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Parcours en images et en vidéos de l'exposition
RIBERA
Ténèbres et lumière
avec des visuels
mis à la disposition de la presse
et nos propres prises de vue
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Le Petit Palais rend hommage, pour la première fois en France, au grand peintre espagnol Jusepe de Ribera (1591-1652). Né à Jativá, près de Valence, Ribera quitte l’Espagne jeune, pour ne jamais y revenir. Vers 1605-1606 – il est alors âgé de quinze ans à peine-, il s’installe à Rome, où il côtoie l’œuvre de Caravage, et peut-être l’artiste lui-même. Cette rencontre le marque à jamais. Adepte pionnier du caravagisme, il contribue activement à son renouveau. En 1616, Ribera s’établit définitivement à Naples, alors possession espagnole. Sa carrière est fulgurante. Recherché par les vice-rois qui gouvernent la ville, l’aristocratie locale et les ordres religieux, il multiplie les commandes prestigieuses, à Naples et en Espagne.
Aux yeux de ses contemporains, Ribera est «plus sombre et plus féroce» encore que Caravage! Pour lui, toute peinture – qu’il s’agisse d’un Mendiant, d’un philosophe ou d’une Pietà – procède de la réalité, qu’il transpose dans son propre langage. La gestuelle est théâtrale, les coloris noirs ou flamboyants, le réalisme cru et le clair-obscur dramatique. Avec une même acuité, il traduit la dignité du quotidien aussi bien que des scènes de torture bouleversantes. Ce ténébrisme extrême lui valut au XIXe siècle une immense notoriété, de Baudelaire à Manet.
Avec plus d’une centaine de peintures, dessins et estampes venus du monde entier, l’exposition retrace pour la première fois l’ensemble de la carrière de Ribera: les années romaines, reconstituées depuis peu, et l’ambitieuse période napolitaine. Il en ressort une évidence. Ribera, l’hériter terrible du Caravage, s’impose comme l’un des interprètes les plus précoces, les plus audacieux et les plus extrêmes de la révolution caravagesque, et au-delà comme l’un des plus grands maîtres de l’âge baroque.
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Affiche à l'entrée de l'exposition.
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Texte du panneau didactique. |
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Entrée de l'exposition |
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Scénographie |
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2 - RIBERA À ROME. SE NOURRIR DU CARAVAGE
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Scénographie |
Les témoignages sur les débuts espagnols de Ribera font défaut. Il s’installe à Rome, alors capitale européenne des arts, vers 1605-1606, pour y demeurer une dizaine d’années. Au cœur du quartier des artistes, non loin du Panthéon, le jeune Ribera, que l’on surnomme «Lo Spagnoletto» (le petit Espagnol), mène une vie de bohème, extravagante et dissolue.
Différents grands courants artistiques dominent alors la scène romaine. Ribera opte d’emblée pour la voie révolutionnaire du Caravage (1571–1610), qui bouleverse les canons établis, en rejetant le seul principe du «beau idéal», pour promouvoir une peinture «d’après nature». Les deux hommes se sont peut-être côtoyés à Rome, avant la fuite de Caravage pour Naples, en mai 1606.
Caravagesque de la première heure, Ribera reprend les fondements de la leçon du maître, qu’il exacerbe: un réalisme prégnant, un usage provocateur du modèle vivant, un clair-obscur dramatique et des cadrages à mi-corps, dont il accentue la frontalité. Avec une âpreté accrue, il réinterprète les nouveaux sujets caravagesques, inspirés de l’univers des bas-fonds. Ainsi, Ribera fait-il l’honneur d’un portrait à un simple Mendiant. Dans une même veine transgressive, dominée par un puissant naturalisme, il renouvelle la représentation des Cinq sens ou l’iconographie des hommes illustres. |
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Texte du panneau didactique. |
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D'après Guido Reni. Tête de vieillard [Sénèque?], 1600-1603. Terre cuite. Rome, VIVE - Vittoriano e Palazzo Venezia.
Guido Reni a réalisé des esquisses et un buste en terre cuite en prenant pour modèle un manutentionnaire rencontré sur les rives du Tibre, au port de Ripa. On sait que Reni l'admirait pour sa ressemblance avec une sculpture antique que l'on pensait être celle du philosophe Sénèque. Le buste a été amplement reproduit et devient rapidement un accessoire d'atelier qui inspirera largement les artistes, dont Ribera. Deux orientations sont à l’œuvre dans cette sculpture: celle du modèle offert par l'antique et celle de la pratique d’après le modèle vivant. |
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Jusepe de Ribera. Un philosophe, vers 1612-1615. Huile sur toile. Londres, collection particulière, Courtesy of Adam Williams Fine Art.
