’est dans un tout nouvel état d’esprit qu’elle retourne à Paris, en 1923: animée par un projet qui se veut national et moderne, elle cherche désormais une confrontation directe avec les avant-gardes européennes. Fréquentant les ateliers d’André́ Lhote, Fernand Leger et Albert Gleizes, elle appréhende le cubisme comme une «école d’invention», lui permettant de s’affranchir des codes de représentation convenus et d’élaborer un style véritablement libre et personnel.

 
Texte du panneau didactique.
 
Tarsila do Amaral. Vista do hotel de Paris [Vue de l’hôtel à Paris], 1920. Huile sur toile, 27,3 x 22,2 cm. Collection particulière.

Tarsila crée, en 1917, le premier atelier d'artistes de São Paulo, rua Vitoria. Encore apprentie, elle le met à disposition de son professeur, le peintre académique Pedro Alexandrino, qui y dispense ses cours collectifs. Élevée dans un milieu très francophile, elle poursuit tout naturellement sa formation à Paris, où elle loue une chambre rue du Louvre. Fidèle à la tradition picturale européenne de la fin du XIXe siècle, elle peint l'entrée de son atelier de São Paulo et la vue de sa chambre parisienne dans un style tout à fait similaire, malgré les tonalités et la lumière très différentes qui caractérisent chacune des deux villes.
Scénographie. Photo Didier Plowy.
 
Tarsila do Amaral. Estudo (Nu sentado) [Étude (nu assis)], 1921. Huile sur toile, 71,7 x 53,3 cm. Acervo Artístico-Cultural dos Palacios do Governo do Estado de São Paulo.

 
Tarsila do Amaral. Academia n°4 [Académie n°4], 1922. Huile sur carton, 76 x 53 cm. Collection particulière. © Photo Romulo Fialdini. © Tarsila do Amaral Licenciamento e Empreendimentos S.A.

 
Tarsila do Amaral. Étude pour La Tasse, 1923. Mine de plomb sur papier. São Paulo, Coleção de Arte da Cidade / CCSP.

 
Tarsila do Amaral. Natureza-morta com relógios [Nature morte avec horloges], 1923. Huile sur toile, 46 x 55 cm. Collection particulière.

Scénographie. Photo Didier Plowy.
 
Tarsila do Amaral. Figura em Azul [Figure en bleu], 1923. Huile sur toile, 80 x 60 cm. Collection particulière. © Photo Galeria Frente. © Tarsila do Amaral Licenciamento e Empreendimentos S.A.

À l’académie Julian, Tarsila suit les cours réservés aux femmes, se consacrant à l’étude de nus qu’elle peut réaliser pour la première fois d’après modèles vivants. Ce n’est qu’après son retour à São Paulo, pendant l’euphorique période d’expérimentation au sein du Groupe des Cinq, que Tarsila prend ses distances avec les modèles académiques. À l’instar d’Anita Malfatti, elle adopte des couleurs plus contrastées et des solutions formelles moins conventionnelles, comme dans ce portrait de femme, peint au tout début de l’année 1923.
 
Tarsila do Amaral. A Boneca [La poupée], 1928. Huile sur toile, 60 x 45 cm. Collection particulière.

Réalisé en 1928, bien après son apprentissage parisien, ce tableau montre la persistance du modèle de Léger dans l'œuvre de Tarsila et l'interprétation très personnelle que fait l'artiste des théories de Gleizes, son principal maître. Dans la lignée de ce dernier, elle conçoit ses tableaux comme des «organismes » autonomes, indépendants de toute ambition réaliste, s'intéressant moins aux objets représentés qu'au système de relations entre les formes et les couleurs et à leur équilibre rigoureux dans l’espace circonscrit de la toile.
 
Tarsila do Amaral. Composição cubista (Mãos ao piano) [Composition cubiste (mains sur le piano)], 1923. Aquarelle et mine de plomb sur papier, 21 x 18,5 cm. Collection particulière.

 
Tarsila do Amaral. Étude pour une composition cubiste en couleurs, vers 1923. Mine de plomb et crayon de couleurs sur papier de soie, 21 x 14,6 cm. Collection particulière.



Une « Caipirinha habillée par Poiret »

Scénographie

En tant qu’artiste brésilienne à Paris, Tarsila doit composer avec un certain nombre de stéréotypes pour frayer son chemin dans un système de l’art eurocentré et dominé par les hommes. Si son physique et son style vestimentaire ne passent jamais inaperçus, la critique attend d’elle, comme de sa peinture, une «fraîcheur exotique» et une «délicatesse toute féminine» - comme on le lit dans les chroniques parisiennes de ses premières expositions. Tarsila joue de son apparence pour construire son personnage, alors inédit, de femme artiste moderne brésilienne, contournant, dans ses autoportraits, les canons établis. Telle une «Caipirinha habillée par Poiret» (selon les vers que lui dédie Oswald de Andrade) elle se veut la porte-parole d’un «Brésil profond», tout en étant parfaitement à la page des goûts parisiens et sans négliger ce brin d’excentrisme censé́ faire d’elle une véritable artiste d’avant-garde.

 
Texte du panneau didactique.
 
Tarsila do Amaral. Caipirinha [Petite caipira], 1923. Huile sur toile, 64 x 81 cm. Collection particulière. © Photo Ding Musa. © Tarsila do Amaral Licenciamento e Empreendimentos S.A.

Commencé au printemps 1923, ce tableau est pour Tarsila l’une des premières tentatives de s’affranchir des codes de la figuration académique à travers des langages d’avant-garde. Dans une lettre à ses parents, elle décrit ce tableau comme une façon de s’autoreprésenter en jeune fille de la campagne brésilienne (une petite «caipira») jouant avec les branches du jardin comme elle le faisait, enfant, dans la fazenda familiale. Cette identification avec la culture populaire des régions rurales, de la part d’une femme très cultivée de la haute bourgeoisie, annonce l’idéalisation d’une appartenance nationale qui dépasse volontairement les clivages culturels et sociaux de la population brésilienne.
 
