Parcours en images et en vidéos de l'exposition

SURRÉALISME

avec des visuels mis à la disposition de la presse
et nos propres prises de vue

Parcours accompagnant l'article publié dans la Lettre n°600 du 18 septembre 2024



Titre de l'exposition
Entrée de l'exposition
Parcours de l'exposition (nota: la salle 3 a changé de nom)

Metteur en scène attitré des expositions surréalistes, Marcel Duchamp donne à celle de 1947 la forme d’un labyrinthe. L’étymologie du mot provient du grec labrys désignant une double hache dont chaque côté représente l’été et l’hiver. Le labyrinthe renferme un secret: il héberge le Minotaure, être double, mi-homme mi-animal. Au sein du labyrinthe «la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l’incommunicable, le haut et le bas cessent d’être perçus contradictoirement» (André Breton). Rien d’étonnant à ce que le labyrinthe soit devenu l’emblème du surréalisme qui, de sa création en 1924 jusqu’à sa dissolution à la fin des années 1960, revendique cette réconciliation des contraires.

Vous, qui vous apprêtez à y entrez, laissez à sa porte toutes les idées claires que vous dicte la raison. Entre ses murs, la nature «dévore le progrès», la nuit fusionne avec le jour, le rêve se mêle à la réalité.

 
Texte du panneau didactique.
 
André Breton. Autoportrait dans un photomaton, vers 1929. Centre Pompidou.
Scénographie (entrée du labyrinthe)
 
Jean Aurenche, Marie-Berthe Aurenche et Max Ernst. Autoportrait dans un photomaton, vers 1929. Centre Pompidou.
 
René Magritte. Autoportrait dans un photomaton, vers 1929. Centre Pompidou.
Scénographie avec projection d'une vidéo à 360°.
Projection multimédia. Durée: 6 min 10 s. Commissariat associé : Thierry Dufrène, professeur d'histoire de l'art à l'Université Paris Nanterre, avec la participation de Cédric Plessiet, professeur à l'université Paris 8, en collaboration avec l'École Universitaire de Recherche ArTeC. Direction artistique et graphisme: Nicolas Lichtlé. Produit par la Service de la Production audiovisuelle du centre Pompidou, en collaboration avec l'Institut de recherche et coordination acoustique/musique (Ircam), 2024. Avec les voix d'Élodie Huber, Hugues Jourdain et Gabriel Dufay. Simone Breton, inventaire du Bureau des recherches surréalistes, 1924. André Breton, Manifeste du surréalisme, 1924. Louis Aragon, Une vasgue de rêves, 1924; Le paysan de Paris, 1926.


Citation
Scénographie avec le manuscrit original du Manifeste du surréalisme d'André Breton.
 
Scénographie: détail.
 
Scénographie: détail.
 
André Breton. Manifeste du surréalisme, 1924. Manuscrit original Bibliothèque nationale de France. Achat, 2021. Manuscrit classé Trésor national en 2017. Ph © BnF, Paris. © Adagp, Paris, 2024.
 
André Breton. Manifeste du surréalisme, 1924. Manuscrit original Bibliothèque nationale de France. Achat, 2021. Manuscrit classé Trésor national en 2017. Ph © BnF, Paris. © Adagp, Paris, 2024.


1 - ENTRÉE DES MEDIUMS

Scénographie


Le surréalisme a fait du poète un «voyant», capable de faire résonner son âme au diapason de l’univers, de retrouver l’accord antique de la poésie et de la divination. Giorgio de Chirico ouvre la voie en 1914 en peignant un portrait de Guillaume Apollinaire marqué d’une cible à l’endroit où le poète sera blessé, deux ans plus tard, par un éclat d’obus. En novembre 1922, l’article «Entrée des médiums», que publie André Breton publie dans la revue Littérature, rend compte des séances de sommeil hypnotique auxquelles se livrent les futurs surréalistes. Cette plongée dans l’inconscient, ce «dérèglement de tous les sens» trouvent un écho dans les œuvres des artistes médiumniques et les propos des malades psychotiques. En 1919, André Breton et Philippe Soupault l’appliquent à l’écriture automatique des Champs magnétiques, écrits à quatre mains. Dès 1925, cette méthode trouve sa traduction plastique dans les frottages de Max Ernst ou dans les peintures de sable d’André Masson.
 
Texte du panneau didactique.
 
Marcel Jean (1900-1993). Le Spectre du Gardénia, 1936/1972. Flocage sur plâtre, fermeture éclair, pellicule de film et daim. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Achat, 2009.
 
Victor Brauner (1903-1966). Le Surréaliste, 1er janvier 1947. Huile sur toile. Peggy Guggenheim Collection, Venise (Solomon R. Guggenheim Foundation, New York).
 
Hector Hyppolite (1894-1948). Ogou Ferraille, vers 1947. Huile sur masonite. Courtesy of The Museum of Everything.

En 1945, alors qu'il voyage à Port-au-Prince en Haïti, André Breton fait la connaissance d'Hector Hyppolite, peintre, prêtre vaudou et fondateur du groupe des artistes naïfs d'Haïti. Fasciné par sa peinture qui, par bien des aspects, s'apparente au surréalisme, le poète acquiert plusieurs peintures, dont ce portrait d'Ogou Feray, patron des forgerons dans le culte vaudou. Il y reconnaît la figure du bateleur, personnage essentiel du tarot de Marseille, reconnaissable à son bâton, sa coupe, son épée et ses deniers. Le tarot, par ses qualités divinatoires, ne pouvait qu'intéresser les surréalistes. En 1947, c'est encore sous les traits d'un bateleur que Victor Brauner brosse le portrait de Breton.
 
Giorgio De Chirico (1888-1978). Portrait [prémonitoire] de Guillaume Apollinaire, printemps 1914. Huile et fusain sur toile. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Achat, 1975.

Arrivé à Paris en 1911. Giorgio de Chirico ne tarde pas à se rapprocher du groupe d'artistes formé autour de Guillaume Apollinaire. En 1914, il réalise un portrait de l'écrivain qu'il dote des attributs d'Orphée, poète et musicien de la mythologie grecque: un buste antique et une lyre, symbolisée par un coquillage. La paire de lunettes noires évoque la «voyance» du regard poétique, sa capacité à percevoir le monde au-delà de ses apparences concrètes. À l'arrière-plan, la silhouette du poète est marquée d’une cible blanche désignant précisément l'emplacement où Apollinaire sera frappé par un éclat d'obus deux ans plus tard. Ce pouvoir de prémonition fascinera les surréalistes qui accueilleront longtemps Chirico comme l'un des leurs avant leur rupture en 1929.
 
Giorgio De Chirico (1888- 1978). Le Cerveau de l'enfant, 1914. Huile sur toile. Moderna Museet, Stockholm.

En 1916, alors qu'il voyage à bord d'un autobus. André Breton descend en marche, irrésistiblement attiré par un tableau accroché dans la vitrine de la galerie Paul Guillaume. Le poète finira par acquérir cette œuvre «chargée de magie quotidienne» et douée d'un «pouvoir de choc exceptionnel», qu'il conservera presque toute sa vie. Rebaptisée Le Cerveau de l'enfant par Louis Aragon, reproduite dans la revue Littérature, l'œuvre qui montre un personnage aux yeux clos, devient pour les futurs surréalistes le symbole du monde intérieur, la métaphore de procès fait au monde sensible, à la réalité. Lorsque Yves Tanguy relatera être lui aussi descendu d'une voiture en marche pour admirer cette peinture, l'œuvre rejoindra les nombreux exemples surréalistes de «hasard objectif».
Scénographie
 
Max Ernst (1891-1976). L'Armée céleste, vers 1925-1926. Huile sur toile. Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles. Acquis de M. Jacques Bolle, Bruxelles, 1965.

Dans le Manifeste du surréalisme, André Breton définit l'écriture automatique comme la voie d'accès privilégiée à l'inconscient. Les images que Max Ernst fait naître en frottant à la craie une feuille de papier posée sur les lattes d’un vieux parquet, en constituent l'une des premières réponses plastiques. Transposant ce principe à la peinture, l'artiste met au point la technique du grattage, consistant à révéler la présence d'objets posés sous une toile peinte. Ces œuvres, qui manifestent un désir d'expression immédiate, non préméditée, trouvent un écho dans les peintures de sable d'André Masson commencées à l'automne 1926. Préalablement enduite de colle, la toile retient le sable en un dessin aléatoire ensuite rehaussé de couleur.
 
Óscar Dom¡nquez (1906-1957). Lion-Bicyclette, 1937. Décalcomanie, gouache au pochoir sur papier. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Achat, 1975.

Entré dans le groupe surréaliste en 1934, Óscar Dominquez l'enrichit de la technique de la décalcomanie qui s'ajoute aux pratiques automatiques du frottage, du grattage et du fumage consistant à utiliser les traces de suie laissées par la fumée d'une bougie. Dans un article publié dans Minotaure, Breton salue ce principe «à la portée de tous », déjà utilisé par Victor Hugo: «Étendez au moyen d'un gros pinceau de la gouache noire, sur une feuille de papier blanc que vous recouvrez aussitôt d'une feuille sur laquelle vous exercez du revers de la main une pression moyenne; soulevez sans hâte.» De nombreux artistes développeront ce procédé, notamment le poète et artiste japonais Shüzo Takiguchi, organisateur de la première «Exposition internationale du surréalisme» au Japon en 1937.
 
Man Ray (1890-1976). Rayogramme, vers 1926. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Achat, 1988.

En 1922, peu de temps après son arrivée à Paris, Man Ray redécouvre le photogramme, un procédé photographique ancien, consistant à disposer des objets sur une surface préalablement sensibilisée puis exposée à la lumière. À l'issue de l'opération, seuls les contours des objets subsistent générant des compositions énigmatiques, sources de projections poétiques inédites. Man Ray, qui pratique assidûment le photogramme tout au long de sa carrière, confie: «C'est la lumière qui crée. Je m'assieds devant ma feuille de papier sensible et je pense». Le hasard ainsi que le caractère magique de la technique fascinent ses camarades surréalistes qui voient dans le photogramme une traduction parfaite du concept d'écriture automatique, au même titre que la décalcomanie.
 
Edith Rimmington (1902-1986). Museum, 1951. Plume, encre, gouache et aquarelle sur papier, 32 x 23,5 cm. The Murray Family Collection (UK & USA).
 
Françoise Fondrillon (vers 1830-?). Dessin médianimique, 1909. Graphite et crayon de couleur sur papier. Collection particulière. Courtoisie Galerie 1900-2000.
 
Salvador Dali (1904-1989). Le Rêve, 1931. Huile sur toile. The Cleveland Museum of Art, John L. Severance Fund.
Scénographie
 
Matta (1911-2002). Le Poète (Un poète de notre connaissance), 1945. Huile sur toile. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Achat grâce au mécénat de Tilder, 2016.

Le jeune Chilien Roberto Matta fait la connaissance des surréalistes en 1937: «J'étais très jeune, tout à fait inexpérimenté [...] ils regardèrent mes dessins et ils me dirent: Tu es surréaliste? Je ne savais même pas ce que cela voulait dire.» Exilé aux États-Unis pendant la guerre, l'artiste peint cette figure totémique pointant son revolver vers le spectateur. Portrait crypté d'André Breton, cette figure nue, brutale et hallucinatoire symbolise à elle seule la poétique révolutionnaire du surréalisme.
 
Odilon Redon (1840-1916). Les Yeux clos, 1890. Huile sur toile marouflée sur carton. Musée d'Orsay, Paris.

En 1957, Breton publie L'Art magique, un musée imaginaire de la préhistoire à l'art moderne, revisité par la pensée surréaliste. Le peintre symboliste Odilon Redon y figure en bonne place. Le titre de son premier recueil lithographique, Le Rêve, publié en 1878, donnait déjà la clé de sa peinture onirique qui anticipe les préoccupations du mouvement surréaliste. En témoigne ce probable portrait de son épouse Camille Falte, les yeux clos, dans lequel l'extrême dilution de la peinture rend le sujet presque immatériel, flottant dans un espace vaporeux.
 
Fleury Joseph Crépin (1875 - 1948). Temple, 11 octobre 1941. Huile sur toile. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne. Paris. Don de Mme Jacqueline Victor Brauner, 1973.

En 1933, André Breton publie dans la revue Minotaure un texte intitulé «Le Message automatique», dans lequel il reconnaît l'importance artistique des créations des artistes spirites. Illustré par une gravure de Victorien Sardou, La Maison de Mozart, l'article établit un lien entre les réalisations médiumniques et l'écriture automatique: «la main de Sardou entraînée par une force occulte, fait suivre au burin la marche la plus irrégulière avec une rapidité inouïe». Les œuvres d'Augustin Lesage, de Fleury Joseph Crépin ou encore de Françoise Fondrillon, dictées, selon leurs auteurs, par des esprits ou des voix extérieures, seront attentivement regardées par les surréalistes.
 
Jean-Claude Silbermann (né en 1935). La Voyante, 1961. Huile sur toile. Collection Jean-Jacques Plaisance. Les Yeux Fertiles, Paris.


2 - TRAJECTOIRE DU RÊVE

Étudiant en médecine, André Breton se passionne pour l'ouvrage d'Albert Maury, Le sommeil et les rêves (1861) qui pose les prémisses de l'étude neurologique du rêve. En 1916, assistant au centre neuropsychiatrique de Saint-Dizier, il découvre les méthodes d'interprétation des rêves de malades psychotiques à des fins curatives, préconisées par Sigmund Freud. Transposant les méthodes de la psychanalyse à la poésie, les surréalistes publient leurs «récits de rêve», cherchent à reproduire l'émerveillement des images qui s'offrent à l'esprit, à la lisière du sommeil. Dans Les Vases communicants, publié en 1932, Paul Éluard et André Breton s'appliquent à confondre le monde réel et celui du rêve. «Le rêve ne peut-il être appliqué à la résolution des questions fondamentales de la vie?», s'interrogeait déjà Breton dans le Manifeste du surréalisme.