Réapparu à Paris en 2020, ce portrait énergique de vieillard est un ajout récent au catalogue de la période romaine de Ribera. Le visage buriné, la peau extrêmement ridée, ce vieillard présente une physionomie bonhomme, arborant un large sourire un brin narquois. Le béret orné d’une plume constitue une touche d'élégance qui contraste sur le vêtement modeste, formé de tissus rapiécés.
Assis derrière une table, il tient dans ses mains une liasse de feuilles sur lesquelles sont dessinées des figures géométriques. Incarne-t-il un célèbre mathématicien des temps anciens? Certains ont voulu y voir Archimède, Euclide, Pythagore ou Apollonios de Perga.
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Cartel « l'œil aiguisé» (voir ci-dessous).
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Parcours l’œil aiguisé
L’œuvre de Ribera fourmille de détails intrigants, instructifs non seulement sur le sujet des tableaux, mais aussi sur la personnalité de l’artiste et ses pratiques. Pour en savoir plus et stimuler votre sens de l’observation, retrouvez les cartels «OEil aiguisé» au fil du parcours.
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Jusepe de Ribera. Un mendiant, vers 1612-1614. Huile sur toile, 110×78 cm. Galleria Borghese, Rome. © Galleria Borghese.
Avec son regard direct, ses mains rougeaudes qui nous tendent un béret pour demander l’aumône, ce mendiant en haillons incarne les personnages humbles que Ribera sait si bien mettre en lumière. Le traitement frontal d’une figure à mi-corps au plus près du spectateur, les larges coups de pinceau et les forts accents lumineux sont caractéristiques des premières productions romaines de l’artiste. L’œuvre, présente dans les collections Borghèse dès le début du XVIIe, est révolutionnaire : jamais auparavant on n’avait porté une telle attention sincère à une figure du peuple. Ce marginal, peut-être croisé dans les rues de Rome, saisit profondément par la vérité de son dépouillement.
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Jusepe de Ribera. Allégorie de l’odorat, vers 1615-1616. Huile sur toile, 114,5×88,3 cm. Collection Abello, Madrid. © Abello Collection, Madrid / Photo Joaquín Cortes.
La série des Cinq Sens aurait été commandée par Pedro Cosida, représentant commercial du roi d’Espagne à Rome. Avec originalité, Ribera traite l’allégorie à l’image d’une scène de genre tirée du quotidien dans une veine des plus naturalistes. L’odorat est personnifié par un gueux portant un chapeau informe, au visage creusé et à la barbe fournie, vêtu de guenilles. Ribera suggère l’odeur puissante qui se dégage de l’oignon coupé par la larme coulant au coin de l’œil du modèle. Un autre oignon, entier, une tête d’ail et un brin de fleur d’oranger sont disposés négligemment sur la table au premier plan. |
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Jusepe de Ribera. Allégorie du goût, vers 1615-1616. Huile sur toile. Hartford, Wadsworth Atheneum Museum of Art. The Ella Group Sumner and Mary Catlin Summer Collection Fund.
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Jusepe de Ribera. Démocrite, vers 1615-1616. Huile sur toile. Collection particulière.
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Jusepe de Ribera. Démocrite, vers 1615-1616. Huile sur toile. Collection particulière.
Un vieil homme au visage creusé par les rides adresse au spectateur un large sourire. Il incarne Démocrite, philosophe présocratique connu pour son attitude ironique à l'égard de la condition humaine, symbolisée ici par la sphère armillaire, dont il a pris parti de rire. Il est souvent le pendant d'Héraclite, généralement représenté en pleurs, en signe d'affliction face à la misère du monde. La touche, plus fluide et moins impétueuse que celle du Mendiant «Borghèse», situe notre Démocrite vers la fin du séjour romain de Ribera. |
3 - TROUVER SA VOIE, TROUVER SA PLACE.