Tarsila do Amaral. Auto-retrato (Manteau rouge) [Autoportrait (Manteau rouge)], 1923. Huile sur toile, 73 x 60,5 cm. Museu Nacional de Belas Artes, Rio de Janeiro. © Museu Nacional de Belas Artes / Ibram, Rio de Janeiro / photo Jaime Acioli. © Tarsila do Amaral Licenciamento e Empreendimentos S.A.

«Je me souviens de Tarsila au théâtre du Trocadéro, dans une cape écarlate, doublée de satin blanc. À Paris, où l'on s'habille discrètement, la vanité de Tarsila fit sensation»; «Nous sommes restés extasiés en contemplation du chef-d’œuvre de Tarsila, qu’est sa personnalité! Tarsila s’habille d’art». Ces témoignages de l’époque montrent le soin que Tarsila accordait à son apparence, y compris dans l’élégance de ses tenues. Le manteau rouge de la maison Patou qu’elle portait lors d’événements mondains parisiens identifie à tel point l’artiste qu’il donne son titre à l’un des autoportraits les plus connus, réalisé alors que Tarsila fréquente l’atelier de Lhote (printemps 1923).
 
Tarsila do Amaral. Retrato de Oswald de Andrade [Portrait d’Oswald de Andrade], 1923. Huile sur toile, 60 x 50 cm. Museu de Arte Brasileira - MAB FAAP, São Paulo. © Acervo Museu de Arte  Brasileira – FAAP, São Paulo / photo Fernando Silveira. © Tarsila do Amaral Licenciamento e Empreendimentos S.A.

Scénographie
 
Tarsila do Amaral. Auto-retrato I [Autoportrait I], 1924. Huile sur carton sur panneau d’aggloméré, 41 x 37 cm. Acervo Artístico-Cultural dos Palácios do Governo do Estado de São Paulo. © Artistic-Cultural Collection of the Governmental Palaces of the State of São Paulo / photo Romulo Fialdini. © Tarsila do Amaral Licenciamento e Empreendimentos S.A.

Cet autoportrait cristallise l’image de soi soigneusement élaborée par l’artiste après juin 1922: cheveux serrés en chignon, rouge à lèvres éclatant et longues boucles d’oreilles. Sur un fond neutre, tel une sorte de masque extrait de tout contexte anecdotique, le visage de l’artiste devient, par sa stylisation assumée, sa véritable «marque». À ce titre, ce portrait est choisi pour illustrer les couvertures de presque tous les catalogues d’expositions de son vivant et dicte même le traitement de futurs portraits photographiques.
 
- Catalogue de l’exposition « Tarsila », Paris, galerie Percier, 1926. 30 x 22 x 3 cm (fermé). Centre Pompidou, Musée national d’art moderne / Centre de création industrielle, bibliothèque Kandinsky, Paris.
- Catalogue de l’exposition « Tarsila », Rio de Janeiro, Palace Hotel, 1929. 31,1 x 23 x 3 cm (fermé). Collection particulière.
- Catalogue de l’exposition « Tarsila », São Paolo, Prédio Glória, 1929. 32 x 23 x 3 cm (fermé). Collection particulière.
- Brouillon du poème « Atelier » d’Oswald de Andrade, vers 1925. Encre de Chine sur papier, 21,5 × 21,3 cm. Collection particulière.
- Tarsila do Amaral. Carnet de dessin avec une esquisse de Caipirinha [Petite caipira], vers 1923. Mine de plomb sur papier, 39 x 30,5 x 4 cm (ouvert). Collection particulière.

 
Lettre et dessin de Fernand Léger, Cícero Dias et Blaise Cendrars à Tarsila do Amaral, 17 janvier 1951. 45 x 36 cm. Pinacoteca do Estado de São Paulo, don de la famille de Tarsila do Amaral, 1973.

 
Tarsila do Amaral. Carnet de dessin avec une esquisse de Caipirinha [Petite caipira], vers 1923. Mine de plomb sur papier, 39 x 30,5 x 4 cm (ouvert). Collection particulière.

Scénographie
 
Programme de la XXIe saison des Ballets russes de Serge de Diaghilev, théâtre Sarah-Bernhardt, Paris, 1928. 31,8 x 24,7 cm (fermé). Pinacoteca do Estado de São Paulo, don de la famille de Tarsila do Amaral, 1973, São Paulo.

 
Étude pour l’affiche d’une conférence de Blaise Cendrars à São Paulo I, 1924. Mine de plomb et encre de Chine sur papier de soie, 23,3 x 15,7 cm. Pinacoteca do Estado de São Paulo, don de la famille de Tarsila do Amaral, 1973.

En 1924, le poète franco-suisse Blaise Cendrars prononce deux conférences à São Paulo, la première autour de son Anthologie Nègre, parue en 1921, la seconde sur la peinture moderne. Tarsila conçoit l'affiche pour la première conférence, dans un style qui rappelle ses exercices de «translation» et «rotation» réalisés un an plus tôt dans l'atelier de Gleizes.
Proche d'Oswald de Andrade ainsi que de sa verve poétique Cendrars, que Tarsila rencontre à Paris en mai 1923, est l’un des Premiers défenseurs de sa peinture et préfacera le catalogue de son exposition personnelle, en 1926. Grâce à Cendrars, Tarsila se lie aussi avec Jean Cocteau, Constantin Brancusi, Fernand Léger, Robert et Sonia Delaunay, entre autres.


Chronologie et album de voyage

 
Album de voyage de Tarsila do Amaral, [vers 1922-1926]. 35 x 22 x 1 cm (fermé). Collection particulière.

