LE TALISMAN de Paul Sérusier
Une prophétie de la couleur

LE « TALISMAN » DE PAUL SÉRUSIER. Une prophétie de la couleur. En 1888, le jeune peintre Paul Sérusier (1864-1927) fait un petit tableau de 27 x 21,5 cm, sur ce que Maurice Denis (1870-1943) qualifiera de boîte à cigares mais qui se révèle être, en réalité, comme le montrent des analyses récentes, un support de peinture fabriqué spécialement pour cet usage. Sérusier peint, à Pont-Aven, ce Paysage au Bois d’Amour, que l’on nommera plus tard Le Talisman, « selon les indications de Paul Gauguin » (1848-1903), son aîné. Celui-ci conseillait de ne pas copier d’après nature.  « L’art est une abstraction. Tirez-la de la nature en rêvant devant et pensez plus à la création qu’au résultat », écrivait-il à Émile Schuffenecker en 1888. De son côté, Maurice Denis rapporte ces propos : « Comment voyez-vous cet arbre, avait-dit Gauguin devant un coin du Bois d’Amour : il est bien vert ? Mettez-donc du vert, le plus beau vert de votre palette ; et cette ombre, plutôt bleue ? Ne craignez pas de la peindre aussi bleue que possible ». C’est ce que fait Sérusier dans son petit tableau. On y voit d’abord de grandes tâches de couleurs vives et des traits verticaux mais ensuite on voit bien qu’il s’agit d’une rangée d’arbres qui se reflètent dans une rivière.
De retour à Paris, Sérusier montre ce tableau à ses amis de l’Académie Julian qui voient dans ce paysage synthétique, aux couleurs pures et aux formes simplifiées, le symbole d’une véritable révolution esthétique et en font leur « talisman ». Ensemble, ils inventent le nom de Nabi, prophète en hébreu, pour se désigner. Sérusier, Denis, Ranson, Piot, Ibels et Bonnard en sont les premiers membres. Ils sont bientôt rejoints par Vuillard, Roussel, Verkade, Ballin, Vallotton et Lacombe. Grâce à une soixantaine de tableaux provenant des musées d’Orsay et de Pont-Aven, de diverses institutions publiques et de collections privées, il nous est possible de voir des œuvres  de la plupart de ces peintres et en particulier de Sérusier et de Denis, réalisées à cette époque (entre 1888 et 1895). L’accrochage à l’entrée de l’exposition du Talisman à côté d’Intérieur à Pont-Aven, peint la même année par Sérusier, montre le saut gigantesque effectué par ce dernier pour suivre les indications de Gauguin.
Le parcours de l’exposition s’appuie en partie sur des citations de Gauguin : « Une leçon de peinture au bois d’Amour » ; « Comment voyez-vous cet arbre ? » ; « Une surface plane recouverte de couleurs » mais évoque aussi « L’éclosion du synthétisme » et les réunions des Nabis. En effet ceux-ci avaient pris l’habitude de se retrouver régulièrement lors de dîners rapidement transformés en simulacres de cérémonies religieuses. Au cours de celles-ci chacun présentait une petite peinture, qu’ils désignaient entre eux du nom d’icône, traitant de sujets très divers, scènes religieuses ou paysages, peints avec une grande liberté dans la composition et l’utilisation des couleurs. Une quinzaine de petites toiles exposées ici ont pu servir d’icônes.
La dernière section, « Sérusier, peintre et théoricien », tranche avec les autres. Sérusier mène des recherches sur le bon usage des couleurs en peinture et publie, en 1921, un ouvrage, l’ABC de la peinture, dont on trouve une illustration dans son tableau Dissonance chaude / Dissonance froide (vers 1921). Il invente ses propres cercles chromatiques et découvre les principes de l’esthétique de Beuron, un art hiératique fondé sur une étude approfondie des mathématiques sacrées appelées également Saintes Mesures. Les tableaux qui en résultent, comme Tétraèdres (1910), sont à rapprocher de ceux de Vassily Kandinsky (1866-1944) accrochés ici. Une exposition enrichissante, avec des panneaux didactiques et des cartels très explicites. R.P. Musée d’Orsay 7e. Jusqu’au 2 juin 2019. Lien : www.musee-orsay.fr.