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Scénographie |
Le jeune Ribera travaille d’abord à la journée, pour le marché de l’art, comme tout novice arrivé à Rome à l’orée du XVIIe siècle. Il force l’admiration de ses contemporains par sa rapidité d’exécution. En deux jours, il brosse un saint, et en cinq, une grande composition. À cette virtuosité technique, il associe une prédilection pour la série et se fait notamment connaître pour ses Apostolados. Ces cycles, très en vogue en Espagne, présentent le Christ et les douze apôtres, de manière isolée. Les deux Apostolados exécutés par Ribera à Rome, à quelques années d’intervalle, permettent de mesurer l’évolution fulgurante de l’artiste. Peints «d’après nature», ce sont de véritables «portraits» de saints, incarnés par les modèles privilégiés du peintre, choisis dans son environnement quotidien. La seconde série, aux figures magnétiques, est à la fois plus abstraite, plus dramatique et plus individualisée. Elle annonce le Ribera à venir et nous livre les clefs de son succès. Elle est le fruit d’une commande majeure de Pedro Cosida, un compatriote du peintre et agent du roi d’Espagne à Rome.
Avec le soutien de la communauté espagnole, «Lo Spagnoletto» accède rapidement au cercle des plus grands collectionneurs de la ville, parmi lesquels le marquis Vincenzo Giustiniani, le cardinal Scipione Borghese et le duc Mario Farnese, qu’il accompagne à Parme en 1611. En une dizaine d’années, Ribera trouve sa voie et se fait un nom dans la plus importante capitale artistique.
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Texte du panneau didactique. |
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Jusepe de Ribera. Saint Thomas, vers 1613. Huile sur toile, 126×97 cm. Fondation Roberto Longhi, Florence. © Per gentile concessione della Fondazione di Studi di Storia dell’Arte Roberto Longhi di Firenze / Photo Claudio Giusti.
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Jusepe de Ribera. Saint Barthélémy, vers 1612. Huile sur toile, 126×97 cm. Fondation Roberto Longhi, Florence. © Per gentile concessione della Fondazione di Studi di Storia dell’Arte Roberto Longhi di Firenze / Photo Claudio Giusti.
Il s’agit du deuxième Apostolado connu de Ribera, dit «Cosida», du nom de son commanditaire, Pedro Cosida, agent du roi d’Espagne à Rome et collectionneur. Les figures à mi-jambes, d’un format légèrement agrandi par rapport au premier Apostolado, se détachent d’un fond uni, traversé d’un violent rai de lumière en diagonale, à la manière du Caravage. Les têtes, aux physionomies très individualisées, sont ceintes d’une auréole dorée. Les lourds manteaux aux plis amples animent les figures et enveloppent leur présence sculpturale. Ribera construit un véritable dispositif scénique autour de ces effigies à la monumentalité inédite. |
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Cartel « l'œil aiguisé ».
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Jusepe de Ribera. Saint guerrier, vers 1614-1615. Huile sur toile. Montauban, musée Ingres Bourdelle.
Ce saint guerrier dont l'identification est incertaine apparaît comme le portrait vivant d’un homme au visage marqué par la fatigue. L'œuvre révèle l’habitude qu'avait Ribera de travailler d’après nature. Surgissant d’un fond sombre, le visage et les mains sont mis en valeur par les beaux effets de contraste entre la couleur noire et la doublure rouge de la cape. Ribera donne vie à la peinture religieuse, par la proximité de modèles tirés de son quotidien. Derrière le saint se dévoile un authentique portrait. |
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Jusepe de Ribera. Saint Jude Thaddée [?], vers 1613. Huile sur toile. Florence, Fondazione di Studi di Storia dell’Arte Roberto Longhi.
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Cartel « l'œil aiguisé ».
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Jusepe de Ribera. Saint Pierre et saint Paul, vers 1616-1617. Signé en bas au centre, sur le bloc de pierre: JOSEPHUS RIBERA. HISPANUS VALEN/TINUS CIVITATIS SETABIS ACA/DEMICUS ROMANUS. Huile sur toile. Strasbourg, musée des Beaux-Arts.