 
Texte du panneau didactique.
 
Salvador Dalí. Rêve causé par le vol d’une abeille autour d’une pomme-grenade, une seconde avant l’éveil, 1944. Huile sur bois, 51 x 41 cm. Museo Nacional Thyssen-Bornemisza, Madrid. Ph © As per the specifications of the heirs of the Copyright owner or the managing society. Provenance: Museo Nacional Thyssen-Bornemisza, Madrid. © Salvador Dalí, Fundació Gala-Salvador Dali / Adagp, Paris 2024.
 
Joan Miró (1893-1983). La Sieste, juillet-septembre 1925. Huile sur toile. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Achat, 1977.
 
Alfred Hitchcock (1899 - 1980). La Maison du docteur Edwardes (Spellbound), 1945. Film 35 mm numérisé noir et blanc, sonore (extrait), 1h 51 min. Disney / ABC Home Entertainment and Television Distribution.

Au milieu des années 1940, alors que les théories freudiennes suscitent l'engouement aux États-Unis, Alfred Hitchcock réalise un film qui prend pour sujet la psychanalyse. Le maître du Suspense y mêle une intrigue inspirée de La Maison du docteur Edwardes, un roman de Francis Beeding publié en 1927. Dans un établissement psychiatrique, le nouveau directeur, accusé d'avoir fait disparaître le véritable Edwardes pour usurper son identité, s'avère souffrir d'amnésie. Le réalisateur confie à Salvador Dali le décor d'une scène centrale dans laquelle le malade fait le récit rétrospectif d'un rêve à des fins thérapeutiques.

Scénographie
 
Dora Maar. Sans titre [Main-coquillage], 1934. Épreuve gélatino-argentique, 40,1 x 28,9 cm. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Achat, 1991. Ph © Centre Pompidou, MNAM-CCI / Jacques Faujour / Dist. RMN-GP. © Adagp, Paris, 2024.

La photographe Dora Maar se rapproche du groupe surréaliste vers 1933. Les photomontages qu'elle réalise alors traduisent des préoccupations communes - l'érotisme, le sommeil, l'œil, l'univers maritime, l'inconscient ou encore l'irrationnel. Dora Maar se distingue de l'héritage du collage dadaïste encore prégnant chez les surréalistes. Elle applique pour ses photomontages la méthode destinée à son travail commercial, se servant de ses propres photographies ou de clichés trouvés qu'elle collectionne. Ses compositions témoignent d'un souci d'échelle et d'un respect de la perspective donnant l'illusion de visions réalistes.
 
Valentine Hugo (1887-1968). Rêve du 21 décembre 1929. Mine de plomb sur papier. Collection Mony Vibescu.

Musicienne, danseuse, costumière des ballets russes et peintre, Valentine Gross grandit au sein d'une famille éclairée et épouse Jean Hugo, arrière-petit-fils du poète Victor Hugo. En 1926, elle rejoint les surréalistes, dont elle réalise plusieurs portraits d'un académisme très sûr et d'une grande sophistication. Ses illustrations de rêve qui allient ce même maniérisme à un goût pour la féerie figureront, comme ses cadavres exquis sur fond noir, parmi les apports déterminants au mouvement surréaliste.
Georges Hugnet (1906-1974). Sans titre, vers 1935; Sans titre, vers 1936; Sans titre, vers 1935. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Achat grâce au mécénat de Yves Rocher, 2011. Ancienne collection Christian Bouqueret.

Héritier de dada, Georges Hugnet réalise des collages pleins de fantaisie et d'humour à partir de photographies de Jean Moral entre autres, qu'il découpe dans des magazines de charme tel Sex-Appeal ou Paris magazine. Les surréalistes sont fascinés par les images de la culture de masse qu'ils réinvestissent de manière subversive. Télescopages incongrus de mots et d'images, ces œuvres manifestent leur goût pour le collage que Breton définissait comme «l'accouplement de deux réalités en apparence inaccouplables sur un plan qui en apparence ne leur convient pas» (sic).
 
Dora Maar (1907-1997). 29 rue d'Astorg, vers 1936. Épreuve gélatino-argentique rehaussée de couleurs. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Achat, 1990.
 
Grete Stern (1904-1999). Sueño N° 17: ¿quién sera?, 1949. Épreuve gélatino-argentique. Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofia, Madrid.


3 - PARAPLUIES ET MACHINES À COUDRE

Scénographie

En 1914, dans la revue Vers et Prose, paraît le texte d'un auteur oublié, mort en 1870 à l'âge de vingt-et-un ans: Isidore Ducasse, alias le Comte de Lautréamont. «Cette lecture a changé le cours de ma vie» dira Philippe Soupault, qui transmet une édition des Chants de Maldoror (1863) à Breton qui partage à son tour sa découverte avec Aragon. Un mythe littéraire vient de naître. Les Chants ressemblent à la confession d'un génie malade. Le texte est un défi à toute construction logique, en appelle à la violence et à la destruction. Pour les jeunes surréalistes, il répond à la faillite du monde qui les a conduits à la boucherie des tranchées. Faisant de la beauté «la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d’un parapluie!», Lautréamont lègue au surréalisme une définition qui vaut aussi comme principe, celui d'une esthétique du collage, qui ne doit rien aux lois de la logique et de l'harmonie.

 
Texte du panneau didactique.
 
Giorgio De Chirico. Le chant d’amour, 1914. Huile sur toile, 73 × 59,1 cm. The Museum of Modern Art, New York. Nelson A. Rockefeller Bequest, 1979. Ph © Digital image, The Museum of Modern Art, New York / Scala, Florence. © Adagp, Paris, 2024.

Rapprochant le moulage d'une tête d'Apollon antique et un gant de caoutchouc, Le Chant d'amour porte à son plus haut accomplissement la définition de la beauté que le surréalisme emprunte à Lautréamont: «Beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d’un parapluie!». La découverte du Chant d'amour par René Magritte a pour lui valeur de révélation: «Lorsque j'ai vu pour la première fois la reproduction du tableau de Chirico, ce fut un des moments les plus émouvants de ma vie: mes yeux ont vu la pensée pour la première fois.»
 
Man Ray (1890-1976). Beau comme la rencontre fortuite d'une machine à coudre et d'un parapluie sur une table de dissection, 1932-1933. Collage, dessin et épreuve gélatino-argentique. Birger Raben-Skov, Copenhague.
 
Pierre Roy (1880-1950).  L'Été de la Saint-Michel, 1932. Huile sur toile. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Achat de l'État, 1947. Attribution, 1947.
 
René Magritte (1898-1967). La Durée poignardée, 1938. Huile sur toile. The Art Institute of Chicago, Joseph Winterbotham Collection.

Marqué par Le Chant d'amour de Giorgio de Chirico, René Magritte fait sienne l'esthétique du collage. Dès 1936 pourtant, il la remet brutalement en question: «Une nuit, je m'éveillais dans une chambre où l'on avait placé une cage et son oiseau endormi. Une magnifique erreur me fit voir dans la cage l'oiseau disparu et remplacé par un œuf. Je tenais là un nouveau secret poétique étonnant: le choc que je ressentis était provoqué précisément par l'affinité de deux objets alors que précédemment ce choc était provoqué par la rencontre d'objets étrangers entre eux.» Dès lors, les associations ne sont plus fortuites mais dictées par de stricts principes dialectiques, comme un foyer de cheminée et une locomotive, intrinsèquement liés par la fumée.
 
Wolfgang Paalen (1905-1959). Nuage articulé, 1937/2023. Éponges naturelles, tissu, métal, bois (parapluie). Collection particulière, Berlin, courtesy The Wolfgang Paalen Society, e.V.
 
Salvador Dali (1904-1989). Le Téléphone aphrodisiaque, 1938. Plastique, métal. Minneapolis Institute of Art, The William Hood Dunwoody Fund.
 
Konrad Klapheck (1935-2023). Die Gekrankter Braut, 1957. Collection Klapheck.

Konrad Klapheck découvre le surréalisme à l'occasion d'un séjour à Paris, au milieu des années 1950. De Marcel Duchamp, il retient l'attention portée aux objets du quotidien et à leur charge poétique, de René Magritte, la facture lisse et impersonnelle. Les artistes du groupe réserveront un accueil enthousiaste à ses objets monumentaux et luisants, en particulier André Breton qui préface le catalogue de l'exposition de l'artiste à la galerie Sonnabend en 1965 et lui consacre un texte dans Le Surréalisme et la peinture (1964).
Max Ernst (1891-1976). La Femme 100 têtes: Crime ou miracle: un homme complet, 1929. Gravures découpées et collées sur papier collé sur carton. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Don de M. Carlo Perrone, 1999.

Au printemps 1929, alors qu'il séjourne en Ardèche, Max Ernst collecte des illustrations de revues du 19e siècle qui suscitent chez lui un état de «grande excitation visuelle». Il réalise pas moins de cent cinquante collages en quinze jours. Sans structure narrative et cohérence visuelle, La Femme 100 têtes remet en question la forme romanesque et s'impose, un an après Nadja d'André Breton, comme l'autre «antiroman surréaliste». Multipliant les lieux, les personnages et les actions, jouant de la polysémie du titre («La femme cent têtes», «La femme sans tête», «La femme sang tête», «La femme s'entête»), Ernst redouble d'incohérence. S'y retrouvent néanmoins les grands sujets surréalistes, notamment l'anticléricalisme, l'érotisme, le rêve et la folie. L'extraordinaire minutie avec laquelle sont réalisées les planches aura un grand impact sur l'esthétique surréaliste qui en 1929, année de la publication du Second Manifeste du surréalisme, entre dans sa phase raisonnante.
 
Aube Elléouët-Breton (née en 1935). Elseneur, 1979. Collage sur papier. RAW (Rediscovering Art by Women).
 
Max Ernst (1891-1976). La Femme 100 têtes: Crime ou miracle: un homme complet, 1929 (détail). Gravures découpées et collées sur papier collé sur carton. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Don de M. Carlo Perrone, 1999.
 
Max Ernst (1891-1976). La Femme 100 têtes: Crime ou miracle: un homme complet, 1929 (détail). Gravures découpées et collées sur papier collé sur carton. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Don de M. Carlo Perrone, 1999.
 
Max Ernst (1891-1976). La Femme 100 têtes: Crime ou miracle: un homme complet, 1929 (détail). Gravures découpées et collées sur papier collé sur carton. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Don de M. Carlo Perrone, 1999.
 
Max Ernst (1891-1976). La Femme 100 têtes: Crime ou miracle: un homme complet, 1929 (détail). Gravures découpées et collées sur papier collé sur carton. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Don de M. Carlo Perrone, 1999.
 
Alberto Giacometti (1901-1966). Table, 1933. Plâtre. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Don du vicomte Charles de Noailles, 1951.

Présenté dans l’« Exposition surréaliste » à la galerie Pierre Colle en 1933, ce plâtre est une étude pour une table imaginée pour la villa moderniste de Charles et Marie-Laure de Noailles, à Hyères. Mobilier, cet objet étonnant tient pourtant davantage de la sculpture avec ses pieds disparates, son buste à moitié voilé et ses objets hétéroclites: une réplique plus petite de sa sculpture Cube, un mortier d'alchimiste et une main coupée qui ajoute au sentiment d'«inquiétante étrangeté». En février 1935, désireux de revenir à la figure humaine et de travailler d'après modèle, Alberto Giacometti sera exclu du groupe surréaliste. Il n'en restera pas moins un ami cher, comme lui écrit Breton: «Tu sais bien que tu es le personnage qui me manque le plus. Quand tu n'es pas là, il n'y a plus ni jeunesse, ni clarté, ni jeu, ni certitude sur le plan intellectuel sans compter que si ce n'est pas toi qu'on attend le soir au café, c'est peut-être bien qu'on n'attend personne.»
 
Max Ernst (1891-1976). La Femme 100 têtes: Crime ou miracle: un homme complet, 1929 (détail). Gravures découpées et collées sur papier collé sur carton. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Don de M. Carlo Perrone, 1999.
 
Max Ernst (1891-1976). La Femme 100 têtes: Crime ou miracle: un homme complet, 1929 (détail). Gravures découpées et collées sur papier collé sur carton. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Don de M. Carlo Perrone, 1999.
 
Max Ernst (1891-1976). La Femme 100 têtes: Crime ou miracle: un homme complet, 1929 (détail). Gravures découpées et collées sur papier collé sur carton. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Don de M. Carlo Perrone, 1999.
 
Max Ernst (1891-1976). La Femme 100 têtes: Crime ou miracle: un homme complet, 1929 (détail). Gravures découpées et collées sur papier collé sur carton. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Don de M. Carlo Perrone, 1999.
 
Max Ernst (1891-1976). La Femme 100 têtes: Crime ou miracle: un homme complet, 1929 (détail). Gravures découpées et collées sur papier collé sur carton. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Don de M. Carlo Perrone, 1999.
 
Max Ernst (1891-1976). La Femme 100 têtes: Crime ou miracle: un homme complet, 1929 (détail). Gravures découpées et collées sur papier collé sur carton. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Don de M. Carlo Perrone, 1999.