Encore enfant, avec sa famille, puis avec sa fille Dulce, ses amis et ses compagnons, Tarsila réalise un grand nombre de voyages à travers le Brésil, l'Amérique latine et en Europe, visitant la France, l'Espagne, l'Italie, la Grèce, le Moyen-Orient et, plus tard, l'Union soviétique. Cet album réunit des documents allant de 1922 à 1926, rassemblés sans autre critère que les associations libres faites par l'artiste.
Des images de ses fazendas, de São Paulo et de Paris; des billets de train et de croisière; des cartes de restaurants et des programmes de théâtre; des croquis, des poèmes et des articles de journaux... autant de souvenirs mêlés qui rendent compte de l'univers culturel riche et composite de l'artiste à une époque foisonnante où, comme l'écrit Oswald sur l'une de ces pages, leur bonheur semble «inéluctable».



L’invention du paysage brésilien

Scénographie

L’éloignement temporaire du Brésil est pour Tarsila l’occasion d’appréhender autrement ses origines. Tandis qu’elle prend conscience du charme exotique que son pays tropical exerce dans son cercle d’amis parisiens, le cubisme lui offre une méthode d’analyse et de rationalisation formelle lui permettant de se réapproprier son paysage physique et mental, loin des conventions et des préjugés.

Des 1924, elle part à la «redécouverte» de São Paulo, métropole ultra dynamique; de Rio de Janeiro, avec son paysage exubérant ; de la région du Minas Gerais, riche de vestiges coloniaux et baroques. Avec le trait limpide qui caractérise son dessin, Tarsila «décortique» au crayon et à l’encre ces environnements si différents les uns des autres et sélectionne à sa guise les éléments d’un Brésil «authentique» qui, transcrits sous forme de lignes et formes géométriques, donnent vie à son nouvel alphabet visuel. Simple et moderne, intelligible par le public brésilien et international, ce dernier est décliné dans des peintures à la composition rigoureuse, dans lesquelles ces éléments, à l’origine disparates, cohabitent harmonieusement.

 
Texte du panneau didactique.
 
Tarsila do Amaral. Sans titre, projet d’illustration pour Feuilles de route de Blaise Cendrars, vers 1924. Encre sur papier, 26,6 x 20,3 cm. Bibliothèque nationale Suisse, archives littéraires suisses, fonds Blaise Cendrars, Berne.

Étroitement liée à la ville de São Paulo, Tarsila est sensible à l'effervescence de cette métropole dont les transformations rapides, sur le plan urbanistique et social, appellent à la création de nouveaux codes d'expression. Surnommée la «locomotive du pays», São Paulo croît vertigineusement depuis la fin du XIXe siècle, suite à l'industrialisation et aux vagues massives d'immigration nationale et étrangère. On y démolit et reconstruit sans retenue, transformant en profondeur la physionomie de la ville, dont les tramways, les grues, les usines et les enseignes lumineuses deviennent les nouvelles marques reconnaissables.
Scénographie
 
Tarsila do Amaral. A Feira I [Le marché I], 1924. Huile sur toile, 60,8 × 73,1 cm. Collection particulière. © Photo Romulo Fialdini. © Tarsila do Amaral Licenciamento e Empreendimentos S.A.

 
Tarsila do Amaral. Rio de Janeiro, 1923. Huile sur toile, 33 x 41 cm. Fundaçao Cultural Ema Gordon Klabin, São Paulo. © Ema Klabin House Museum Archive / photo Patricia de Filippi, Sergio Zacchi, Gabriel Villas-Boas. © Tarsila do Amaral Licenciamento e Empreendimentos S.A.

- Tarsila do Amaral. Pinheiros [Pins], illustration pour Pau Brasil d’Oswald de Andrade, Paris, Au sans pareil, 1925, p. 85. Encre de Chine sur papier, 17,9 x 25,5 cm. Coleção de Arte da Cidade / CCSP / SMC / PMSP, São Paulo.
- Tarsila do Amaral. Barco [Bateau], illustration pour Pau Brasil d’Oswald de Andrade, p. 101, 1925. Encre de Chine sur papier, 15,5 x 23 cm.
Coleção de Arte da Cidade / CCSP /SMC / PMSP, São Paulo.
- Tarsila do Amaral. Pão de Açúcar [Pain de Sucre], illustration pour Pau Brasil d’Oswald de Andrade, Paris, Au sans pareil, 1925, p. 23. Encre de Chine sur papier, 11,7 x 18 cm.
Coleção de Arte da  Cidade / CCSP / SMC / PMSP, São Paulo.
Scénographie. Photo Didier Plowy.
 
Tarsila do Amaral. E.F.C.B. (Estrada de ferro central do Brasil) [Chemin de fer central du Brésil], 1924. Huile sur toile, 142 x 126,8 cm. Museu de Arte Contemporânea da Universidade de São Paulo, donation Museu de Arte Moderna de São Paulo.

Dans les années 1920, le motif du train est récurrent dans l'œuvre de Tarsila. Introduit  au Brésil en 1855, le chemin de fer reliant les Etats de Rio de Janeiro, São Paulo et du Minas Gerais, appelé Estrada de Ferro Carril do Brasil (E.F.C.B.) s'agrandit au cours du XXe siècle. Moyen de transport éminemment moderne, le train demeure, jusqu'aux années 1950, le principal du pays. Ce tableau exalte le progrès technologique symbolisé par les ponts ferroviaires, les poteaux électriques et les sémaphores. Néanmoins, les lignes courbes du chemin de fer conduisent notre regard vers les éléments reconnaissables d'un quartier populaire, que Tarsila souhaite faire cohabiter, dans sa composition, avec les signes du progrès évoqués au premier plan.
 
Tarsila do Amaral. Palmeiras [Palmiers], 1925. Huile sur toile, 87 x 74,5 cm. Collection particulière.