Les deux apôtres sont ici saisis en pleine discussion animée autour des écrits présents sur le grand rouleau qui les sépare. La main de Saint Paul tendue vers l'arrière et tenant une épée fait écho au bloc de pierre saillant vers l'avant en partie basse. Ribera insuffle un mouvement nouveau à ces deux figures, prises dans un véritable dialogue. Les coloris chatoyants, la virtuosité de la nature morte au livre ouvert au premier plan et l’interpellation du regard par saint Paul rendent vivant ce débat théologique. |
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Scénographie (voir détails ci-dessous)
Ces figures sont issues d’un Apostolado, un ensemble de treize toiles indépendantes représentant, de manière isolée, le Christ et les douze apôtres. Ce thème pictural, qui connaît une faveur particulière en Espagne à partir du début du XVIIe siècle, est repris par le jeune Ribera à Rome. Les figures à mi-corps de ce premier Apostolado, dit «aux cartels», sont encore un peu maladroites. Elles présentent des poses et des attributs variés qui permettent de les reconnaître. L’attitude dynamique de saint Thomas - le corps contorsionné, la main et la bouche ouvertes - traduit une recherche accrue du mouvement, à l'opposé de ce que propose Ribera dans l’Apostolado «Cosida» quelques années plus tard. |
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Jusepe de Ribera. Apostolado dit «aux cartels », Saint Jude Thaddée, vers 1607-1609. Huile sur toile. Rennes, musée des Beaux-Arts.
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Jusepe de Ribera. Apostolado dit «aux cartels », Saint Matthieu, vers 1607-1609. Huile sur toile. Christ bénissant. Rennes, musée des Beaux-Arts.
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Jusepe de Ribera. Apostolado dit «aux cartels», Saint Thomas, vers 1607-1609. Huile sur toile. Budapest, Szépmüvészeti Müzeum / Museum of Fine Arts.
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Jusepe de Ribera. Apostolado dit «aux cartels », Christ bénissant, vers 1607-1609. Huile sur toile. Rennes, musée des Beaux-Arts, dépôt de l'église de Nivillac. Classé au titre des monuments historiques le 2 avril 1982.
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4 - RIBERA DÉCOUVERT
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Scénographie |
Notre connaissance du jeune Ribera, avant son installation à Naples, s’est longtemps limitée à quelques rares mentions biographiques et à un nombre d’œuvres très réduit. Le «Ribera romain» a été redécouvert en 2002, lorsque les tableaux rassemblés sous le nom de convention de «Maître du Jugement de Salomon», d’après la toile éponyme (présentée ici), ont été identifiés comme étant de Ribera. Ce mystérieux peintre anonyme, l’un des caravagesques les plus intrigants de la scène romaine, n’était donc pas un artiste français, comme on l’a longtemps cru, mais bien Ribera, le jeune prodige espagnol. Soudainement, le corpus de Ribera s’est enrichi d’une soixantaine d’œuvres, qui témoignent d’un changement d’envergure radical – de format, d’ambition et de destination.
Dans le sillage de Caravage, Ribera renouvelle la représentation de l’histoire sainte. Il l’interprète «d’après nature», avec une rare intensité, associée à une profonde humanité. À ce titre, Le Reniement de saint Pierre prend la forme d’un drame contemporain qui se déroule au cœur d’une taverne, sous les yeux du spectateur, lui-même pris à partie. Ribera invente ainsi un prototype voué à un immense succès. Ces compositions monumentales, en frise, à l’avant-garde du caravagisme, sont alors présentées dans les plus beaux palais de Rome, dont celui du cardinal Scipione Borghese, l’heureux propriétaire du fameux Jugement de Salomon. |
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Texte du panneau didactique. |
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Jusepe de Ribera. La Délivrance de saint Pierre, vers 1612-1614. Huile sur toile, 193×143 cm. Galleria Borghese, Rome. © Galleria Borghese.
L’épisode de saint Pierre emprisonné à Jérusalem et délivré par un ange dénouant ses liens a connu un certain succès en peinture au début du XVIIe siècle. Dans cette version, dont le format vertical suggère un tableau d’autel pour une église, Ribera cite et réinvente certains éléments des célèbres grandes commandes du Caravage, comme le Saint Matthieu et l’ange. On retrouve notamment le motif de l’ange adolescent qui, enveloppé d’un drapé déployé en spirale, se jette vers le bas de la composition. |
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Jusepe de Ribera. Jésus parmi les docteurs, vers 1612-1613. Huile sur toile. Langres, musées de Langres.
L'œuvre est destinée au collectionneur Vincenzo Giustiniani, qui commande aux jeunes peintres romains les plus talentueux des sujets de grands formats tirés du Nouveau Testament. L'artiste s’attelle à un format monumental, une composition complexe, où les personnages sont animés, voire agités, autour du Christ juvénile. Néanmoins, on ne peut se départir d'une impression de collage, liée à l'élaboration particulière du tableau, où chaque modèle est venu poser successivement. |
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Cartel « l'œil aiguisé ».
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Scénographie |
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Jusepe de Ribera. Deux philosophes [Anaxagore et Lacydès ?], vers 1612-1613. Huile sur toile. Saint-Omer, musée Sandelin.
