SOLEILS NOIRS

Article publié dans la Lettre n°514 du 23 décembre 2020



 
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SOLEILS NOIRS. En physique le noir, qui absorbe la quasi-totalité de la lumière, n’est pas une couleur. En 1946 une exposition célèbre à la Galerie Maeght à Paris, Le noir est une couleur, montrait qu’il n’en était pas ainsi pour les artistes et que le noir s’étale lui-aussi sur leur palette. La présente exposition, avec ses quelque 180 œuvres réalisées par plus de 90 artistes, de l’Égypte antique à aujourd’hui, développe cette perception dans toutes les directions. Ce faisant, elle n’oublie pas que le Louvre Lens a été construit sur un terril plat et que c’est le 2 février 1720, il y donc trois cents ans, que la première veine de charbon a été découverte à Fresnes-sur-Escaut, dans le Pas-de-Calais. Un terril en confettis de papier de Stéphane Thidet et un fossile de fougère trouvé dans une mine de charbon évoquent d’emblée cette situation.
Le parcours de l’exposition comprend quatre grandes sections, elles-mêmes divisées en sous-sections bien documentées et magnifiquement illustrées, avec des œuvres de tout premier plan provenant d’une cinquantaine de musée nationaux et étrangers et de collectionneurs privés.
La première partie, « L’expérience du noir », nous présente tout d’abord quelques œuvres où le noir est prédominant comme dans ce tableau de Dorothy Napangardi, Salt on Mina Mina (2007) ou ces yeux de Laurent Grasso, Panoptes (2019-2020). On explore ensuite diverses représentations de la nature où le noir est présent. C’est le cas des nocturnes (Léon Alègre, Pleine lune, 2e moitié du 19e siècle), des eaux qui, le soir, deviennent noires (Alexander Harrison, La solitude, vers 1893) ou de la nature qui s’assombrit sous l’effet de certains phénomènes naturels (Émile Breton, L’Ouragan, 1863). Le noir permet aussi aux artistes de créer des effets particuliers par l’utilisation des ombres (Émile Friant, Ombres portées, 1891) ou du contre-jour (Joseph Vernet, Vue d’une cascade à travers des rochers, vers 1735-1740).
Le noir obscurcit et nous empêche de voir. Tel est le point de départ de la deuxième partie « Le noir et le sacré ». Les hommes lui ont donc associé ce qui inquiète et fait peur. C’est l’Enfer et Satan au Moyen-Âge (La Chute des anges rebelles, XIVe siècle), la sensualité, le péché et la mort à la fin du XIXe siècle (Félicien Rops, L’Idole, 1882). Encore aujourd’hui des artistes comme Damien Hirst, avec ses mouches collées sur sa toile, y ont recourt (Who’s Afraid of the Dark ?, 2002). Mais le noir est aussi associé à la création. Au commencement étaient les ténèbres. Les dieux créateurs de l’Égypte antique, Isis et Osiris, sont représentés par des sculptures en diorite, une roche volcanique noire. Plus près de nous, c’est une vierge noire qui protège les marins à Boulogne-sur-Mer (La Vierge à l’Enfant, dite Vierge nautonière, 1803), reprenant la tradition de ces vierges noires du Moyen-Âge.
Le noir est aussi associé à la mort. C’est le noir rédempteur des Évangiles (Ernest Hébert, d’après José de Ribera, La Descente de Croix, vers 1840) ou celui des vanités : « Souviens-toi que tu vas mourir » (Philippe de Champaigne, Vanité, ou Allégorie de la vie humaine, vers 1645).
La troisième partie, « La dimension sociale du noir », nous montre que le noir, pourtant associé à la salissure, à la pénitence ou encore à l’humilité, est la couleur des habits des aristocrates à partir du XVIe siècle. En effet les tissus d’un beau noir étant difficiles à réaliser et donc chers, ils sont l’apanage des gens riches (Nicolaes Eliasz Pickenoy, De regenten van het Spinhuis, 1628). La mode du noir perdure au fil des siècles et si, au XIXe siècle, elle est devenue celle du deuil (Émile Friant, La Douleur, 1898), elle reste cependant la couleur de l’élégance (Carolus-Duran, La dame au gant, 1869) comme le montre aussi cette robe de Jeanne-Marie Lanvin, Neptune (Hiver 1926-1927).
On associe aussi le noir à la misère. Deux tableaux dramatiques illustrent ce propos. Celui de Fernand Pelez, Un Martyr. Le Marchand de violettes (1885) et celui de Philippe-Auguste Jeanron, encore plus explicite car il montre la trahison de la monarchie de Juillet,  Une Scène de Paris (1833).
La dernière partie « Le noir industriel », évoque la transformation des sociétés à dominante agraire et artisanale en des sociétés de nature commerciale et mécanisée et la répercussion qui s’ensuit dans le monde de l’art. On commence bien sûr par une évocation du charbon, avec des photographies de « gueules noires » et de chevalements, et aussi une sorte de pietà des temps modernes, un bronze de Constantin Meunier, Le Grisou (1893). Les œuvres modernes exposées dans cette salle utilisent le goudron (Bernar Venet, Goudron, 1963) ; les sacs en toile de jute (Jannis Kounellis, Sans titre, 1985) ou des matériaux industriels comme le font Arman (Accumulation Renault, 1968-1969) et César (Compression de capot de voiture, 1990).
Les dernières salles nous montrent comment les artistes se sont emparés du noir dans leurs créations, soit pour faire des œuvres où le blanc se détache bien du fond noir (Félix Vallotton, Le feu d'artifice, 1901), soit pour faire ressortir leur sujet, comme une silhouette, en utilisant un fond noir (entourage de Léonard de Vinci, Portrait de femme, dit La Belle Ferronière, vers 1495-1499), soit encore en l’utilisant d’une manière quasi monochrome (José de Ribera, Le philosophe Platon, 1630) ou totalement monochrome comme le font Ellsworth Kelly et Tony Smith dans leur œuvres en métal noir.
L’exposition se termine avec deux merveilleux tableaux « outrenoirs » de Pierre Soulages, dont on ne cessera d’admirer l’ingéniosité et la virtuosité, et un tableau de son ami Hans Hartung. Une exposition remarquable, bénéficiant des grands espaces d’exposition de ce musée, de tableaux didactiques et de cartels intéressants, et d’une très belle scénographie. R.P. Louvre Lens (62). Jusqu’au 25 janvier 2021. Lien : www.louvrelens.fr.


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