 
Tarsila do Amaral. Sans titre. Projet d’illustration pour Feuilles de route de Blaise Cendrars, vers 1924. Encre sur papier, 20,3 x 26,6 cm. Bibliothèque nationale suisse, archives littéraires suisses, fonds Blaise Cendrars, Berne. © Photo Bibliothèque nationale Suisse, Berne. © Tarsila do Amaral Licenciamento e Empreendimentos S.A.

 
Tarsila do Amaral. Romance, 1925. Huile sur toile, 74,5 x 65 cm. Acervo da Casa Guilherme de Almeida – Governo do Estado de São Paulo.

En compagnie du groupe des modernistes et de Cendrars, Tarsila entreprend un voyage dans le Minas Gerais lors de la Semaine Sainte de 1924. Elle dira avoir été notamment touchée par les décorations populaires et les peintures des églises «exécutées avec amour et dévotion par des artistes anonymes». Cette fenêtre de type colonial et cette décoration florale, qui rappelle à la fois des bas-reliefs baroques et des motifs folkloriques, s'inspirent de ces références. La palette renvoie volontairement à ces couleurs populaires injustement discréditées, selon l'artiste, comme «laides et campagnardes». Dans un vocabulaire simplifié de formes et de couleurs en aplat, la modernité de Tarsila délaisse les codes importés pour puiser dans des motifs locaux perçus comme «authentiques».


Primitivisme et identité(s)

Scénographie

Même lorsqu’elle représente des personnages, Tarsila est confrontée à un double défi: répondre à la demande d’exotisme de la capitale française et participer à la construction d’un imaginaire national et moderne fondé sur le métissage entre les cultures indigène, portugaise et africaine qui composent historiquement le peuple brésilien. Les traditions précoloniales font alors l’objet de ses recherches, tandis que des afro-descendants sont représentés dans ses œuvres de 1924 et 1925, lorsque Tarsila illustre le recueil de poèmes Pau Brasil d’Oswald de Andrade et adhère au mouvement du même nom. Des descriptions idylliques des favelas et des scènes de carnaval, associées aux couleurs vives que l’artiste qualifie de «populaires», illustrent la quête d’un primitivisme autochtone, idéalisé par l’intellectuelle blanche et cosmopolite qu’est Tarsila. Effaçant toute trace de disparité́ sociale et de violence coloniale, ces toiles ne cachent pas l’ambiguïté́ de ces appropriations ni la complexité́ des questions identitaires et raciales d’un pays qui, cent ans après son indépendance et trente-sept après la fin de l’esclavage, est loin d’avoir atteint l’harmonie idéale dépeinte par l’artiste.

 
Texte du panneau didactique.
 
Tarsila do Amaral. A Negra [La négresse], 1923. Huile sur toile, 100 x 81,3 cm. Museu de Arte Contemporânea da Universidade de São Paulo, donation du Museu de Arte Moderna de São Paulo. © Photo Romulo Fialdini. © Tarsila do Amaral Licenciamento e Empreendimentos S.A.

D’abord consacrée comme un hommage moderniste rendu à la population afro-brésilienne, puis pointée du doigt comme illustration des stéréotypes racistes et sexistes propres aux sociétés brésiliennes et françaises des années 1920, cette femme noire qui nous regarde en face n’a toujours pas fini d’interroger son public. Bien que Tarsila ait dit, rétrospectivement, s’être inspirée du souvenir d’une ancienne esclave qui habitait la fazenda familiale, et qu’une feuille de bananier stylisée, sur le fond, suggère un environnement tropical, ce personnage, peint à Paris en 1923, ressemble moins à un portrait qu’à une composition parfaitement dans l’air du temps, dans laquelle une sculpture totémique africaine rencontrerait les géométries colorées d’un Léger. Lorsqu’elle l’expose à Paris, Tarsila titre cette œuvre «La Négresse», songeant peut-être à la Négresse blanche que Brancusi sculpte la même année. C’est bien en tant qu’icône «primitive» et «moderne», selon les canons parisiens de l’époque, que Cendrars la choisit pour illustrer la couverture du recueil de poèmes qu’il consacre à son voyage brésilien. Mais A Negra renoue aussi avec l’iconographie toute brésilienne de la «mère noire», esthétisant la figure des femmes afro-descendantes dans le rôle de nourrices auquel elles ont été longtemps reléguées.
 
Tarsila do Amaral. A Negra III [La négresse III], vers 1923. Encre de Chine sur papier, 25,5 × 19,2 cm. Collection particulière. © Photo Isabella Matheus. © Tarsila do Amaral Licenciamento e Empreendimentos S.A.

 
Tarsila do Amaral. Bicho barrigudo [Animal au gros ventre], étude pour un costume de ballet, 1925. Aquarelle sur papier, 23,2 x 15,5 cm. Collection particulière.

Scénographie
 
Tarsila do Amaral. Sans titre, Projet d’illustration pour Feuilles de route de Blaise Cendrars, vers 1924. Encre sur papier, 23,2 x 31 cm. Bibliothèque nationale suisse, archives littéraires suisses, fonds Blaise Cendrars, Berne. © Photo Bibliothèque nationale suisse, Berne. © Tarsila do Amaral Licenciamento e Empreendimentos S.A.

 
Tarsila do Amaral. Carnaval, illustration pour Pau Brasil d’Oswald de Andrade, Paris, Au sans pareil, 1925, p. 61, 1925. Encre de Chine sur papier, 12,5 x 13,5 cm. Coleção de Arte da Cidade / CCSP / SMC / PMSP, São Paulo.

Scénographie
Scénographie. Photo Didier Plowy.
Tarsila do Amaral. Batizado de Macunaíma [Baptême de Macounaïma], 1956. Huile sur toile, 132,5 x 250 cm. Collection particulière.