Les deux personnages dialoguent à travers une gestuelle éloquente, très accentuée, qui les rapproche presque de la pantomime. L'identification des deux protagonistes demeure incertaine: les noms d'Anaxagore et de Lacydès inscrits sur les livres associés à chacune des figures pourraient désigner les deux philosophes, qui ne vécurent cependant pas à la même époque. Ribera ancre pourtant ces deux sages dans une même temporalité, en une scène qui semble prise sur le vif. Les mains puissantes, les visages ridés et barbus ainsi que les feuilles des volumes présentés sur la table sont des morceaux de bravoure réalistes. |
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Jusepe de Ribera. Le Couronnement d'épines, vers 1611-1612. Huile sur toile. Amsterdam, Rob Smeets Gallery.
De nombreuses scènes de couronnement d'épines peintes par des artistes caravagesques s’inspirent d’une célèbre version du Caravage (Kunsthistorisches Museum, Vienne). Ribera s'approprie ce prototype et le réinvente. Parmi les bourreaux figurent le fameux modèle chauve - encore lui! - ainsi qu’un jeune homme grimaçant qui, le pouce placé entre l'index et le majeur, effectue le geste injurieux de la «fica». Cette mimique, chargée d’une évidente connotation sexuelle, renvoie à l'univers des bas-fonds de la Rome baroque, dont Ribera était sans nul doute familier. |
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Scénographie |
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Jusepe de Ribera. Le Jugement de Salomon, vers 1609-1610. Huile sur toile, 153×201 cm. Galleria Borghese, Rome. © Galleria Borghese.
La scène est tirée d’un épisode de l’Ancien Testament au cours duquel le roi Salomon est pris à partie par deux femmes se réclamant chacune être la mère d’un nouveau-né. Après avoir proposé de couper l’enfant en deux pour satisfaire chacune, le roi reconnaît la vraie mère en celle qui préfère se séparer de son bébé plutôt que de le tuer. La mise en scène est particulièrement théâtrale: le décor est fermé à gauche par un pilier, à droite par une figure de profil. La lumière éclairant violemment la scène par la gauche met en valeur la rhétorique de la gestuelle attachée à chaque acteur.
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Cartel « l'œil aiguisé ».
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Jusepe de Ribera. Le Reniement de saint Pierre, vers 1615-1616. Huile sur toile, 163×233 cm. Galerie Corsini, Rome. © Gallerie Nazionali di Arte Antica, Ministero della Cultura.
Après la Crucifixion, saint Pierre, reconnu comme l’un des disciples de Jésus, nie publiquement son allégeance. Ribera reprend dans son tableau les éléments emblématiques de la composition de La Vocation de saint Matthieu du Caravage : la figure centrale assise de dos au premier plan, créant un effet de profondeur spatiale, et les deux gestes de désignation qui, dans la toile de Ribera, deviennent des gestes de dénonciation convergeant vers saint Pierre. La scène religieuse est tirée d’un quotidien des plus prosaïques évoquant les bas-fonds de Rome. |
5 - NAPLES: LE TEMPS DE LA GLOIRE
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Scénographie |
Ribera s’installe à Naples en 1616, où il se marie avec la fille du peintre Bernardino Azzolino, déjà bien établi dans la ville. Cette alliance l’introduit auprès d’une clientèle d’aristocrates locaux et d’ordres religieux, nombreux dans la cité. Il se confronte à nouveau aux inventions du Caravage, disparu quelques années plus tôt. Les chefs-d’œuvre napolitains de ce maître du clair-obscur se retrouvent en écho dans ses propres œuvres. Dès lors, Ribera s’impose comme le nouveau chef de file du naturalisme napolitain.
En ce début du XVIIe siècle, Naples est une véritable ville-monde, l’une des trois plus importantes capitales d’Europe, animée d’un singulier bouillonnement. C’est également une possession espagnole, gouvernée par des vice-rois qui se succèdent rapidement. Très vite apprécié par ces serviteurs de la monarchie, Ribera se voit assuré d’une protection officielle et acquiert un statut de peintre de cour. Son rayonnement hors d’Italie, et notamment en Espagne, est fulgurant. Les grandes commandes abondent: une série de saints pour la collégiale d’Osuna, des portraits de philosophes ou d’humbles, des scènes mythologiques d’ampleur, le retable de la chapelle San Gennaro, le prestigieux décor de la certosa di San Martino. Ribera dessine et grave également avec brio. Son style âpre des débuts romains évolue vers plus de lyrisme et un plus grand colorisme. L’artiste s’attelle à de nombreux registres et retravaille ses obsessions sans relâche.