4 - CHIMÈRES

Scénographie

Dans l'Iliade, Homère décrit la Chimère : «lion par-devant, serpent par-derrière, chèvre au milieu». La fascination durable qu'exerce l'animal fabuleux sur l'imaginaire surréaliste tient à sa forme composite et illogique issue du collage. Appliquant l'appel de Lautréamont à une «poésie [faite] par tous, non par un», les surréalistes inventent en 1925 le jeu du cadavre exquis. D'abord assemblage de mots, à l'origine de son nom («Le cadavre - exquis - boira - le vin - nouveau»), le jeu s'applique bientôt à l'image. Ces créatures «inimaginables par un seul cerveau» seront jusqu'à la fin des années 1960 l'emblème de l'activité collective surréaliste. Fille de Gaïa, Chimère, qui appartient à un monde chaotique, dépourvu des lois de la raison, s'impose comme l'animal totémique du surréalisme.

 
Texte du panneau didactique.
 
Max Walter Svanberg (1912-1994). Himlens Ljusbla orkidé och stärnans tiohöbdade atra, 1969. Aquarelle et gouache sur papier. Collection Bo Alveryd.
 
André Breton, Marcel Duhamel, Max Morise, Yves Tanguy. Cadavre exquis, 1928. Crayon sur papier. Collection particulière.
 
Victor Brauner, André Breton, Óscar Domínguez, Wifredo Lam, anonyme, Jacques Hérold, Jacqueline Lamba. Dessin collectif, 1940-1941. Encre et crayon de couleur sur papier, 29,8 × 23,9 cm. Musée Cantini, Marseille. Don de Mmes Aube Elléouët-Breton et Oona Elléouët en 2008 en hommage à Varian Fry. Ph © Ville de Marseille, Dist. RMN-Grand Palais / Jean Bernard. © Adagp, Paris, 2024.
Scénographie
 
Max Ernst (1891-1976). Chimère, 1928. Huile sur toile. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne. Paris. Achat, 1983.
 
Victor Brauner (1903-1966). Loup-Table, 1939/1947. Bois et éléments de renard naturalisé. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Don de Mme Jacqueline Victor Brauner en 1974.

En 1938, l'artiste roumain Victor Brauner quitte définitivement Bucarest pour rejoindre Paris. Le climat de troubles qui règne alors, les difficultés liées à l'exil, la lecture des romantiques allemands et le souvenir du folklore roumain, favorisent l'exaltation d'une iconographie fantastique hantée par des créatures hybrides. Le motif du loup-table, imaginé dès 1933, réapparaît alors dans plusieurs peintures. En 1947, à l'occasion de l'«Exposition internationale du surréalisme» à la galerie Maeght, Brauner traduit ce sujet en trois dimensions en fixant la gueule hurlante et la queue d'un loup empaillé sur une table dont l'un des pieds semble s'être métamorphosé.
 
Dorothea Tanning. Birthday, 1942. Huile sur toile, 102,2 × 64,8 cm. Philadelphia Museum of Art. A 125th Anniversary Acquisition. Purchased with funds contributed by C. K. Williams, II, 1999. Ph © The Philadelphia Museum of Art, Dist. RMN-Grand Palais / image Philadelphia Museum of Art. © Adagp, Paris, 2024.

En 1942, Dorothea Tanning fait la connaissance des surréalistes grâce à son ami, le galeriste Julien Levy. Quelques semaines plus tard, signe de sa conversion au mouvement, elle peint Birthday qui en adopte la facture virtuose et l'iconographie fantastique. Devant une succession de portes qui semblent s'ouvrir à l'infini. L'artiste se représente à demie-nue, vêtue d'une veste en racines anthropomorphes. À ses pieds, une petite créature chimérique symbolise la coexistence du rêve et de la réalité.
 
Suzanne Van Damme (1901-1986). Couple d'oiseaux anthropomorphes, 1944. Huile sur toile. RAW (Rediscovering Art by Women).
Scénographie
 
Kurt Seligmann (1900-1962). Magnetic Mountain, 1948. Huile sur toile. The Art Institute of Chicago, Mary and Earle Ludgin Collection.

Kurt Seligmann et son épouse Arlette Paraf sont les premiers surréalistes à atteindre New York après la déclaration de guerre. Aux États-Unis, le peintre continue à développer son iconographie initiée depuis son adhésion au mouvement en 1934: des compositions complexes où évoluent des figures chimériques, nées de son intérêt pour l'héraldique (science des blasons) et l'ésotérisme. Après-guerre, les souvenirs du carnaval de sa Bâle natale se transforment en danses macabres et rituels occultes. Cette même année 1948, Seligmann publie un important ouvrage d'ésotérisme, largement diffusé, Le Miroir de la Magie.
 
Friedrich Schröder-Sonnenstern (1892-1982). Der Zauberfisch, 1954. Crayon de couleur sur carton. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Donation de M. Daniel Cordier, 1989. En dépôt aux Abattoirs, Musée - Frac Occitanie Toulouse.

Accusé de vagabondage et d'escroquerie, Friedrich Schröder-Sonnenstern est interné en 1912 dans un hôpital psychiatrique à Neustadt en Allemagne, où il commence à dessiner. Libéré, il développe un univers fantastique empli de créatures chimériques, mi-humaines, mi-animales, dont le style naïf ne saurait dissimuler son ironie à l'encontre de la société bourgeoise. Ces scènes fantaisistes, souvent grivoises, suscitent l'attention des surréalistes qui exposent son œuvre dans plusieurs manifestations, notamment dans l'«Exposition inteRnatiOnal du Surréalisme (EROS)», à la galerie Cordier à Paris en 1959.


5 - ALICE

Scénographie

«C'est peut-être l'enfance qui approche le plus de la vraie vie» écrit André Breton dans le Manifeste. La gloire surréaliste d'Alice au pays des merveilles (1865) est celle de cette enfance rêvée. Alice entre au panthéon surréaliste grâce à Aragon qui rédige en 1931 un article sur Lewis Caroll dans Le Surréalisme au service de la révolution, et traduit son roman La Chasse au Snark. Incarnation du merveilleux, de l'illogisme et de l'humour, Alice subvertit les fondements rationnels de la réalité. L'imaginaire dont elle est porteuse conduit Breton à compter Caroll parmi les ancêtres du surréalisme et à l'intégrer à son Anthologie de l'humour noir (1940): «Tous ceux qui gardent le sens de la révolte reconnaîtront en Lewis Carroll leur premier maître d'école buissonnière». Après Arthur Rimbaud et Lautréamont, une jeune poétesse, Gisèle Prassinos, incarne le génie poétique que le surréalisme attribue à l'enfance. Ses poèmes, préfacés par Paul Éluard, sont publiés en 1934 dans la revue Minotaure.

 
Texte du panneau didactique.
 
René Magritte (1898-1967). Alice au pays des merveilles, 1946. Huile sur toile. Banque CPH.

En 1946, soucieux de réformer un surréalisme qu'il juge muré dans le pessimisme, René Magritte rédige le Manifeste du surréalisme en plein soleil: «Contre le pessimisme général, j'oppose la recherche de la joie, du plaisir. J'entends par là tout l'attirail traditionnel des choses charmantes, les oiseaux, les arbres, l'atmosphère de bonheur qui remplace maintenant dans mes tableaux la poésie inquiétante que je m'étais évertué jadis à atteindre.» Adoptant la palette et la technique des impressionnistes consistant à peindre par petites touches lumineuses, il convoque également Alice et son «climat de charme». La réponse de Breton ne se fait pas attendre: «Texte anti-dialectique et par ailleurs cousu de fil blanc, vous plaisantez...»

« Alice [...] se mit à poser des questions:
- N'avez-vous pas peur quelquefois de rester plantées ici,
sans personne pour s'occuper de vous?
- Nous avons l'arbre qui est au milieu, répliqua la Rose.
À quoi t'imagines-tu qu'il sert?
- Mais que pourrait-il faire s'il y avait du danger?
demanda Alice.
- Il pourrait aboyer, répondit la Rose.»

(Lewis Carroll, La Traversée du miroir, chapitre 2, «Le Jardin des fleurs vivantes»).
 
Leonora Carrington.  Green Tea, 1942. Huile sur toile, 61 × 76,2 cm. The Museum of Modern Art, New York. Gift of the Drue Heinz Trust (by exchange), 2019. © Adagp, Paris, 2024.

Héritière de Lewis Carroll, Leonora Carrington retient de l'auteur l'univers merveilleux, peuplé d'un bestiaire fantastique doué de parole. Son œuvre peinte et littéraire est peuplée de hyènes, de chiens ou de juments, alter-ego de l'artiste. Dans Green Tea, peint en 1942 lors d'un bref séjour à New York avant de rejoindre définitivement le Mexique, elle se représente debout, vêtue d'une étrange camisole de force, accompagnée d'animaux, également entravés. Souvenir douloureux de son séjour à la clinique psychiatrique de Santander, en Espagne, où l'a menée un épisode dépressif, cette œuvre est également la promesse de la vie retrouvée, symbolisée par la luxuriance de la campagne anglaise.
 
Marcel Jean (1900-1993). Armoire surréaliste, 1941. Bois verni, quatre portes ornées d'une peinture surréaliste. Musée des Arts décoratifs, Paris. Legs Marcel Jean, 1994.
Scénographie
 
Clovis Trouille (1889-1975). Le Rêve d'Alice (dans un fauteuil), 1945. Huile sur toile. Indivision Lambert.
 
Dorothea Tanning (1910-2012). Eine Kleine Nachtmusik, 1943. Huile sur toile. Tate. Purchased with assistance from the Art Fund and the American Fund for the Tate Gallery, 1997.
 
Claude Cahun (Lucy Schwob, dite). Le Cœur de Pic, 1936. Epreuve gélatino-argentique, 15 x 19,8 cm. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Achat, 1995. Ph © Centre Pompidou, MNAM-CCI/Georges Meguerditchian/Dist. RMN-GP. Droits réservés.

La photographe et poète Claude Cahun collabore avec l'écrivaine Lise Deharme pour l'édition du Cœur de Pic, un ouvrage poétique illustré destiné à la jeunesse. Décrivant les aventures du jeune Pic, Deharme compose des poèmes à la fois énigmatiques et teintés d'humour auxquels répondent les «tableaux photographiques» de Cahun. Cette dernière collecte des objets hétéroclites qu'elle assemble en de merveilleux tableaux pour les photographier. Cahun invite à redécouvrir le pouvoir des objets «pour apprécier la valeur particulière ou générale de ceux que nous avons sous les yeux». Au seuil du réel, les théâtres d'objets du Cœur de Pic traduisent l'univers onirique et irrationnel de l'enfance, cher au mouvement.
 
Georges Malkine -1898-1970). Demeure de Lewis Carroll, 1966. Huile sur carton toilé. Collection Jean-Jacques Plaisance. Les Yeux Fertiles, Paris.

Membre du groupe surréaliste dès sa création, Georges Malkine rompt avec lui en 1932. En 1943, évadé d'un camp de concentration où l'ont envoyé ses activités de résistant, il participe avec Aragon au quotidien communiste Ce Soir, avant de revenir à la peinture dans les années 1950. En 1966, il inaugure la période dite «des demeures», des architectures métaphoriques assignées à plusieurs figures tutélaires du surréalisme: André Breton, Antonin Artaud, Alfred Jarry, Guillaume Apollinaire, Sade. Lautréamont, Lewis Carroll... Tout droit sorties de contes fantastiques, ces bâtisses monumentales invitent à spéculer sur leurs intérieurs.
Scénographie
 
René Magritte. Les valeurs personnelles, 1952. Huile sur toile, 80 x 100 cm. San Francisco Museum of Modern Art. Purchase through a gift of Phyllis C. Wattis. Ph © San Francisco Museum of Modern Art/Photograph Katherine Du Tiel. © Adagp, Paris, 2024.
 
Mimi Parent (1924-2005). Comptine pour une enfant perverse ou Children's corner, 1969. Boîte en bois peinte à l'huile. Feuilles mortes, cartes à jouer, coquilles, plastique, fils. Margarita Gruger-Camacho.

Mimi Parent et son époux Jean Benoît rencontrent André Breton en 1959, à l'occasion d'une visite d'atelier organisée par sa fille, Aube Elléouët-Breton. Quelques mois plus tard, ils participent à l'exposition «EROS, VIIIe Exposition inteRnatiOnale du Surréalisme», à la galerie Cordier. L'éloge de l'enfance, du jeu et de la liberté qu’incarne le personnage d'Alice lui vaut d'être régulièrement convoquée par Parent. Hommage non dissimulé à Max Ernst (Au premier mot limpide, 1923), cette boîte reliquaire est aussi un autoportrait crypté. Les nattes blondes qui réapparaîtront régulièrement dans l'œuvre de l'artiste l'identifient à l'image de la femme-enfant, aussi assumée qu'elle est ambiguë.
 
André Kertész (1894-1985). Distorsion n° 118, 1933. Épreuve gélatino-argentique. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Achat grâce au mécénat de Yves Rocher, 2011. Ancienne collection Christian Bouqueret.
 
André Kertész (1894-1985). Distorsion n° 6, Paris, 1933. Épreuve gélatino-argentique. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Don de l'artiste, 1978.

Actif à Paris entre 1927 et 1936, le photographe André Kertész reste à distance du groupe surréaliste. Unique dans son corpus, sa série expérimentale des Distorsions l'inscrit pourtant pleinement dans l'histoire visuelle du mouvement. Répondant à une commande du magazine de charme Le Sourire en 1933, Kertész fait poser pendant plusieurs jours deux modèles nus à travers un miroir déformant, une attraction de foire très populaire au début du 20e siècle. Les déformations des corps et des visages prennent un caractère humoristique, inquiétant ou cauchemardesque, faisant écho aux recherches picturales menées au même moment par Salvador Dali ou Pablo Picasso.