Sur commande de la maison d'édition Livraria Martins, Tarsila peint ce tableau en 1956, en hommage au roman Macounaïma publié en 1928 par Mário de Andrade. Le protagoniste de cet ouvrage fondateur du modernisme brésilien, basé sur les recherches de son auteur sur les mythes et légendes du folklore autochtone, est un anti-héros en transformation constante prenant les traits d'un indigène, d'un afro-descendant, d'un européen blanc; il est homme et femme à la fois, enfant de la nature sauvage et fasciné par la modernité bruyante de la métropole. Métaphore carnavalesque et ludique de l'inconscient collectif brésilien et de sa nature métisse, dépourvu de préjugé et de morale, Macounaïma réunit en soi toutes les qualités et les défauts de l'être humain.
 
Tarsila do Amaral. Vendedor de frutas [Vendeur de fruits], 1925. Huile sur toile, 108 x 84,5 cm. Museu de Arte Moderna, collection Gilberto Chateaubriand, Rio de Janeiro.

 
Tarsila do Amaral. Carnaval em Madureira [Carnaval à Madureira], 1924. Huile sur toile, 76 x 63,5 cm. Fundação José e Paulina Nemirovsky, São Paulo, en dépôt à la Pinacoteca do Estado de São Paulo. © Pinacoteca de São Paulo / photo Isabella Matheus. © Tarsila do Amaral Licenciamento e Empreendimentos S.A.

En 1924, avec ses amis modernistes, Tarsila visite Rio de Janeiro lors du carnaval. À Madureira, quartier populaire de la ville, elle découvre une réplique en bois de la tour Eiffel, hommage rendu à l’aviateur brésilien Alberto Santos Dumond qui avait volé en dirigeable dans le ciel de la Ville lumière, en 1906. Tout en jouant sur le déplacement déroutant de ce symbole parisien dans les faubourgs brésiliens, Tarsila s’approprie le thème du carnaval, issu de la culture populaire, comme sujet national. À la manière de O Mamoeiro (Le Papayer), dans lequel une favela de Rio est présentée comme un village paisible et bariolé, ce quartier populaire de Rio de Janeiro incarne, chez Tarsila, un espace idéal et romantique dans lequel des éléments disparates, voire contradictoires, cohabiteraient sans conflit.
Scénographie
 
Tarsila do Amaral. A Cuca [La Cuca], 1924. Huile sur toile, 60,5 × 72,5 cm. Centre national des arts plastiques, Paris, en dépôt au musée de Grenoble. © Ville de Grenoble - Musée de Grenoble / photo J.L. Lacroix. © Tarsila do Amaral Licenciamento e Empreendimentos S.A.

Dans un paysage verdoyant, Tarsila dit avoir réuni «un animal étrange, un crapaud, un tatou et un autre animal inventé». Dans le folklore brésilien, la Cuca est un redoutable croquemitaine et les personnages que Tarsila dit avoir inventés sont en réalité tirés de motifs autochtones que l’artiste étudie dans les musées ethnologiques. Les mêmes sources inspirent un projet de costumes pour un «ballet brésilien» (jamais réalisé) avec livret d’Oswald de Andrade et musique d’Heitor Villa-Lobos, sur le modèle des fameux ballets russes et suédois.
 
Tarsila do Amaral. O Mamoeiro [Le papayer], 1925. Huile sur toile, 65 x 70 cm. Coleção de Artes Visuais do Instituto de Estudos Brasileiros – USP, São Paulo.

Scénographie
 
Tarsila do Amaral. Mulher azul (Mãe-d’água) [Femme bleue (Mère de l’Eau)], étude pour un costume de ballet, 1925. Aquarelle et mine de plomb sur papier, 22 x 17 cm. Collection particulière.

 
Tarsila do Amaral. Saci-Pererê, 1925. Gouache et encre de Chine sur papier, 23,1 x 18 cm. Collection particulière. © Photo Isabella Matheus. © Tarsila do Amaral Licenciamento e Empreendimentos S.A.

Scénographie. Photo Didier Plowy.
 
Tarsila do Amaral. Religião brasileira I [Religion brésilienne I], 1927. Huile sur toile, 63 x 76 cm. Acervo Artístico-Cultural dos Palácios do Governo do Estado de São Paulo.

Ce tableau s'inspire d’un autel domestique typiquement brésilien, sur lequel des éléments disparates - objets d'artisanat, vases de fleurs en papier crépon - entourent des effigies religieuses. L'accumulation d'éléments qui remplissent la surface de la toile sans aucune symétrie accentue l'aspect spontané de cette composition votive. Pour Tarsila, l'emploi du «bleu très pur», du «vert chantant» et du «rose violacé», associé au thème populaire du tableau, représente une forme de revanche contre l'oppression du «bon goût» étranger. Exaltant ces mêmes couleurs, la fleur typiquement brésilienne qui, dans ce tableau, est purement décorative, prend un aspect monumental, presque totémique, dans Manacá, qui annonce l'évolution de la peinture de Tarsila vers la phase dite anthropophagique.
 
Tarsila do Amaral. Manacá, 1927. Huile sur toile, 76 x 63,5 cm. Collection particulière. © Courtesy of Almeida & Dale Galeria de Arte / photo Sergio Guerini. © Tarsila do Amaral Licenciamento e Empreendimentos S.A.



Le Brésil cannibale

Scénographie

En 1928, la figure de Abaporu (en langue indigène tupi-guarani : «Homme qui mange [un autre homme]»), donne naissance au mouvement «anthropophage». Faisant référence à la pratique indigène de dévoration de l’autre dans le but d’en assimiler les qualités, l’Anthropophagie décrit, métaphoriquement, le mode d’appropriation et de réélaboration constructive, de la part des Brésiliens, des cultures étrangères et colonisatrices. Délaissant la description de sujets populaires et les géométries d’origine cubiste, les œuvres de Tarsila présentent désormais un syncrétisme plus symbolique que narratif, dans lequel un riche répertoire européen et brésilien est ainsi «dégluti» et définitivement transformé. Ces peintures, que l’artiste qualifie de «brutales et sincères», échappent à toute lecture univoque et à toute codification convenue. Les éléments naturels et architecturaux se confondent dans des paysages suggestifs et évocateurs qui transportent l’observateur vers des dimensions magiques ou oniriques, tandis que les dessins se peuplent de «personnages aux pieds énormes, plantes grasses et enflées, et animaux étranges qu’aucun naturaliste ne pourrait classer».