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Texte du panneau didactique. |
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Jusepe de Ribera. David tenant la tête de Goliath, vers 1620-1630. Huile sur toile. Madrid, Collection Colomer.
L'épisode biblique de David et Goliath connaît un grand succès chez Le Caravage et, dans son sillage, auprès des peintres caravagesques actifs à Rome. Ribera traite le sujet à plusieurs reprises. Dans cette version, il renforce les éléments dramatiques en dépeignant David sous les traits d’un gamin des rues au physique nerveux et en grossissant démesurément la tête du géant Goliath. Le ténébrisme qui fait surgir cette scène improbable de la pénombre accentue l'héroïsation de David, en teintant sa victoire d’une forme d’effroi. |
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Jusepe de Ribera. Saint André en prière, vers 1615-1618. Huile sur toile, 132×107,5 cm. Quadreria dei Girolamini, Naples. © Photo Scala, Florence.
Comme pour ses autres figures de saints ou de philosophes, ce Saint André en prière, à mi-corps, pourrait être issu d’un Apostolado. Le martyre de saint André crucifié sur la croix faisait l’objet d’une dévotion particulière dans le sud de l’Italie. Ribera aurait ainsi pu avoir connaissance de la Crucifixion de saint André commandée au Caravage à Naples en 1607 (Cleveland Museum of Art). Ribera atteint ici un degré supplémentaire dans la subtilité chromatique des tons ocre, le clair-obscur qui modèle les volumes et le rendu anatomique de cette figure. |
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Cartel « l'œil aiguisé ».
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Jusepe de Ribera. Saint Jérôme et l’ange du Jugement dernier, 1626. Signé et daté en bas à droite: Josephus de Ribera / Hispanus Valentin / Setaben [..] Partenope F. 1626. Huile sur toile, 262×164 cm. Museo e Real Bosco di Capodimonte, Naples. © Museo e Real Bosco di Capodimonte.
Exécuté pour le maître-autel de l’église de la Trinità delle Monache, ce tableau constitue le couronnement de la maturité de Ribera à Naples. Alors qu’il était occupé à écrire, saint Jérôme est surpris en entendant un ange jouer de la trompette. Ce thème, parce qu’il exalte la nature humaine d’un saint, en lien direct avec le divin, fut particulièrement prisé durant la Contre-Réforme.
La composition fait dialoguer le corps de l’ermite avec celui de l’ange, l’un tendu vers le ciel, l’autre plongeant vers la terre. Aux objets tangibles répondent les chairs palpables : le vérisme de la splendide nature morte au crâne et aux livres rivalise avec le décharnement de la peau flasque du saint.
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Jusepe de Ribera. Le Couronnement d'épines, 1616-1618. Huile sur toile, 197×115 cm. Casa de Alba - Palacio de las Duenas, Séville. © Fundación Casa de Alba, Séville.
Ribera propose une version verticale du sujet, où le beau corps musculeux du Christ, ramassé, ployant sous les atteintes des bourreaux, s’offre dans toute sa vulnérabilité. Le réalisme des chairs et des expressions, la lumière aux forts contrastes, le déploiement artificiel de la cape rouge accentuent le caractère théâtral de la scène. Le regard sévère, par en dessous, que lance le Christ interpelle le spectateur et invite le fidèle à méditer sur les raisons de sa souffrance. |
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6 - LA SPLENDEUR DES HUMBLES
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Scénographie |
Ribera est le génial inventeur d’une typologie nouvelle : il représente les plus grands penseurs en indigents vêtus de haillons qui s’imposent au spectateur, provocants et superbes. Son message est radical. Il s’inscrit dans un contexte intellectuel et spirituel qui prône la relation entre la richesse intérieure et la pauvreté extérieure. Les séries de portraits de philosophes à mi-corps, fondés sur le travail d’après le modèle vivant, lui permettent d’explorer une grande variété d’expressions. L’artiste se concentre davantage sur la vérité psychologique de l’homme que sur l’identification précise du personnage. Sans être dénuées d’une certaine dérision, ces figures, entre le noble et le prosaïque, revendiquent et proclament une dignité de la pauvreté. Elles captivent par leur présence silencieuse. Si ces philosophes nous interrogent sur les grands sujets existentiels, ils nous invitent en retour à l’introspection. C’est le cas de la série de philosophes-mendiants que le duc d’Alcalá commande à Ribera dans les années 1630, qui revisite, dans le registre profane, les cycles de saints réunis pour ses Apostolados de la période romaine. Les sujets, criants de vérité, surgissent puissamment de la pénombre, entourés de morceaux de nature morte virtuose. L’extraordinaire «portrait de famille» que brosse Ribera de la «femme à barbe» et son mari, pour le même duc d’Alcalá, constitue quant à lui un chef-d’œuvre d’humanité.