«Voici maintenant que je m'allonge comme le plus grand télescope du monde! Au revoir mes pieds!» (car lorsqu'elle regardait ses pieds, ceux-ci lui semblaient être presque hors de vue tant ils devenaient lointains). «Oh ! Mes pauvres petits pieds, je me demande qui, à présent, vous mettra vos bas et vos souliers, mes chéris? Pour ma part je suis sûre de ne pas en être capable! Je serai certes bien trop loin pour pouvoir m'occuper de vous; vous n'aurez qu'à vous débrouiller tout seuls». (Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles).

Scénographie. Au centre: Jean-Claude Silbermann (né en 1935), Alice, 2002.
Huile sur toile marouflée sur bois découpé.
Collection Jean-Claude Silbermann.
 
Suzanne van Damme. Composition surréaliste, 1943. Huile sur toile. 90 × 100 cm. RAW (Rediscovering Art by Women). Ph © Collection RAW (Rediscovering Art by Women). Droits réservés.
 
Simon Hantaï (1922-2008).  Femelle-Miroir II, 1953. Huile sur toile, miroir, ossements. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Don de M. Maurice Goreli, 1990.
Scénographie
 
Pablo Picasso (1881-1973). Acrobate bleu, novembre 1929. Fusain et huile sur toile, 162 x 130 cm. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Dation en 1990 Musée national Picasso. Affectation au Musée national d'art moderne en 1991.
 
René Magritte (1898-1967). Les Idées de l'acrobate, 1928. Huile sur toile. Bayerische Staatsgemäldesammlungen, Munich. Pinakothek der Moderne.


6 - MONSTRES POLITIQUES

Scénographie

Le surréalisme souhaite répondre à la double injonction de Karl Marx («transformer le monde») et d'Arthur Rimbaud («changer la vie»). Premier acte de leur engagement politique, les surréalistes se rapprochent des jeunes communistes du groupe Clarté avec lesquels ils signent en 1925 un manifeste dénonçant la guerre coloniale menée par la France au Maroc. Dans le contexte des années 1930 qui voit la montée des fascismes en Europe, nombre d'artistes reconsidèrent la séparation entre création poétique et engagement politique prônée jusqu'alors. Le surréalisme enfante des monstres qui font écho à la montée des totalitarismes. En 1933, l'année de l'avènement d'Adolf Hitler au pouvoir en Allemagne, le mouvement se dote d'une nouvelle revue qui adopte comme emblème la figure bestiale du Minotaure.

 
Texte du panneau didactique.
 
Tatsuo lkeda (1928-2020). Family, from Chronicle of Birds and Beasts (Kinjuki), vers 1956. Plume et encre noire, avec aquarelle et gouache sur papier vélin crème. The Art Institute of Chicago, Nancy Lauter McDougal and Alfred L McDougal Fund.

Étudiant pendant la Seconde Guerre mondiale, Tatsuo Ikeda est enrôlé dans la marine impériale japonaise. L'expérience de la guerre, la disparition de certains de ses amis et la vision du Japon ravagé par les bombardements l'affectent durablement. Les essais nucléaires menés par l'armée américaine au milieu des années 1950 achèvent de lui inspirer la vision satirique de sa série Genealogy of Monsters, An Album of Birds and Beasts qui rassemble des créatures mutilées, victimes de déformations et de tortures infligées par des engins mécaniques.
 
Dorothea Tanning (1910-2012). Chambre 202, Hôtel du Pavot, 1970. Bois, tissus, laine, papier peint, tapis, ampoule électrique. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne. Paris. Achat, 1977.
 
Jacques-André Boiffard (1902-1961). Papier collant et mouches, 1930. Épreuve gélatino-argentique. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Achat grâce au mécénat de Yves Rocher, 2011. Ancienne collection Christian Bouqueret.
Scénographie
 
Éli Lotar (1905-1969). Aux abattoirs de la Villette (Pierre Prévert), 1929. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Don de Catherine Prévert, 2016.

Figure de la nébuleuse surréaliste, Éli Lotar réalise en 1929 un reportage dans le lieu très fermé des abattoirs de la Villette en compagnie de son ami le cinéaste Pierre Prévert, représenté dans cette photographie. Celui-ci paraît comme hypnotisé par les boyaux de bœufs fraichement évidés amassés à ses pieds. Étoffant le corpus iconographique du «bas matérialisme» et de «l'informe» cher à Georges Bataille, trois autres images de la série sont publiées dans la revue Documents en novembre 1929. Elles viennent illustrer l'entrée «Abattoir» du Dictionnaire critique, dans lequel Bataille déplore la relégation hygiéniste de ces lieux de mystères et de rites violents dans les sociétés modernes.
 
Wols (1913-1951). Sans titre, vers 1938. Épreuve gélatino-argentique. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Achat, 2000.
Toyen (1902-1980). Schovej Se Valko ! [Cache-toi guerre !], 1944. Cycle de 9 dessins rehaussés à l'aquarelle avec un poème de Jindrich Heisler. Collection particulière.

Dès les débuts de la guerre, Toyen saisit l'horreur dans deux cycles de dessins, Tir (1939-1940) et Cache-toi guerre! (1940-1944). Ces espaces dévastés dans lesquels ne subsistent que des squelettes d'animaux et des formes latentes, déshumanisées témoignent de l'atrocité d'une époque capable d'anéantir le merveilleux. Héritiers de Goya qui avait en son temps illustré Les Désastres de la guerre (1810-1815), ces dessins d'une morbidité virtuose, sont publiés accompagnés d'un poème de Jindrich Heisler.
 
Toyen (1902-1980). Schovej Se Valko ! [Cache-toi guerre !] (détail), 1944.
 
Toyen (1902-1980). Schovej Se Valko ! [Cache-toi guerre !] (détail), 1944.
Scénographie
 
Max Ernst. L'ange du foyer (Le Triomphe du surréalisme), 1937. Huile sur toile, 117,5 x 149,8 cm. Collection particulière. Ph © Vincent Everarts Photographie. © Adagp, Paris, 2024.

Max Ernst peint L'Ange du Foyer en 1937, dans une Europe en proie aux soulèvements fasciste, franquiste et nazi. Cette montée de la terreur, inarrêtable, sourde aux appels à la raison, s'incarne dans cette créature aussi monstrueuse que grotesque. Le titre et le sous-titre disent ironiquement le désarroi de l'artiste face à cette menace inéluctable: «c'était l'impression que j'avais à l'époque, de ce qui allait bien pouvoir arriver dans le monde». Funeste prémonition: en septembre 1939, arrêté comme «étranger ennemi», auteur d'une peinture qualifiée de «dégénérée», Ernst est interné au Camp des Milles, près d'Aix-en-Provence. Évadé, il parvient à rejoindre New York en 1941.
 
Gérard Vulliamy (1909-2005). Le Cheval de Troie, 1936-1937. Huile sur panneau. Collection particulière.

Proche des surréalistes dès 1934, gendre du poète Paul Éluard, Gérard Vulliamy retient du surréalisme «l'automatisme des formes et des mouvements». De cette époque date Le Cheval de Troie, fresque hallucinatoire dont l'iconographie comme la technique (des glacis sur bois) témoignent de l'influence de Jérôme Bosch. Ce monumental cheval écorché dont la violence visionnaire anticipe les événements à venir, est présenté à la galerie Jeanne Bucher, à Paris, en 1943, bravant la censure du régime de Vichy.
 
Jacques Hérold (1910-1987). Les Têtes, 1939. Huile sur toile. Centre national des arts plastiques. Achat à l'artiste en 1975, en dépôt au Musée Cantini, Marseille.
 
André Masson (1896-1987). Portrait charge de Franco, vers 1938-1939. Plume et encre de Chine sur papier vergé. Musée d'Art moderne. Don de Mmes Aube Breton Elléouët et Oona Elléouët en 2004.
Scénographie
 
Salvador Dali (1904-1989). Construction molle avec haricots bouillis (prémonition de la guerre civile), 1936. Huile sur toile. Philadelphia Museum of Art: The Louise and Walter Arensberg Collection, 1950.

Loin de restituer à la guerre civile espagnole son aspect politique, Dali choisit de la traiter comme un phénomène biologique. À la guerre intestine, il préfère le conflit intestinal et scatologique. À l'Histoire de l'Espagne, il superpose son histoire personnelle, la figure du cannibalisme étant liée à celle du père cruel: Chronos ou Guillaume Tell. À gauche, apparaît une figure empruntée à un autre tableau, Le pharmacien de l'Empordà à la recherche du rien, qu'il peint la même année. Portrait d'Alexandre Deulofeu, auteur de la théorie cyclique sur l'évolution des civilisations, elle semble étrangère au drame. Son absence de position claire sur la guerre et son admiration ambigüe pour la dictature avaient valu à Dali d'être exclu du groupe surréaliste dès 1934.
 
André Masson (1896-1987).  De Pie en pie, 1939. Encre sur papier. Collection particulière.
 
Victor Brauner (1903-1966). Hitler, 1934. Huile sur carton. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Don de Mme Aube Elléouët- Breton, 2003.

André Breton conservait dans sa collection cette œuvre dans laquelle Victor Brauner inflige au portrait de Hitler des blessures irréparables, lui crevant les yeux, lui clouant la bouche, empalant son visage lacéré d'un parapluie. Avec ce portrait-charge, peint au moment où la France traverse une inquiétante crise politique opposant les groupes extrémistes de l'Action française aux partis de gauche, le peintre revient sur la barbarie et l'anéantissement de toute forme d'expression. À son retour en Roumanie, Brauner dessine une autre effigie du nazisme, Paul von Hindenburg, sous les traits de Monsieur K, un avatar inspiré du personnage du roi Ubu de la pièce d'Alfred Jarry, emblème caricatural du pouvoir politique.
 
René Magritte (1898-1967). Le Présent, 1939. Gouache sur papier. Collection particulière.
Scénographie
 
Max Ernst (1891-1976). Capricorne, 1948/1964. Bronze. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Don de l'artiste à l'État, 1964. Attribution, 1965.
 
André Masson (1896-1987). Le Labyrinthe, 1938. Huile sur toile. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Don de Basil et Elise Goulandris, 1982.
Minotaure, n° 1 -13, 1933-1939.Bibliothèque Kandinsky, Paris.

En juin 1933 paraît le premier numéro d'une revue qui se donne pour emblème et pour titre, une créature mi-homme, mi-animal: Minotaure. Hybride, la revue l'est également dans sa forme et son contenu. Georges Bataille, dont la revue Documents a cessé de paraître depuis janvier 1931, et André Breton, dont le dernier numéro du Surréalisme au service de la révolution est publié en mai 1933, se partagent le sommaire de la revue, enrichi des études ethnologiques qui avaient marqué Documents. En 1936, Georges Bataille et André Masson imaginent une nouvelle revue, Acéphale, capable de donner naissance à une mythologie nouvelle. Masson lui donne pour emblème une créature symbolique de ses intentions: sans tête pour dire son émancipation à la raison, un labyrinthe dessiné sur le ventre, symbole d'une pensée de l'instinct, capable de transformer l'égarement en principe civilisateur.


7 - LE ROYAUME DES MÈRES

Scénographie

Les «Mères», décrites par Johann Wolfgang von Goethe dans le second Faust (1832), constituent le mythe poétique le plus profond du surréalisme. André Breton en réactive le souvenir dans un texte qu'il consacre à Yves Tanguy en 1942: «Le premier à avoir pénétré visuellement dans le royaume des Mères, c'est Yves Tanguy. Des Mères, c'est-à-dire des matrices et des moules [...] où toute chose peut être instantanément métamorphosée en toute autre». Les «Mères» deviennent pour le surréalisme le creuset des formes en proie au vertige des métamorphoses. Elles sont les matrices où prennent forme le monde embryonnaire de la neuro-chirurgienne anglaise Grace Pailthorpe et le monde organique des artistes Jane Graverol et Salvador Dali.

 
Texte du panneau didactique.
 
Salvador Dali (1904-1989). Étude pour Le miel est plus doux que le sang, 1926. Huile sur panneau de bois. Fundació Gala-Salvador Dali.
 
Yves Tanguy (1900-1955). L'Orage (paysage noir), 1926. Huile sur toile. Philadelphia Museum of Art: The Louise and Walter Arensberg Collection, 1950.

Après sa découverte de l'œuvre de Giorgio de Chirico, Yves Tanguy renonce à la figuration et rejoint les surréalistes. L'atelier au 54, rue du château, à Paris, qu'il partage avec le poète Jacques Prévert et l'éditeur Maurice Duhamel, est l'un des foyers les plus actifs du groupe. Marqué par les formes embryonnaires de Jean Arp, Tanguy développe un langage immédiatement identifiable: des paysages mentaux dans lesquels flottent des formes molles. Dans un article intitulé "Ce que Tanguy voile et révèle", publié dans la revue View en 1942, Breton qualifie cette vie organique d'«êtres-objets» et la rapproche des «Mères» évoquées par Goethe dans Faust II: «Le premier à avoir pénétré visuellement dans le royaume des Mères, c'est Yves Tanguy.».
 
Yves Tanguy (1900-1955). Vent, 1928. Huile sur toile. Collection Simone Collinet.
 