 
Texte du panneau didactique.
 
Tarsila do Amaral. Cartão-postal [Carte postale], 1929. Huile sur toile, 127,5 x 142,5 cm. Collection particulière. © Collection particulière, Rio de Janeiro / Photo Jaime Acioli. © Tarsila do Amaral Licenciamento e Empreendimentos S.A.

Dans cette «carte postale» anthropophage, plusieurs paysages brésiliens sont à nouveau réunis, autour de l’incontournable Pain de sucre évoquant la ville de Rio de Janeiro. Dans cet environnement, où Tarsila rassemble tous les éléments du vocabulaire qu’elle a créé depuis 1924, la mer peut cohabiter avec les cactus du désert, et les palmiers des villes du sud du Brésil avec la végétation tropicale de la forêt amazonienne. D’étranges animaux autochtones, à mi-chemin entre singes et paresseux, avec des mains presque humaines, habitent l’univers paisible d’un peuple qui, à la différence des Européens, n’a jamais fait la distinction entre «urbain, suburbain, frontalier et continental», et vit «paresseux dans la mappemonde du Brésil» (Manifeste Anthropophage).
 
Tarsila do Amaral. Urutu, 1928. Huile sur toile, 60,5 x 72,5 cm. Museu de Arte Moderna, collection Gilberto Chateaubriand, Rio de Janeiro. © Gilberto Chateaubriand MAM Rio de Janeiro / Photo Romulo Fialdini et Valentino Fialdini. © Tarsila do Amaral Licenciamento e Empreendimentos S.A.

Urutu (intitulé «L’œuf», lors de sa première présentation à Paris, en 1928) rejoint une symbolique largement exploitée par les modernistes, qui décrit le Brésil comme le pays du «cobra grande» («grand serpent»), allusion à ce reptile gigantesque caché dans les profondeurs des rivières ou des lacs qui, selon le mythe indigène, incarne l’esprit des eaux. Enveloppant un œuf qu’il s’apprête à dévorer, il pourrait ici évoquer un retour aux origines, ou à l’«âge d’or annoncé par l’Amérique» selon le manifeste anthropophage, c’est-à-dire à une époque précoloniale, précapitaliste et préreligieuse. En 1931, le mythe du cobra grande revient aussi dans le célèbre roman de Raul Bopp, Cobra Norato.
 
Tarsila do Amaral. O Sapo [Le crapaud], 1928. Huile sur toile, 51 x 62 cm. Museu de Arte Brasileira – MAB FAAP, São Paulo.

Scénographie. Photo Didier Plowy.
 
Tarsila do Amaral. Floresta [Forêt], 1929. Huile sur toile, 63,9 x 76,2 cm. Museu de Arte Contemporânea da Universidade de São Paulo, donation du Museu de Arte Moderna de São Paulo par André Dreyfus. © MAC USP Collection, São Paulo, Brazil / photo Romulo Fialdini. © Tarsila do Amaral Licenciamento e Empreendimentos S.A.

 
Tarsila do Amaral. Distância [Distance], 1928. Huile sur toile, 65,5 x 75 cm. Fundaçao José e Paulina Nemirovsky, São Paulo en dépôt à la Pinacoteca do Estado de São Paulo. © Pinacoteca de São Paulo / photo Isabella Matheus. © Tarsila do Amaral Licenciamento e Empreendimentos S.A.

Rétrospectivement, Tarsila interprète plusieurs tableaux de la période anthropophage comme la traduction de rêves, de réminiscences enfantines ou d’images de l’inconscient apparues dans des états de semi-éveil. Ses environnements énigmatiques ont été parfois comparés aux œuvres de Magritte ou de De Chirico – dont Tarsila possédait un tableau dans sa propre collection. Quoique sans lien déclaré avec le surréalisme, la métaphysique ou la psychanalyse, les anthropophages connaissent bien toutes ces références, qui font assurément partie de la vaste et profonde culture, européenne et américaine, que l’artiste « déglutit » et transforme dans son œuvre.
 
Tarsila do Amaral. Paisagem (paisagem com cabeleira do Pão de Açúcar sobre o mar) [Paysage (paysage avec le Pain de Sucre au-dessus de la mer)], 1933. Mine de plomb et crayon de couleur sur carton, 19 x 16,2 cm. Collection particulière.

 
Tarsila do Amaral. Composição (Figura só) [Composition (figure seule)], 1930. Encre métallo-gallique sur papier, 14,8 x 17 cm. Collection particulière.

 
Tarsila do Amaral. Calmaria II [Bonace II], 1929. Huile sur toile, 75 x 93 cm. Acervo Artístico-Cultural dos Palácios do Governo do Estado de São Paulo.

 
Tarsila do Amaral. O Touro (Boi na floresta) [Le taureau (bœuf dans la forêt)], 1928. Huile sur toile, 50,3 x 61 cm. Museu de Arte Moderna da Bahia, Salvador de Bahia. © Photo Romulo Fialdini. © Tarsila do Amaral Licenciamento e Empreendimentos S.A.

 
Tarsila do Amaral. Bicho com triângulo [Animal avec triangle], 1930. Mine de plomb sur papier, 19,5 x 26,5 cm. Collection particulière.

 
Tarsila do Amaral. Paisagem com bicho antropofágico III [Paysage avec un animal anthropophage III], vers 1930. Crayon de couleurs et pastel sur papier, 18 x 23 cm. Collection particulière.

 
Tarsila do Amaral. Abaporu V, 1928. Encre de Chine sur papier, 24,5 x 18,5 cm. Collection particulière. © Photo Romulo Fialdini. © Tarsila do Amaral Licenciamento e Empreendimentos S.A.