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Texte du panneau didactique. |
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Jusepe de Ribera. Maddalena Ventura et son mari, [«La Femme à barbe»], 1631. Huile sur toile, 196×127 cm. Hopital Tavera - Fondation Medinacelli, Tolède. En dépôt au Musée du Prado, Madrid. © Photographic Archive, Museo Nacional del Prado, Madrid.
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Quel tableau étrange que cette femme à barbe donnant le sein a un nourrisson, se présentant face à nous, accompagnée de son mari, derrière elle!
En 1631, Ribera est appelé au palais royal par le duc d’Alcalá pour témoigner par une œuvre d’un prodige de la nature. L'événement est explicitement retranscrit par l'inscription présente sur les blocs de pierre à droite: l’artiste a peint «d’après le modèle vivant» (AD / VIVVM MIRE DEPINXIT) le portrait de Maddalena Ventura, une femme de 52 ans originaire des Abruzzes qui, après avoir donné naissance à trois enfants, à l’âge de 37 ans, se vit pousser une barbe épaisse, sans doute du fait de dérèglements hormonaux.
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Le peintre tient à attester que ce prodige de la nature (EN MAGNV[M] NATVRA MIRACVLVM, précise l'inscription), devait constituer un phénomène tel qu’il était digne d’être consigné par le plus célèbre peintre de Naples à ce moment. Ribera date (16 février 1631) et signe son œuvre, en se comparant lui-même à Apelle, peintre le plus illustre de l'Antiquité.
Ribera nous offre un portrait de famille résolument non conventionnel, en rupture radicale avec l’art du portrait de cour en son temps. Le spectateur ne peut qu'être frappé par cette image frontale mettant l'accent sur le contraste entre la longue barbe noire et le sein blanc gonflé de lait sorti du corsage pour nourrir l'enfant Néanmoins, la grande humanité, voire la noblesse, des figures l'emporte sur l’incongruité de la représentation.
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Texte du panneau didactique.
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Scénographie |
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Jusepe de Ribera. Héraclite, vers 1630-1632. Huile sur toile. Valence, Museo de Bellas Artes.
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Jusepe de Ribera. Pythagore, vers 1630-1632. Signé: Joseph de Ribera / esp. Huile sur toile. Valence, Museo de Bellas Artes.
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L'identification de Pythagore est liée à l'inscription présente sur la tranche du livre fermé posé sur la table: «..tia numerorum », qui fait référence à la science des nombres qui occupa le philosophe et mathématicien.
Héraclite est quant à lui reconnaissable aux larmes qui coulent le long de ses joues et constituent le signe du philosophe pessimiste. Par leur format et leur composition, les deux tableaux sont à rapprocher de la série des philosophes-mendiants que le duc d'Alcalá alors vice-roi de Naples, commande à Ribera dans les années 1630. |
7 - Face à Ribera (projection)
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Une vue des projections |
Une projection vous invite à entrer dans l’œuvre de Ribera. Par le jeu des confrontations avec la production du Caravage, les sources visuelles et les références dans lesquelles puise Ribera apparaissent en premier lieu. Vous découvrirez ensuite la manière dont Ribera décline certains motifs, les exploite, les retravaille, en une incessante quête esthétique. Vous plongerez enfin dans l’œuvre même de l’artiste, à travers ses détails les plus infimes qui témoignent de son extraordinaire virtuosité technique. L’immersion au plus près de sa pratique révèle son immense talent.
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Texte du panneau didactique. |
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Projection vidéo.