Jean Arp (1886-1966).
- Fruit de la pagode, 1934. Plâtre. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Saisie de l'Administration des Douanes, 1996.
- Figure mythique, 1949. Plâtre. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Saisie de l'Administration des Douanes, 1996.
- Outrance d'une outre mythique, 1952. Plâtre. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Saisie de l'Administration des Douanes, 1996.


Dadaïste de la première heure, Jean Arp rejoint les rangs du Surréalisme dès son installation à Paris en 1925. Deux ans plus tard, Roland Tual, le directeur de la galerie Surréaliste rue Jacques Callot, lui consacre sa première exposition personnelle. Au début des années 1930, dans son atelier de Meudon, Arp initie une série de formes en plâtre qui semblent s'engendrer mutuellement, en un mouvement perpétuel. Leurs titres disent l'intérêt que le sculpteur porte à la croissance des corps, à la germination de la nature nourricière, qui restera toujours centrale même après sa conversion aux théories abstraites.
 
Jean Painlevé (1902 - 1989). L'Œuf d'épinoche, 1927. Film 35 mm numérisé, noir et blanc, muet [extrait], 26 min. 18 sec. Les Documents Cinématographiques / Archives Jean Painlevé.

Biologiste de formation, Jean Painlevé réalise son premier film, L'œuf d'Épinoche, en 1925. Il y filme l'évolution d'un œuf de la fécondation à l'éclosion, observée au microscope. En dépit de leur caractère scientifique, les films de Painlevé dépassent l'usage savant et connaissent un vif succès dans les cinémas d'avant-garde. Le réalisme fantastique et poétique de ses images, son refus délibéré de toute narration, suscitent l'intérêt des surréalistes, notamment Pierre Prévert, Pierre Naville, Jacques-André Boiffard ou encore Eli Lotar, qui deviendra son assistant en 1929.

 
Jane Graverol (1905-1984). Les Belles Vacances, 1964. Huile sur toile. RAW (Rediscovering Art by Women).

Membre du groupe surréaliste belge, Jane Graverol fonde avec Paul Nougé et Marcel Mariën la revue subversive et anticléricale Les Lèvres nues, dont le premier numéro paraît en 1954. Les Belles Vacances, dont le titre est inspiré du roman de Louis Scutenaire, Les vacances d'un enfant (1947), représentent deux planctons observés au microscope. Comme dans les portraits flamands du siècle d'or (16e et 17e siècles), ils apparaissent sur un fond noir, les différentes couches de glacis leur conférant une grande luminosité. Ces organismes dont la forme n'est pas sans évoquer des organes reproducteurs, restent les symboles de l'androgynie et de l'hermaphrodisme, synonymes d'un état du monde où le féminin et le masculin ne sauraient être différenciés.
 
Paul Klee (1979-1940). Pflanzenwachstum, 1921. Huile sur carton. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Legs de Nina Kandinsky, 1981.

En avril 1925, trois œuvres de Paul Klee sont reproduites dans La Révolution surréaliste. Ses motifs de végétaux et d'organismes vivants, inspirés par les théories de Goethe sur la plante primitive Urpflanze, rejoignent la nouvelle approche du vivant réclamée par les surréalistes. Dans un texte intitulé «Merci, Paul Klee» (1928), le poète René Crevel écrit: «Des gouffres les plus mystérieux, Paul Klee a libéré un essaim de petits poux lyriques. Un simple cheveu devient pont entre ciel et terre.».
 
Stanley William Hayter (1901-1988). Parturition, 1939. Huile sur toile. Collection particulière. Courtesy Galerie T&L, Paris.

En 1926, le britannique Stanley William Hayter ouvre au 17, rue Campagne-Première, à Paris, un atelier de gravure, véritable plaque tournante où se retrouvent les surréalistes, Marc Chagall ou encore Pablo Picasso. Lorsque Hayter s'engage aux côtés des républicains durant la guerre civile espagnole, sa peinture s'en ressent. Les corps écorchés s'entremêlent, se fragmentent ou s’engendrent mutuellement, comme dans Parturition, sorte d'accouchement monstrueux. Exilé à New York en 1940, l'artiste y fonde l'Atelier 17, qui participera largement à la diffusion du surréalisme aux États-Unis.
 
Eugenio Granell (1912-2001). El nacimiento de los pájaros, 1957. Huile sur toile. Colección Fundación Eugenio Granell, Saint-Jacques-de-Compostelle.
Scénographie
 
Barnett Newman (1905-1970). Genetic Moment, 1947. Huile sur toile. Fondation Beyeler, Riehen/Basel, Beyeler Collection. Gift of Annalee Newman, New York.

Fondé par les poètes Charles Henri Ford et Parker Tyler en 1940, le magazine View est le porte-voix du syncrétisme qui règne alors à New York, où cohabitent les surréalistes européens en exil et une nouvelle génération de jeunes peintres américains. Parmi eux, Barnett Newman trouve dans la peinture surréaliste le recours aux mythes archaïques sur lesquels pourraient se construire les fondations d'une peinture nouvelle. Ses œuvres peintes après-guerre portent des titres qui traduisent cette urgence d'une rupture et d'un renouveau: Genesis, the Break ou encore The Beginning.
 
E. L. T. Mesens (1903-1971). Arrière-Pensée, 1926-1927. Photographie originale en noir et blanc, tirage d'époque. Collection particulière.
 
Kay Sage (1898-1963). Lost Record, 1940. Huile sur toile. Kay Sage Bequest, Eskenazi Museum of Art, Indiana University.
 
Gordon Onslow Ford (1912-2003). Determination of Gender, 1939. Huile sur toile. Tate. Purchased, 1972.
 
Grace Pailthorpe. May 16, 1941, 1941. Huile sur toile montée sur carton, 38,1 × 48,3 cm. Tate. Purchased, 2018. Ph © Tate. Droits réservés.

Chirurgienne pendant la Première Guerre mondiale, spécialiste en neurologie, Grace Pailthorpe étudie l'automatisme dès 1935 et expose avec le groupe surréaliste anglais l'année suivante. Convaincue de la fonction thérapeutique de l'art, elle attribue au surréalisme et à la psychanalyse le rôle commun de «libérer l'individu de ses conflits internes afin qu'il puisse fonctionner librement». Au printemps 1938, elle initie une série de toiles autour du «traumatisme de la naissance» d'après les théories développées par Freud et le psychologue Otto Rank. Avec l'humour qui caractérise l'ensemble de son œuvre, Pailthorpe peint une forme embryonnaire profitant, béate, des avantages de la vie intra-utérine.
 
Meret Oppenheim (1913-1985). Le Vieux Serpent nature, 1970. Toile de jute, charbon, anthracite, bois peint. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Achat de l'État, 1974. Attribution, 1976.
 
Arshile Gorky (1904-1948). Landscape-Table, 1945. Huile sur toile. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne. Paris. Achat, 1971.
 
Reuben Mednikoff (1906-1972). The Flying Pig, 1936. Huile sur toile. Collection particulière.
Scénographie. Au centre: Victor Brauner (1903-1966). La Mère des mythes, 1965. Huile sur toile et bois peint sur contreplaqué.
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne. Paris. Achat sur les arrérages du legs Jacqueline Victor Brauner, 1993.
 
Victor Brauner (1903-1966). La Mère des rêves, 1965. Huile sur toile et huile sur bois. MASC - Musée d'art moderne et contemporain des Sables-d'Olonne.

En janvier 1966, Victor Brauner présente à la galerie parisienne d'Alexandre Iolas un cycle de quatorze toiles intitulées Mythologies et Fête des Mères. Brauner signe ainsi son allégeance aux théories de Carl Gustav Jung: alors que Sigmund Freud analysait le rêve comme le refoulement des fantasmes personnels, Jung y voit l'expression objective de l'inconscient collectif. En hommage aux «Mères» faustiennes, Brauner confie à ces toiles joyeusement colorées la fonction de «mamans civilisatrices» de la collectivité.
 
Victor Brauner (1903-1966). La Mère des oiseaux, 1965. Huile sur toile et huile sur bois. MASC - Musée d'art moderne et contemporain des Sables-d'Olonne.
 
Lorser Feitelson (1898-1978). Genesis #2, 1934. Huile sur contreplaqué. Smithsonian American Art Museum, Museum purchase.

En 1934, sous l'impulsion d'Helen Lundeberg et de son époux Lorster Feitelson, s'organise à Los Angeles un nouveau mouvement d'obédience surréaliste, «New classicism». Le manifeste du groupe est illustré par Plant and Animal Analogies de Lundeberg, une composition d'éléments hétéroclites, reliés entre eux par un réseau de flèches: un torse féminin, une nature morte au poivron et aux cerises et des images empruntées à un manuel d'embryologie. La scène de maternité à l'arrière-plan achève cette démonstration didactique de la vie sous toutes ses formes: biologique, psychique et symbolique.
 
Helen Lundeberg (1908-1999). Plant and Animal Analogies, 1934-1935. Huile sur Celotex. The Buck Collection at UCI Jack and Shanaz Institute and Museum of California Art.


8 - MÉLUSINE

Scénographie

La légende de Mélusine prend forme dans les récits médiévaux qui décrivent une créature hybride, mi-femme, mi-serpent. André Breton en ressuscite le mythe dans Arcane 17 (1944) qu'il rédige pendant son exil américain. L'immensité des espaces qu'il découvre au Nouveau Mexique puis dans l'est du Canada, en Gaspésie, lui inspire le sentiment de fusion avec la nature qui innerve son texte. Si Arcane 17 doit beaucoup à la nature américaine, le texte est aussi redevable aux temps d'un après-guerre qui exigent une réinvention du monde et de ses valeurs. La technique, la puissance machiniste, ont une fois encore démontré leur potentiel de destruction. Breton veut croire à un âge qui, sous l'égide de Mélusine, serait «en communication providentielle avec les forces élémentaires de la nature». Sa rencontre avec les civilisations autochtones, en terre Hopi, le conduit à imaginer un autre modèle pour lequel nature et humanité, à l'image de Mélusine, ne feraient qu'un.

 
Texte du panneau didactique.
 
André Masson (1896-1987). La Métamorphose des amants, 1938. Huile sur toile. Collection Simone Collinet.
 
Ithell Colquhoun (1906-1988). Tree Anatomy, 1942. Huile sur toile. The Sherwin Family Collection, permanently housed at The Hepworth Wakefield, 2022.
 
Ithell Colquhoun. Scylla, 1938. Huile sur panneau, 91,4 × 61 cm. Tate. Purchased, 1977. Ph © Tate. © Noise Abatement Society, Samaritans et Spire Healthcare.

Née en Inde, élevée en Angleterre, Ithell Colquhoun hérite d'une double culture, hindouiste et celte. En 1939, elle intègre le groupe surréaliste anglais, mais elle en est exclue un an plus tard en raison de sa pratique de l'alchimie et de son refus de quitter les sociétés occultes. L'artiste trouve dans l'alchimie la réconciliation des genres, de l'humain et de la nature, évoquée dans ses paysages et végétaux, comparables à des corps féminins: «Il nous faut la liberté. Plus de tyrans ni de victimes, plus de renvois fiévreux à ce démon-étoile qui présida à la naissance du marquis de Sade et de Sacher-Masoch; mais l'hermaphrodite, les contraires réunis dans une étreinte apaisante par le fil du ver à soie.»
 
Rita Kernn-Larsen (1904-1998). Kvindernes opror, 1940. Huile sur toile, 92 x 73 cm. Kunstmuseet i Tonder / Museum Sonderjylland, Danemark.

Formée à Paris, dans l'atelier de Fernand Léger, Rita Kernn-Larsen intègre le groupe surréaliste danois réuni autour de Wilhem Bjerke-Petersen, dès sa création au milieu des années 1930. Interrogée au sujet de son iconographie, presque exclusivement réduite à des corps féminins en proie à des métamorphoses et à des forêts anthropomorphes, l'artiste explique: «J'étais vraiment obsédée par les arbres quand j'étais surréaliste. J'avais fait un dessin d'arbre qui peu à peu est devenu une femme-arbre qui voulait se libérer. C'est à double sens: je voulais me libérer du surréalisme ou peut-être de la composition de Léger et qui sait même me libérer tout court.».
 
Eileen Agar (1899-1991). The Wings of Augury, 1936. Bois, terre cuite, coton, cadran métallique et éléments organiques, sur une base en ardoise. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Achat avec la participation du Fonds du patrimoine, 2019.
 
Baya (1931-1998). Sans titre, vers 1947. Gouache sur papier. Collection particulière. Courtoisie Galerie 1900-2000.

Fatma Haddad, dite Baya, n'a que seize ans lorsque sa peinture joyeusement colorée est remarquée par le galeriste Aimé Maeght, de passage à Alger. En 1947, il organise une exposition de la jeune artiste et lui consacre le sixième numéro de sa revue Derrière le miroir. Fasciné par cette œuvre d'une extraordinaire fraicheur, capable selon lui de renouer avec le sentiment de la nature, Breton y écrit: «Je parle, non comme tant d'autres pour déplorer une fin mais pour promouvoir un début et sur ce début Baya est reine. Le début d'un âge d'émancipation et de concorde, en rupture radicale avec le précédent et dont un des principaux leviers soit pour l'homme l'imprégnation systématique, toujours plus grande, de la nature.».
 
Meret Oppenheim (1913-1985). Daphne und Apoll, 1943. Collection particulière.