 
Tarsila do Amaral. Cidade (A Rua) [Ville (la rue)], 1929. Huile sur toile, 81 x 54 cm. Collection particulière.



Travailleurs et travailleuses

Scénographie

Fin 1929, séparée d’Oswald de Andrade, Tarsila subit de plein fouet les conséquences du krach boursier de New York. Ses propriétés étant hypothéquées, elle doit s’habituer à̀ un mode de vie bien plus modeste que celui qu’elle a connu jusqu’alors. Aux côtés d’Osório César, jeune médecin et intellectuel de gauche, elle s’intéresse au modèle économique et social promu par le gouvernement soviétique.
Un voyage en URSS et ses idées politiques - qui lui coûtent la prison, en 1932, sous le gouvernement de Getúlio Vargas – marquent le contenu et le style de ses nouvelles peintures, qui suivent les préceptes du «réalisme social». Les classes populaires, évoquées par les silhouettes anonymes des tableaux des années 1920, deviennent désormais les véritables protagonistes de ses fresques sociales, à mesure que les couleurs vives laissent place à des tons plus sobres. Alors que, dès 1937, la dictature relègue les artistes femmes à des modèles traditionnels et à des thèmes intimistes, Tarsila continue d’explorer le monde du travail avec un regard critique ou poétique, que ce soit dans un milieu rural, urbain ou industriel, s’intéressant aussi à la condition féminine.

 
Texte du panneau didactique.
 
Osório César. Onde o Proletariado Dirige… Visão panorâmica da Rússia Soviética, São Paulo, Edição Brasileira, 1932. Ouvrage illustré par Tarsila do Amaral, 19,3 x 14,5 x 3,1 cm (fermé). Biblioteca do Instituto de Estudos Brasileiros – USP, São Paulo.

Osório César livre dans cet ouvrage sa description de l'organisation politique et sociale en URSS, observée lors de son voyage avec Tarsila, en 1931. Cette dernière réalise les illustrations et la couverture, clairement inspirés de l'esthétique des affiches de propagande soviétique. Lors du même voyage, elle réunit une collection de ces affiches, qu'elle expose en 1933 au Clubes dos Artistas Modernos à São Paulo et qu'elle présente lors d'une conférence sur «l'art prolétarien».
 
Étude pour l’affiche de l’exposition de Tarsila do Amaral, Moscou, musée national d’Art moderne occidental (GMNZI), 1931. Aquarelle sur papier, 31 x 48 cm. Museu de Arte Contemporânea da Universidade de São Paulo, don de Fulvia et Aldolphe Leirner.

 
Tarsila do Amaral. Trabalhadores [Travailleurs], 1938. Huile sur toile, 81 x 100 cm. Banco Central do Brasil, en dépôt au Museu de Arte de São Paulo – Assis Chateaubriand. © Photo MASP. © Tarsila do Amaral Licenciamento e Empreendimentos S.A.

Scénographie. Photo Didier Plowy.
 
Tarsila do Amaral. Version inachevée de Segunda classe [Seconde classe], sans date. Huile diluée sur papier, 31 x 43 cm. Collection particulière.

 
Tarsila do Amaral. Costureiras [Couturières], 1950. Huile sur toile, 73,3 x 100,2 cm. Museu de Arte Contemporânea da Universidade de São Paulo, donation Francisco Matarazzo Sobrinho, São Paulo.

La place des femmes dans le monde du travail est évoquée par ce tableau, commencé au milieu des années 1930, puis repris et finalisé en 1950. À la différence de Operarios, exposé dans cette salle, le traitement du groupe prime sur la définition individuelle de chaque personnage. Renouant avec certains tableaux de l'époque cubiste, Tarsila se sert du jeu de lignes obliques pour accentuer la relation entre les éléments du tableau (les travailleuses) et leur intégration dans l’espace environnant. Comme pour Operários, une affiche de l'artiste soviétique Valentina Kulagina a servi de modèle à Tarsila, qui s'en inspire pour le traitement des figures féminines.
Tarsila do Amaral. Operarios [Ouvriers], 1933. Huile sur toile, 150 x 205 cm.
Acervo Artístico-Cultural dos Palácios do Governo do Estado de São Paulo. © Artistic-Cultural Collection of the Governmental
Palaces of the State of São Paulo / photo Romulo Fialdini. © Tarsila do Amaral Licenciamento e Empreendimentos S.A.

Les modèles du réalisme social et du muralisme mexicain marquent la principale peinture militante de Tarsila, dont la composition en diagonale est inspirée d’une affiche de l’artiste soviétique Valentina Kulagina. La célébration de la mixité ethnique du peuple brésilien, déjà évoquée dans les œuvres des années 1920, prend une connotation véritablement sociale dans cet hommage à la classe ouvrière de São Paulo, représentée par ces visages de toutes origines sur fond de paysage industriel. On y retrouve quelques portraits significatifs: l’architecte Gregori Warchavchik, dont les constructions rationalistes révolutionnent l’habitat de São Paulo; Eneida de Moraes, emprisonnée avec Tarsila en 1932; son amie proche, la chanteuse Elsie Houston, ou encore l’administrateur de sa fazenda familiale.
 
Tarsila do Amaral. Étude pour Operarios [Ouvriers], 1933. Mine de plomb sur papier, 38,7 x 52,7 cm. Collection particulière.

 
Tarsila do Amaral. Estratosfera [Stratosphère], 1947. Huile sur toile, 50 x 65 cm. Acervo Artístico-Cultural dos Palácios do Governo do Estado de São Paulo.

 
Tarsila do Amaral. Terra [Terre], 1943. Huile sur toile, 61 x 81 cm. Collection particulière. © Photo Marcio Rangel. © Tarsila do Amaral Licenciamento e Empreendimentos S.A.