En 1943, Meret Oppenheim peint cette étonnante version du mythe d'Apollon et Daphné dans laquelle la nymphe, métamorphosée en laurier, fait face à un Apollon lui-même transformé en une figure tuberculoïde. Marqué par les théories du psychanalyste Carl Gustav Jung qui fait de l'arbre le symbole de l'androgynie, l'artiste remplace l'habituelle opposition entre désir érotique et chasteté par la figure de l'hermaphrodite, symbole d'un stade initial où le féminin et le masculin étaient indifférenciés.
Scénographie
 
lthell Colquhoun (1906-1988). Alcove I, 1946. Huile sur carton. Collection Denise et Richard Shillitoe.
 
Max Ernst (1891-1976). Le Jardin de la France, 1962. Huile sur toile. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Dation, 1982.
Paul Delvaux (1897-1994). L'Aurore, juillet 1937. Huile sur toile.
Peggy Guggenheim Collection, Venise (Solomon R. Guggenheim Foundation, New York).
 
Maria Martins (1894-1973). Prométhée, 1948. Bronze. Collection particulière. Courtesy Galerie 1900-2000, Paris.
 
Maruja Mallo (1902-1995). Cubierte de Alga, 1945. Épreuve gélatino-argentique. Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofia, Madrid. Colección Jose Ma Lafuente, 2022.

Figure de l'avant-garde espagnole, Maruja Mallo développe une œuvre picturale figurative dont le caractère onirique et fantastique trouve un large écho auprès des surréalistes parisiens qu'elle rencontre en 1932. Mallo pratique en parallèle la photographie où elle explore, par la mise en scène, diverses facettes de son identité d'artiste et de femme. Exilée en Argentine à partir de 1937, elle découvre les espaces naturels du continent sud-américain, notamment aux côtés de Pablo Neruda qui l'accompagne dans l'arpentage des plages du Pacifique. À l'occasion d'une de leurs incursions au Chili en 1945, Mallo embrasse cette nature qui la fascine en couvrant son corps entier de larges algues. Entre humour et étrangeté, elle réinvestit l'imaginaire surréaliste sur la mère-nature et sur le mythe de Mélusine.


9 - FORÊTS

Scénographie

«Temple où de vivants piliers laissent parfois sortir des paroles confuses», la forêt était pour Charles Baudelaire le cadre où se tissaient les fils de ses «correspondances», où se nouaient les relations voilées entre les êtres et les choses. Après la psychanalyse jungienne, qui associe la crainte de la forêt aux révélations de l'inconscient, la forêt devient pour les surréalistes le théâtre du merveilleux, une forme possible du labyrinthe, le lieu d'un parcours initiatique. Héritier du romantisme allemand, qui choisit la nuit contre les «lumières» et du philosophe et poète Novalis qui réaffirme la dimension sacrée de la nature, Max Ernst fait de la forêt l’un de ses sujets de prédilection. Lorsqu'en 1941, le peintre cubain Wifredo Lam retrouve son pays natal, ses peintures de jungles célèbrent cette nature primitive, vierge du saccage colonial. C'est cette forêt émancipatrice que Benjamin Péret décrit dans Minotaure en 1937, en publiant la photographie d'une végétation qui prend possession d'une locomotive abandonnée, qui dévore le progrès et le dépasse.

 
Texte du panneau didactique.
 
Agustin Cardenas (1927-2001). Grand totem, 1974-1975. Bois. Monsieur et Madame Robert Vallois.

«Voici jailli de ses doigts le grand totem en fleurs» écrit Breton dans la préface qu'il consacre à la première exposition d'Agustin Cardenas à la galerie À l'Étoile scellée en 1956. Arrivé à Paris l'année précédente et soutenu par le poéte et critique d'art surréaliste José Pierre, le sculpteur cubain prendra part à de nombreuses manifestations du mouvement, notamment à l'exposition «EROS», organisée en 1959 à la galerie Cordier. Ses grands totems dont la surface martelée reflète la lumière, hommage au peuple Dogon du Mali, témoignent de son désir de renouer avec la dimension magique de la nature.
 
Max Ernst (1891-1976). La Grande Forêt, 1927. Huile sur toile. Kunstmuseum Basel, mit einem Beitrag von Dr. Emanuel Hoffmann-Stehlin erworben 1932.
 
Max Ernst. Nature dans la lumière de l’aube, 1936. Huile sur toile, 25 x 35 cm. Städel Museum, Francfort-sur-le-Main. Ph © BPK, Berlin, Dist. RMN-Grand Palais / Image Städel Museum. © Adagp, Paris, 2024.
 
André Masson (1896-1987). Sous-Bois, vers 1923. Huile sur toile. Collection particulière, Paris. Courtesy Guttklein Fine Art, Paris.
 
Wifredo Lam (1902-1982). Nu dans la nature, 1944. Huile sur papier marouflé sur toile. Centre Pompidou. Musée national d'art moderne, Paris. Dation, 1985.
Scénographie
 
Toyen (1902-1980). La Voix de la forêt II, 1934. Huile sur toile. Dépôt permanent du Département de la Seine-Saint-Denis au Musée d'art et d'histoire Paul Éluard de Saint-Denis.

Membre du cercle d'avant-garde praguois Devétsil, Toyen fonde en 1934 le groupe surréaliste tchèque, accompagnée du  peintre Jindrich Styrsky et des poètes Karel Teige et V¡tézslav Nezval. Un poème de ce dernier lui inspire une série onirique, La Voix de la forêt, dans laquelle des hallucinations nocturnes flottent sur un fond sombre. Semblable à des oiseaux de nuit, des amas de plumes duveteux invitent à la caresse tandis que leur centre, évidé, «un vide plus effrayant qu'un coup de feu» (Nezval), laisse place à un trou béant menaçant.
 
Caspar David Friedrich (1774-1840). Frühschnee, 1821-1822. Huile sur toile. Hamburger Kunsthalle. Acquis en 1906.

«La lumière fervente qui baigne Henri d'Ofterdingen affront[e] victorieusement l'épreuve de la réalité.» La fascination de Breton pour l'œuvre du poète et philosophe allemand Novalis éclaire son choix d'intégrer le peintre romantique Caspar David Friedrich dans L'Art magique, publié en 1957. Exacts contemporains, Novalis et Friedrich partageaient l'intuition qu'une nouvelle relation à la nature s'imposait, au moment-même où les forêts allemandes commençaient à être menacées par l'industrialisation.
 
Leonor Fini (1907-1996). 14 chats dans la forêt, 1962. Huile sur toile. Galerie Minsky - Weinstein Gallery.
 
Joseph Cornell (1903-1972). Owl Box, 1945-1946. Boîte en bois contenant un assemblage d'éléments divers: bois, mousse, figurine en papier. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Don de François de Menil en mémoire de Jean de Menil, 1977.
 
Max Ernst (1891-1976). Vision provoquée par l'aspect nocturne de la porte Saint-Denis, 1927. Huile sur toile. Collection particulière.
 
Eugenio Granell (1912-2001). Los blasones mágicos del vuelo tropical, 1947. Huile sur toile. Colección Fundación Eugenio Granell, Saint-Jacques-de-Compostelle.


10 - LA PIERRE PHILOSOPHALE

Scénographie

«Les recherches surréalistes présentent, avec les recherches alchimiques, une remarquable analogie de but» écrit Breton dans le Second Manifeste du surréalisme en 1929. Dès 1923, les alchimistes Hermès Trismégiste et Nicolas Flamel figuraient déjà en bonne place dans la liste des personnalités inspirant le surréalisme, publiée dans Littérature. L'occultisme jalonne l'histoire du mouvement, des textes de L'Amour fou et d'Arcane 17 d'André Breton, d'Aurora de Michel Leiris aux peintures d'Ithell Colquhoun, de Remedios Varo et Jorge Camacho. Les surréalistes trouvent dans l'alchimie la voie d'une coexistence de la connaissance et de l'intuition, de la science et de la poésie. Bernard Roger, alchimiste et membre du groupe, y voit une «science d'Amour, fondée sur la loi naturelle d’analogie par laquelle tous les règnes et tous les niveaux d'existence communiquent». Paraphrasant les adeptes de l'athanor alchimique, Breton se donne pour épitaphe «Je cherche l'or du temps».

 
Texte du panneau didactique.
 
Remedios Varo (1908-1963). Ciencia inútil o el alquimista, 1958. Huile sur masonite. Acervo Museo de Arte Moderno INBAL / Secretaria de Cultura.

Membre du groupe catalan ADLAN, Remedios Varo rencontre en 1936 le poète Benjamin Péret, engagé dans la guerre d’Espagne. Dès l'année suivante, à Paris, elle fait la connaissance du groupe surréaliste et participe à l'«Exposition internationale du surréalisme» à la galerie des Beaux-Arts en 1938. Installée définitivement au Mexique en 1941, elle se lie d'amitié avec Leonora Carrington et développe une œuvre d'une extrême minutie où se mêlent sa connaissance érudite de l'occultisme et l'humour noir. Dans des architectures complexes, inspirées par les théories d'Escher et de Piranèse, ses êtres androgynes, alchimistes ou inventeurs, sont autant de métaphores de la création artistique, envisagée par Varo comme la réconciliation de la science, de la magie et de l'intuition.
 
Max Ernst (1891-1976). La Toilette de la mariée, 1940. Huile sur toile. Collection Peggy Guggenheim, Venise (Solomon R. Guggenheim Foundation, New York).
 
Richard Oelze (1900-1980). Täglishe Drangsale, 1934. Huile sur toile. Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen, Düsseldorf.

Élève à l'École du Bauhaus à Weimar, Richard Oelze se rend en 1932 à Paris où il rencontre les surréalistes. Associant les techniques du frottage et de la décalcomanie, il développe une expression fondée sur la paréidolie (la reconnaissance de formes familières dans un paysage, des nuages ou des taches). Invité à participer aux expositions internationales du surréalisme à Londres en 1936 et à Paris en 1938, Oelze est encore présent dans l'exposition «Surrealist Intrusion in the Enchanters' Domain» organisée par André Breton et Marcel Duchamp aux D'Arcy Galleries à New York.
 
Remedios Varo (1908-1963). Creación de las aves, 1957. Huile sur masonite. Acervo Museo de Arte Moderno INBAL / Secretaria de Cultura.
 
Yahne Le Toumelin (1923-2023). Le Cheval de Merlin l'enchanteur, 1953. Huile sur papier marouflé sur toile. Collection particulière Ève Ricard.

Élève de l'Académie André Lhote, Yahne Le Toumelin s'installe au Mexique en 1950 avec son époux Jean-François Revel. Elle y rencontre Leonora Carrington qui lui enseigne la technique de la tempera sur bois et inspire son iconographie, largement marquée par la mythologie celtique. Issu de la légende du roi Arthur, Le Cheval de Merlin l'enchanteur est caractéristique de cette peinture extrêmement savante où se multiplient détails symboliques et références magiques. En 1955, Le Toumelin fait la connaissance de Breton et expose à la galerie À l'Étoile scellée, avant de s'affilier à l'abstraction gestuelle. En 1967, au cours d'un voyage initiatique en Inde, elle devient la première nonne bouddhiste française.
Scénographie
 
Jorge Camacho (1934-2011). La Danse de la mort, opus 2, 1972. Huile sur toile. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Achat en 1977. Dépôt du Centre national des arts plastiques en 2013.

Arrivé à Paris en 1959, le peintre cubain Jorge Camacho entre rapidement en contact avec les surréalistes. Ses couleurs sourdes cernées d'un dessin acéré servent une peinture savante qui témoigne de sa connaissance érudite de l'alchimie qu'il pratique en initié au contact de Bernard Roger, Eugène Canseliet et René Alleau. En 1976, ce dernier présente à la Galerie de Seine une exposition des œuvres de Camacho intitulée «La Danse de la mort». Inspirée des représentations médiévales de danses macabres, cette série joue avec humour sur les mots «Caput mortuum» [tête de mort], une expression alchimique désignant un pigment de couleur brun violacé obtenu par calcination du sulfate de fer.
 
Ithell Colquhoun (1906-1988). The Dance of the Nine Opals, 1942. Huile sur toile. The Jeffrey Sherwin & Family Collection, permanently housed at The Hepworth Wakefield, 2022.

Encore étudiante, Ithell Colquhoun découvre l'alchimie et se consacre à l'étude des textes ésotériques. Riche de son double attachement aux cultures celte et hindoue, elle développe une connaissance des sciences occultes mêlant le christianisme au tantrisme, la Kabbale au wiccanisme. The Dance of the Nine Opals évoque le cercle de Merry Maidens, un cercle de pierres néolithique en Cornouailles qui, selon une légende locale, représenterait des danseuses pétrifiées. En avril 1940, alors qu'elle refuse de quitter les nombreuses sociétés secrètes dont elle est membre, Colquhoun est exclue du groupe surréaliste.
 
Joseph Sima (1891-1971). Le Cristal, 1925. Huile sur toile. Musée des beaux-arts de Reims. Achat, 1984.
 
Remedios Varo. Papilla estelar / Celestial Pablum, 1958. Huile sur masonite, 91,5 × 60,7 cm. Colección FEMSA.Ph © FEMSA Collection. © Adagp, Paris, 2024.
 
Remedios Varo (1908-1963). Alegoria del invierno, 1948. Gouache sur papier. Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofia, Madrid.
 