Jamais exposée dans les rétrospectives de l’artiste après sa mort, une petite série de la fin des années 1940, aux touches légères, presque pointillistes, inaugure un nouveau virage stylistique. Le titre de ce tableau et le lien du personnage avec la terre pourraient ici faire allusion aux luttes paysannes qui animent le contexte rural brésilien à cette époque. Cependant, Tarsila semble prendre ses distances avec le réalisme social, pour revenir aux ambiances métaphysiques et au gigantisme onirique qui avait déjà caractérisé les peintures de la période anthropophage. Le cactus réapparaît, tandis que les montagnes à l’horizon se fondent avec les cheveux du personnage allongé, en symbiose avec le paysage, comme l’était Abaporu et les personnages des dessins de 1928 à 1930.
 
Tarsila do Amaral. Lenhador em repouso [Bûcheron au repos], 1940. Huile sur toile, 90 x 65,5 cm. Collection particulière.



Nouveaux paysages

Scénographie

Dans les années 1950, Tarsila se consacre à̀ de nombreuses commandes et à des projets d’illustrations, tout en participant à des expositions collectives, dont les deux premières biennales de São Paulo.
Avec un regard rétrospectif sur son œuvre, elle revisite, en les actualisant, les motifs de ses compositions antérieures. Elle expérimente différents registres formels, variant la façon d’articuler les formes géométriques et organiques qui caractérisent, depuis toujours, son vocabulaire pictural. Toujours à̀ l’affût des évolutions de son environnement, Tarsila accompagne les transformations du paysage urbain brésilien et notamment de São Paulo, avec ses gratte-ciel bleu-gris de plus en plus hauts surplombant les anciennes maisons et la végétation tropicale. Elle se montre aussi réceptive aux codes visuels les plus actuels, alors que, à la fin de la décennie, l’abstraction géométrique et informelle est en plein essor, que le paysagiste Burle Marx multiplie ses jardins multicolores de plantes autochtones, et que, sous la direction d’Oscar Niemeyer et Lucio Costa, le chantier de la nouvelle capitale, Brasilia, vient tout juste de commencer.

 
Texte du panneau didactique.
 
Tarsila do Amaral. Calmaria III [Bonace III], sans date [années 1960]. Huile sur toile, 73 x 97 cm. Collection particulière.

Dans cette toile, peinte dans les années 1960, Tarsila semble vouloir expérimenter la touche gestuelle et pâteuse de l’abstraction informelle qui foisonne à la Biennale de São Paulo de 1959. Même lorsqu'elle reprend des motifs plus anciens - comme dans ce tableau, dans lequel elle revisite sa composition homonyme de 1929 - le recours à des formes géométriques plus ou moins épurées donne lieu à des nouveaux paysages qui, à la différence des environnements anthropophagiques, sont désormais plus réels qu'imaginaires, matérialisés par des architectes visionnaires comme Oscar Niemeyer où des peintres paysagistes comme Roberto Burle Marx.
 
Tarsila do Amaral. Paisagem com quinze casas [Paysage avec quinze maisons], 1965. Huile sur toile, 50 x 60 cm. Collection particulière.

 
Tarsila do Amaral. Paisagem com flores rosas e roxas [Paysage avec des fleurs roses et violettes], 1963. Huile sur toile, 65,1 x 80,5 cm. Collection particulière.

Scénographie
 
Tarsila do Amaral. A Metrópole [La métropole], 1958. Huile sur toile, 88 x 109 cm. Collection particulière. © Photo Marcelo Spatafora. © Tarsila do Amaral Licenciamento e Empreendimentos S.A.

Entre 1920 et 1960, le paysage brésilien a considérablement changé, tout comme sa représentation. Suite à une nouvelle vague migratoire interne et sous l’effet de la pression immobilière, les gratte-ciel dépassent bientôt les limites du centre-ville pour atteindre les quartiers périphériques. L’artiste représente les tours d’immeubles qui composent désormais l’horizon de la ville avec des tons gris, bleus et violets, dans un langage presque abstrait qui semble rejoindre les géométries expérimentales des jeunes artistes avec qui elle partage les salles de la Biennale de São Paulo et de Venise, dans les années 1950 et 1960.
 
Tarsila do Amaral. Porto I [Port I], 1953. Huile sur toile, 70 x 100 cm. Banco Central do Brasil, en dépôt au Museu de Arte de São Paulo – Assis Chateaubriand. © Photo MASP. © Tarsila do Amaral Licenciamento e Empreendimentos S.A.

 
Tarsila do Amaral. Vilarejo com ponte e mamoeiro [Village avec pont et papayer], 1953. Huile sur toile, 41 x 52 cm. Collection particulière.

 
Tarsila do Amaral. Passagem de nível III [Passage à niveau III], 1965. Huile sur toile, 40 x 49 cm. Collection particulière. © Photo Jaime Acioli. © Tarsila do Amaral Licenciamento e Empreendimentos S.A.

Scénographie
 
Tarsila do Amaral. Étude d’une illustration pour la revue Jaraguá, vers 1950. Gouache et encre sur papier, 30 x 22 cm. Collection particulière. © Photo Falcâo Júnior. © Tarsila do Amaral Licenciamento e Empreendimentos S.A.

Dans l’illustration qu’elle réalise en 1950 pour la revue Jaraguá, Tarsila reprend et réactualise le motif de Modelo (Le modèle), traité en peinture et dessin en 1923. Dans cette nouvelle version, des suggestions tropicales et des motifs décoratifs contredisent la rigide structure géométrique d’origine cubiste, tandis que, au deuxième plan, les gratte-ciel d’une ville moderne se superposent à la stylisation du paysage naturel, déjà présent dans la composition de 1923.
 
Tarsila do Amaral. Étude pour la couverture de la partition de Suíte infantil de João de Souza Lima, vers 1939. Mine de plomb, encre de Chine et huile sur carton, 24,6 x 18,4 cm. Collection particulière.