Victor Brauner (1903-1966). La Pierre philosophale, 1940. Huile sur toile. Musée d'art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole.
Scénographie
Jorge Camacho (1934-2011). Maquettes des Arcanes, 1998.
- 0. Le Théâtre chimique
- II. Coïtus
- III. Sulphurus = faire
- IV. Salis - La caravane
- V. Mercurius - la flamme humide
- VI. Stella - le cristal. Le cri astral
- VII. Caput Mortum
- VIII. Leo Lunaris - Esmeralda
 
- IX. Ros
- X. Volatilia Celi - l'enlèvement
- XI. La Remora. Le poisson hermétique
- XII. Caballus - le cavalier
- XIII. ATHANOR - le feu
- XIV. Via Brevis - la voix du désert
- XV. Estrella negra. Separatio - le couperet
16 dessins originaux. Encre de chine et crayon de couleur sur papier. Margarita Gruger-Camacho.
Victor Brauner, André Breton, Frédéric Delanglade, Oscar Dominguez, Max Ernst, Jacques Hérold, Jacqueline Lamba, André Masson. Le Jeu de Marseille, mars 1941. Techniques mixtes sur papier. Musée Cantini, Marseille. Don de Mmes Aube Elléouët-Breton et Oona Elléouêt en 2008 en mémoire de Varian Fry en 2003.

En 1941, rassemblés à la villa Air-Bel à Marseille, en attente d'un visa leur permettant de fuir la France occupée, les surréalistes imaginent un jeu de Tarot. Désireux de «continuer à interpréter librement le monde», ils remplacent les couleurs traditionnelles par la Flamme, l'Étoile, la Roue et la Serrure, respectivement associées à l'Amour, au Rêve, à la Révolution et à la connaissance. Le Roi, la Reine et le Valet cèdent la place au Génie, à la Sirène et au Mage, tandis que se substituent aux figures traditionnelles les héros du panthéon surréaliste: Baudelaire, Hélène Smith, Lautréamont, Novalis, Lamiel, Sade, Freud, Alice ou encore Ubu.
 
Gordon Onslow Ford (1912-2003). Propaganda for Love, 1940. Huile sur toile. Lucid Art Foundation Collection.
 
Jacques Hérold (1910-1987). Le Grand Transparent et La Nourriture du Grand Transparent, 1947/1964 et 1947. Plâtre: plat en céramique contenant deux hémisphères terrestres, fil à plomb en acier. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne. Paris. Achat, 2015.
Scénographie
 
Matta (1911-2002). La Pierre philosophale, 1942. Mine graphite et pastel à la cire sur papier. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne Paris. Achat, 1985.
 
Matta (1911-2002). Cahier de note, 1943. Collection Ramuntcho Matta.


11 - HYMNES À LA NUIT

Scénographie

Aux temps du romantisme, dans ses Hymnes à la nuit, Novalis louait «l'ineffable, la sainte, la mystérieuse nuit». Pour la génération symboliste, c'est Victor Hugo qui avait fait le choix de l'obscurité : «L'homme qui ne médite pas vit dans l'aveuglement, l'homme qui médite vit dans l'obscurité. Nous n'avons que le choix du noir». Dans son récit Aurélia (1855), sous-titré «le Rêve et la vie», Gérard de Nerval annonçait la nuit surréaliste. Cette coïncidence des contraires que favorise la nuit inspire à André Breton le titre paradoxal La Nuit du tournesol et à René Magritte la série L'Empire des lumières. Dans son recueil Paris de nuit (1933), le photographe roumain Brassaï prouve sa puissance de métamorphose, sa capacité à transformer la ville moderne en un labyrinthe archaïque, ouvert au merveilleux. Noctambules, disciples de Nosferatu et de Fantômas, les surréalistes plongent dans l'obscurité «l'Exposition internationale du surréalisme» qu'ils organisent en 1938 à la Galerie des Beaux-Arts, à Paris.

 
Texte du panneau didactique.
 
Joan Miro (1893-1983). Chien aboyant à la lune, 1926. Huile sur toile. Philadelphia Museum of Art: A. E. Gallatin Collection, 1952.
Scénographie avec des photographies de Brassaï (1899-1984).

D'origine hongroise, le photographe Brassaï connaît un certain succès auprès des cercles littéraire et artistique avec son ouvrage Paris de Nuit édité en 1932. Il fréquente assidûment les surréalistes durant toute la décennie et collabore notamment à la revue Minotaure dont il réalise la couverture du premier numéro en 1933. Dans L'Amour fou en 1938, André Breton publie une de ses photographies nocturnes de la tour Saint-Jacques «sous son voile pâle d'échafaudage». Brassaï partage avec les surréalistes un goût pour l'arpentage nocturne des rues parisiennes. Dans le clair-obscur et la brume, la ville se révèle, au seuil de l'irréel, nimbée d'une aura de poésie et de mystères. Dans les années 1980, Brassaï dira : «“le surréalisme” de mes images ne fut autre que le réel rendu fantastique par la vision. Je ne cherchais qu'à exprimer la réalité, car rien n'est plus surréel»
 
Brassaï (1899-1984). Le Ruisseau, vers 1930-1932. Épreuve gélatino-argentique. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Achat, 1997.
 
Brassaï (1899-1984). Mur de prison: la Santé, vers 1930-1932. Épreuve gélatino-argentique. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Achat, 1997.
 
Brassaï (1899-1984). Passage du Palais-Royal, 1932. Épreuve gélatino-argentique. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Donation Madame Gilberte Brassaï, 2002.
 
Citation
 
Brassaï (1899-1984). La Tour Saint-Jacques, vers 1932-1933. Épreuve gélatino-argentique. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Achat, 1994.
 
Brassaï (1899-1984). Vespasienne, vers 1930-1932. Épreuve gélatino-argentique. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Achat, 1997.
Scénographie avec une vidéo (à droite). Luis Buñuel, Salvador Dali. Un Chien andalou, 1929. Film 35 mm numérisé noir et blanc, sonore (extrait), 15 min. 31 sec. © 1928 Les Grands Films Classiques.

«Dali me dit: cette nuit, j'ai rêvé que des fourmis pullulaient dans ma main. - Eh bien ! Moi, j'ai rêvé qu'on tranchait l'œil de quelqu'un.» Ainsi Luis Buñuel évoque-t-il la naissance  d'Un Chien andalou, écrit à quatre mains avec le peintre catalan et présenté pour la première fois en juin 1929, au Studio des Ursulines à Paris, devant le groupe surréaliste. Consacré d'emblée cinéaste officiel du mouvement, Buñuel présente le film au Studio 28 pendant huit mois, occasionnant de nombreux scandales et se réjouissant de «ce coup de poignard en plein cœur du Paris spirituel et élégant». Dès la première scène du film, le nuit renforce le caractère difficilement supportable des images, brouillant les frontières entre rêve et réalité.
Scénographie
 
Toyen (1902-1980). Minuit, l'heure blasonnée, 1961. Huile sur toile. Collection particulière.

Minuit, l'heure blasonnée, emprunte son titre à un vers de Gaspard de la nuit (1842) du poète Aloysius Bertrand, considéré par Breton comme l'un des précurseurs du surréalisme. Dans le poème «La Chambre gothique», il décrit les apparitions terrifiantes émergeant la nuit, à la lisière du sommeil: «Minuit, l'heure blasonnée de dragons et de diables!». Marquée par le souvenir du Cauchemar de Füssli (1781), Toyen place cette vision fantasmagorique sur une scène, observée depuis la loge d'un théâtre. Le spectre rose qui flotte au centre du tableau et la lueur verte phosphorescente sont caractéristiques de la dissolution des formes à laquelle l'artiste parvient au tournant des années 1960.
 
Judit Reigl (1923-2020). Ils ont soif insatiable de l'infini, 1950. Huile sur toile. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Achat, 2003.

En 1950, après plusieurs tentatives restées vaines, Judit Reigl parvient à quitter clandestinement la Hongrie pour la France. À Paris, elle retrouve son compatriote Simon Hantaï qui lui présente André Breton. Pour remercier ce dernier d'une visite à son atelier, la peintre lui offre cette toile, inspirée d'un vers des Chants de Maldoror de Lautréamont. Breton écrit à l'artiste: «Vous me donnez un des grands émerveillements de ma vie. Je n'aurais jamais cru que cette parole de Lautréamont pût trouver image à sa hauteur.» Cette vision cauchemardesque nourrie de ses souvenirs de l'exil et de la légende des Cavaliers de l'Apocalypse, figure dans l'exposition que Breton consacre à l'artiste en novembre 1954 à la galerie À L'Étoile scellée.
 
Victor Brauner (1903-1966). Portrait de Novalis, 1943. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Don de Mme Jacqueline Victor Brauner, 1982.

Caché dans les Hautes-Alpes durant l'Occupation, Victor Brauner réalise plusieurs objets de «contre-envoûtement», destinés à le protéger des dangers de la guerre. Héritier des talismans magiques populaires, ce petit assemblage, qui réunit une tête de plâtre et un médaillon de cuivre orné d'écriture kabbalistique, est un hommage au philosophe et poète Novalis (1772-1801), que Brauner convoquera régulièrement durant son exil. Au centre, un vers des Hymnes à la nuit du poète romantique allemand apparaît comme une incantation: « Plus divins que les étoiles scintillantes nous semblent les yeux infinis que la nuit a ouverts en nous».
 
Roland Penrose (1900-1984). Nocturnal Union, 1936. Huile sur toile. Collection particulière.
 
Leonor Fini (1907-1996). Extrême nuit, 1977. Galerie Minsky. Collection particulière.

Formée en autodidacte en Italie, Leonor Fini se rapproche du cercle surréaliste et expose régulièrement à ses côtés, sans pour autant Intégrer le groupe. Sa peinture emprunte au symbolisme, notamment à Fernand Khnopff dont la Medusa endormie (1896) lui inspire cette peinture. Symboles de l'imagination, ses créatures hybrides d'un extrême maniérisme hantent la nuit, éloignées des lumières de la raison: «Dans l'histoire de la peinture, j'ai toujours été attirée par la nuit pompéienne, la nuit des gothiques rhénans, la nuit maniériste, la nuit caravagesque, celle des romantiques allemands.»
 
René Magritte. L’Empire des lumières, 1954. Huile sur toile, 146 x 114 cm. Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles.


12 - LES LARMES D'ÉROS

Scénographie

«Ce qui, dans leur ensemble, caractérise et qualifie les œuvres surréalistes, ce sont, au premier chef, leurs implications érotiques». En plaçant l'érotisme au cœur du projet surréaliste, Breton rend l'«Amour fou» à son sens littéral: une passion capable de provoquer la folie. L'amour surréaliste se mue en un sentiment révolutionnaire et scandaleux. Dans cette recherche d'une liberté absolue, le Marquis de Sade a ouvert la voie. Il inspire à Alberto Giacometti son Objet désagréable, à Hans Bellmer sa Poupée, à Joyce Mansour ses Objets méchants et sa poésie incandescente. Trois ans après que la publication des écrits de Sade vaut à son éditeur Jean-Jacques Pauvert d'être poursuivi en justice, la huitième «Exposition inteRnatiOnale du Surréalisme (EROS)» organisée en 1959 à la galerie Daniel Cordier à Paris est tout entière vouée à l'érotisme.

 
Texte du panneau didactique.
 
René Magritte (1898-1967). Les Jours gigantesques, 1928. Huile sur toile. Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen, Dusseldort. Erworben 1995 mit Unterstützung des Ernst von Siemens-Kunstfonds, der Kulturstiftung der Länder und der Kunststiftung NRW.
 
Mayo (1905-1990). Dessin cruel, 1937. Technique mixte sur toile. Collection Sylvain et Evelyne Yeatman-Eiffel.

Membre du groupe du Grand Jeu, proche des surréalistes parisiens, Mayo retourne en 1937 dans son Égypte natale, au moment même où s'organise autour de Georges Henein le groupe d'obédience surréaliste Art et Liberté. Son œuvre, d'une grande sensualité, est peu à peu gagnée par la brutalité et la violence liée au climat de troubles politiques. Dans son œuvre, comme dans celle de Pablo Picasso, Hans Bellmer ou Victor Brauner au même moment, la violence intime se superpose à la violence politique. Cette même année 1937, ses «dessins sadiques» sont présentés dans l'exposition «L'Art Cruel», organisée à Paris en gage de soutien au combat des républicains dans la guerre d'Espagne.
 
Citation
 
Salvador Dali. Visage du grand masturbateur, 1929. Huile sur toile, 110 × 150 cm. Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía, Madrid Legado Salvador Dalí, 1990. © Salvador Dalí, Fundació Gala-Salvador Dali / Adagp, Paris 2024.
 
Hans Bellmer (1902-1975). La Poupée, 1935-1936. Bois peint et matériaux divers. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Don de l'artiste à l’État, 1972. Attribution, 1976.
Scénographie
 
Francis Picabia (1879-1993). Les Amoureux (après la pluie), vers 1924-1925. Ripolin sur toile. Musée d'Art moderne. Achat en vente publique. Vente des objets restés dans l'appartement occupé par André Breton 42, rue Fontaine à Paris en 2002.
 
Wilhelm Freddie (1909-1995). Les Tentations de saint Antoine, 1939. Huile sur toile. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Don de M. et Mme Jean-Paul Kahn, 2003.
 
Pablo Picasso (1881-1973). Le Baiser, été 1925. Huile sur toile. Musée national Picasso, Paris.
 
Oscar Dominguez (1906-1957). Machine à coudre électro-sexuelle, 1934-1935. Huile sur toile. Sparebankstiftelsen DNB. Deposited at Henie Onstad Kunstsenter.
 
Toyen (1902-1980). La Femme magnétique, 1934. Huile sur toile. Collection Géraldine Galateau, Paris.
 
Jindrich Styrsky (1899-1942).L'Homme-Seiche, 1934. Huile sur toile. Collection Géraldine Galateau, Paris.
Scénographie
 
Man Ray (1890-1976). Le Violon d'Ingres, 1924. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Achat, 1993.
 
1) Man Ray (1890 - 1976). Le Retour à la raison, 5 juillet 1923. Film 35 mm numérisé noir et blanc, muet (extrait). 2 min. 51 sec. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Don de l'artiste, 1975.

2) Luis Buñuel (1900 - 1983). L'Age d'or, 1930. Film 35 mm numérisé noir et blanc, sonore (extrait), 1h 3 min. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Dation, 1989.

Après le scandale suscité par son film Un Chien andalou en 1929, Luis Buñuel récidive l'année suivante en présentant au public un film «anticlérical et antibourgeois», L‘Âge d'Or. Hymne à l'amour fou et à la subversion, le film superpose des scènes inspirées de l'Évangile et des 120 journées de Sodome du marquis de Sade. Produit par les mécènes Charles et Marie-Laure de Noailles, le film est projeté au Studio 28 en novembre 1930 et suscite la colère des foules qui attaquent la salle et lacèrent plusieurs œuvres surréalistes exposées.

 
Jindrich Styrsky (1899-1942). Émilie vient à moi en rêve, 1933 (détail). Épreuves gélatino-argentiques, tirages d'exposition d'après les négatifs gélatino-argentique originaux. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Don anonyme, 1998.
 
Jindrich Styrsky (1899-1942). Émilie vient à moi en rêve, 1933 (détail). Épreuves gélatino-argentiques, tirages d'exposition d'après les négatifs gélatino-argentique originaux. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Don anonyme, 1998.
 
Pierre Molinier (1900-1976).
- Ossipago se cache
, vers 1970.
- Sur le pavois ou sur le parvis, vers 1970.
Épreuves gélatino-argentiques. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Achat, 1980.

En 1955, le peintre bordelais Pierre Molinier est remarqué par André Breton pour ses tableaux à l'univers inquiétant et érotique. Dès lors, Molinier participe aux diverses activités du groupe surréaliste et explore, au seuil de la vie et de l'art, une expressivité radicale et sexuellement transgressive. À partir des années 1960, il réalise des autoportraits photographiques dans lesquels il incarne un personnage androgyne arborant les accessoires d'une sexualité fétichiste ritualisée: haut talons, godemichets, voilettes et lingerie féminine de couleur noire. Ces clichés composent la matière de photomontages méticuleux dans lesquels Molinier redouble à l'excès les motifs - jambes, sexes, scènes de coït - dans une vision hallucinatoire.

Scénographie
 
Yves Elléouët (1932-1975). Farder la nuit, 1960. Tissu peint, fermeture éclair et miroir. Musée des beaux-arts de Quimper, France. Don de Mmes Aube Elléouët-Breton et Oona Elléouët en 2014.
 
Mimi Parent (1924-2005). Maîtresse, 1996. Assemblage. Cheveux, manche de cuir, boîte sous verre. Collection Mony Vibescu.
 
Bona de Mandiargues (1926-2000). La Lubricità, 1970. Collage de tissus sur toile. RAW (Rediscovering Art by Women).
 
Ted Joans (1928-2003). Sure, Really I is, Aren't YOU?, 1954/1979. Papier, ficelle, argent, cauris, gourdes, os, bois, quincaillerie, toile de jute, fibre végétale, paille. Duncan Caldwell Collection, USA. Courtesy Zürcher Gallery, NY.
 
Jean Benoît (1922-2010). L'Aigle, Mademoiselle, 1987. Pâte d'os, de papier et de bois, os, élytres d'insectes. Collection Alain Planès.
 
Alberto Giacometti (1901-1966). Objet désagréable, 1931. Plâtre. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Don de Bruno, Odette Giacometti et Silvio Berthoud en 1988.
 
Alberto Giacometti (1901-1966). Boule suspendue, 1930/1931. Bois, fer et corde. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Achat, 1996.
 
Salvador Dali (1904-1989). Objet scatologique à fonctionnement symbolique (Le Soulier de Gala), 1931/1973. Chaussure en cuir, bois, fil, papier et objet divers. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Achat avec la participation du fonds du patrimoine, 2014.
 
Camille Bryen. Morphologie du désir, 1934-1937. Bois, plâtre et métal. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Achat, 1975.
 
Félix Labisse (1905-1982). Danaé, 1947. Huile sur toile. Collection particulière.
 
Joyce Mansour.
- Untitled (Objet méchant),
1965-1969. Métal, 13 × 20 × 20 cm (objet de gauche).
Collection particulière.
- Untitled (Objet méchant), 1965-1969.
Collection Cyrille Mansour.
 
Ghérasim Luca (1913-1994). Vénus d'Urbino, 1960. Montage de cartes postales découpées et collées sur une plaque de mélaminé fixée sur contreplaqué. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Don de Mme Micheline Catti, 2015.


13 - COSMOS

Scénographie

Dans les «Prolégomènes à un troisième Manifeste, ou non» (1942), André Breton reconsidère la place de l'homme au sein du cosmos: «L'homme n'est peut-être pas le centre, le point de mire de l'univers». Loin de la posture moderne d'un homme coupé d'une nature dont il se veut le possesseur, le surréalisme emprunte au Moyen Âge son principe d'une continuité entre microcosme (le corps humain comme image réduite de l'univers) et macrocosme (l'univers tout entier). La visite d'André Breton en territoires Hopi et celle d'Antonin Artaud chez les Indiens Tarahumaras confirment leur intuition qu'une autre relation au monde est encore possible. La planche gravée, que publie André Masson en 1943, intitulée «Unité du cosmos», ne dit pas autre chose: «Il n'y a rien d'inanimé dans le monde, une correspondance existe entre les vertus des minéraux, des végétaux, des astres et des corps animaux».

 
Texte du panneau didactique.
 
Joan Miró. Femmes encerclées par le vol d’un oiseau, 1941. Gouache et lavis à l’huile sur papier, 46 × 38 cm. Collection particulière. Courtesy Galerie 1900-2000, Paris. Ph © Galerie 1900-2000, Paris. © Successió Miró / Adagp, Paris, 2024.

En janvier 1940, dans son atelier de Varangeville-sur-Mer, Joan Miró entreprend une série de petites gouaches colorées sur lesquelles se déploient d'intenses signes noirs. Cette nouvelle écriture fixe durablement le vocabulaire idéographique de l'artiste. En 1959, les vingt-quatre Constellations sont rassemblées dans un recueil de fac-similés préfacé par André Breton: «Dans une heure d'extrême trouble [...] il semble que Miró ait voulu déployer le plein registre de sa voix. N'importe où hors du monde et, de plus, hors du temps, mais pour mieux retenir partout et toujours, jaillit alors cette voix au timbre de si loin discernable, qui s'élève à l'unisson des plus hautes voix inspirées.»
 
Jacqueline Lamba (1910-1993). Derrière le soleil, 1943. Huile sur toile. Rowiand Weinstein, courtesy Weinstein Gallery, San Francisco.
 
Jean Peyrissac (1895-1974). Indicible cosmos, 1931. Bois peint, acier, ficelle, éclairage électrique. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Achat de l'État 1974. Attribution 1976.
 
Gerome Kamrowski (1914-2004). The Structure of Light, vers 1940-1946. Encre sur papier. Mark Kelman, New York.
 
Óscar Domínguez (1906-1957). Fantasía cósmica, 1938. Huile sur toile. Collection particulière.
 
Alice Rahon (1904-1987). Crystals in Space: Sans titre, 1945. Gouache sur papier. Collection particulière.
 
Alice Rahon (1904-1987).Crystals in Space: Mozart, 1942. Gouache sur papier. Collection particulière.
Scénographie
 
Max Ernst (1891-1976). Naissance d'une galaxie, 1969. Huile sur toile. Fondation Beyeler, Riehen / Basel, Beyeler Collection.
 
Jean Degottex (1918-1988). 10 juillet 1956, 1956. Huile sur toile. Collection particulière, Paris.
Roberto Matta (1911-2002). Xpace and the Ego, 1945. Huile et pigments fluorescents sur toile. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Achat, 1983.

Au début des années 1940, Matta incarne le renouveau du mouvement surréaliste, répondant à l'appel d’un «nouveau mythe pour l'homme moderne» lancé par Breton. Peint «en une nuit» d'après son auteur, Xpace and the Ego met en scène le mythe des «Grands Transparents», symboles de l'impuissance de l'homme face aux désastres d'ordre naturel, moral et politique, inspirées par la science-fiction et témoins de la «puissance terrifiante de la terre» d'après le peintre, ces figures totémiques envahissent l'espace chaotique de la toile, lacéré de lignes et brossé nerveusement.
 
Poupée rituelle kachina, Shungopovi, Arizona, États-Unis, XXe siècle. Bois peint (peuplier américain). Musée du quai Branly - Jacques Chirac. Donateur Museum of Northern Arizona.
 
André Breton (1896-1966). Carnet de voyage chez les indiens Hopi, 1945. Chancellerie des universités de Paris - Bibliothèque littéraire Jacques Doucet.
En août 1945, André Breton séjourne dans une réserve Hopi, en Arizona. Il y tient un carnet, consignant les pratiques de la communauté, ses rituels et objets du quotidien. Il y retrouve notamment l'art des poupées Kachina, découvert et collectionné par les surréalistes dès les années 1920. Ces poupées, offertes aux enfants à l'occasion de cérémonies rituelles, représentent les esprits de la mythologie Hopi. Selon Breton, ces objets chargés de magie «infligent un échec éclatant aux lois de représentation plastique qui sont les nôtres». «L'indien, écrit-il dans son carnet, regarde au-delà de lui-même, continent stellaire.».
 
Alan Glass (1932-2023). L'Agriculture céleste, 1996. Techniques mixtes. Collection particulière, Paris. Courtesy Galerie Claude Bernard.
 
Marcelle Loubchansky (1912-1988). Bethsabée, 1956. Huile sur toile. Musée Unterlinden, Colmar.

En décembre 1952, André Breton et Charles Estienne inaugurent la galerie À L'Étoile scellée, à Paris. Ils y présentent une nouvelle génération de peintres, doublement marquée par le surréalisme et l'abstraction gestuelle. Les signes tracés avec fulgurance par Jean Degottex, dans lesquels Breton reconnaît «la plus haute leçon» de la peinture chinoise, renouent avec le premier automatisme. Les effusions richement colorées de Marcelle Loubchansky poursuivent cette recherche d'une peinture cosmique: «Nul n'a su comme elle libérer et rendre tout essor à ces formes issues du sein de la terre et participant à la fois de l'humidité et de la flamme qui attestent une nouvelle gestation» écrit Breton.
Scénographie
 
Figure Iniet, Tolaï, Nouvelle-Bretagne, XIXe siècle. Bois léger polychrome, fibres naturelles. Collection particulière, Paris.
 
Statue Uli, Nouvelle-Irlande, XVIIe-XVIIIe siècle. Bois. Courtesy of Venus Over Manhattan.
 
Rufino Tamayo (1899-1991). Cuerpos celestes, 1946. Huile et sable sur toile. Peggy Guggenhem Collection. Venise (Solomon R. Guggenheim Foundation, New York).

Descendant d'indiens zapotèques, marqué par la culture maya, Rufino Tamayo développe une expression très personnelle, nourrie de sources précolombiennes et de peinture moderne, en particulier du cubisme et du surréalisme. Ses œuvres invitent à reconsidérer différemment les liens de l'homme à l'univers alors que l'ère spatiale connaît son avènement après-guerre. En 1950, préfaçant le catalogue de sa première exposition parisienne à la galerie des Beaux-arts, Breton loue cette peinture, capable selon lui de «rouvrir la voie de grande communication que la peinture doit être entre les continents».
 
Michel Zimbacca, Jean-Louis Bédouin. L'invention du monde, 1953. Film 35 mm numérisé noir et blanc, sonore (extrait),  24 min. 35 sec. Distribution Francis Lecomte / Luna Park Films. L'invention du monde © 1952, L'âge du cinéma.

Montage d'images ethnographiques porté par un commentaire du poète Benjamin Péret, L'Invention du monde poursuit le décentrement de l'Occident initié par les surréalistes dès les années 1920. Le réalisateur Michel Zimbacca et le poète Jean-Louis Bédouin y proposent une expérience poétique résolument nouvelle, à la croisée du cinéma, de l'art et de l'anthropologie. Des photographies d'objets aztèques, hopis, navajos, incas, canaques ou encore papous, s'y succèdent sans hiérarchie, exaltant l'unité de la création humaine et l'universalité des mythes fondateurs. Deux ans plus tôt, tout juste entré en surréalisme, Bédouin plaidait déjà pour la destruction de cette «muraille [entre les peuples] élevée par des siècles de progrès».
 
Joan Miro (1893-1983). L'Étoile matinale, 16 mars 1940. Gouache, huile et pastel sur papier. Fondació Joan Miró, Barcelone. Gift of Pilat Juncosa de Miró.
 
Yves Laloy (1920-1999). Sans titre, vers 1955. Huile sur toile. Perrotin.

Architecte de formation, Yves Laloy peint ses premières œuvres constituées de motifs géométriques vivement colorés au début des années 1950. Enchanté par une toile, Les Petits pois sont verts, les petits poissons rouges, qu'il choisit pour illustrer la couverture du Surréalisme et la peinture, Breton écrit à son sujet: «Alors qu'une composition de Kandinsky répond à des ambitions symphoniques, un tableau de sable Navajo relève avant tout de préoccupations cosmogoniques et tend à influencer le cours de l'univers, le propre de l'œuvre d'Yves Laloy est de ne faire qu'une de ces deux démarches si distinctes.»


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