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8 - MAGNIFIER LE QUOTIDIEN
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Tout au long de sa carrière, à Rome ou à Naples, Ribera s’intéresse aux marges de la société. À Naples, alors qu’il s’impose comme le peintre officiel des vice-rois espagnols et multiplie les commandes religieuses majeures, Ribera demeure le grand portraitiste de la plèbe napolitaine. Avec ses figures de gitanes, de duègnes ou de garçons des rues, les célèbres scugnizzi, il nous plonge dans un répertoire truculent, proche de l’univers picaresque de la littérature espagnole, comme du théâtre et de la chanson populaires de l’époque. Qu’il prête les traits réalistes de tout ce petit peuple napolitain à des allégories (Jeune fille au tambourin, Une vieille usurière) ou érige le portrait d’un malheureux infirme en valeureux spadassin (Le Pied-bot), il excelle à tirer de la misère du quotidien une forme de merveilleux.
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Texte du panneau didactique. |
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Jusepe de Ribera. Le Pied-bot, 1642. Signé et daté, en bas à droite, sur le sol: Jusepe de Ribera Español / F. 1642. Huile sur toile, 164×94 cm. Musée du Louvre, Paris. © Grand Palais RMN (musée du Louvre) / Photo Michel Urtado.
Ce tableau représente un jeune infirme pieds nus et pauvrement vêtu, faisant l’aumône. Ribera donne au sujet une dimension et une noblesse inédites en isolant la figure sur une toile au format de portrait d’apparat. Le jeune homme à l’expression joyeuse est décrit avec une attention très grande à la réalité de sa condition et aux particularités de son handicap. L’inscription sur la feuille explicite son intention : « DA MIHI ELIMO/SINAM PROPTER [AM]OREM DEI » (Donne-moi l’aumône pour l’amour de Dieu). L’œuvre invite ainsi le spectateur à la charité, une des trois principales vertus chrétiennes, et doit être replacée dans le contexte religieux de l’époque, celui de la Contre-Réforme. Le ciel lumineux correspond à une évolution dans le style de Ribera entre 1638 et 1642, période durant laquelle il se détourne des fonds sombres. |
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Jusepe de Ribera. Jeune fille au tambourin, 1637. Signé et daté, à droite: Jusepe de Ribera / español F.1637. Huile sur toile. Collection particulière.
La bouche entrouverte figée dans un rictus expressif, cette jeune femme semble accompagner une ritournelle au son de son tambourin. Cette musicienne, aux allures de femme du peuple napolitaine, incarnait probablement l’ouïe dans un cycle de peintures consacré aux cinq sens. Ribera revient ici sur un thème développé une vingtaine d'années plus tôt, à Rome. Si le charme et la jeunesse du modèle contrastent avec les œuvres du début de sa carrière, l'attention au réel reste inchangée. L'artiste semble même explorer plus en profondeur l'humanité du personnage. |
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Jusepe de Ribera. Une vieille usurière, 1638. Signé et daté, en bas à gauche: Jusepe de Ribera español / F. 1638. Huile sur toile. Madrid, Museo Nacional del Prado.
Le profil d’une vieille femme, au visage flétri et au regard noir, ressort ici fortement sur un fond sombre. L'effet de clair-obscur, le sujet et la manière de traiter sans concession les sévices du temps s'inscrivent dans la tradition caravagesque. Toute l'attention du personnage est retenue par la balance qui lui sert à effectuer une pesée. On a voulu voir dans ce personnage à la rudesse palpable une usurière, voire une allégorie du péché d’avarice. |
9 - DESSINATEUR FANTASQUE
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Scénographie |
Ribera est un dessinateur et un graveur virtuose. Son trait vigoureux témoigne d’une fascination pour l’expressivité des physionomies et d’une recherche incessante du mouvement dans les corps. Ce pan de son activité constitue une rareté au sein des principaux interprètes du caravagisme. Il montre comment Ribera se renouvelle et ne cesse d’inventer. À l’aise dans tout type de technique, il manie la sanguine, la plume et l’encre avec brio et révèle une grande variété de styles, du plus schématique, pour une rapide exécution des grandes lignes d’un projet, au plus abouti, pour des compositions au caractère hautement pictural. L’originalité des dessins de Ribera réside dans le fait qu’ils ne sont généralement pas pensés comme préparatoires à ses peintures. En majorité, le dessin constitue pour lui un laboratoire d’expérimentation où il laisse libre cours à son imagination et explore quelques-unes de ses obsessions personnelles. Ce corpus rare, encore méconnu, témoigne à la fois d’un goût prononcé pour le burlesque, la caricature et la fantaisie, et d’une réflexion plus sombre qui annonce Goya.
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Texte du panneau didactique. |
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Jusepe de Ribera. Homme enveloppé dans une tunique, sur la tête, un petit homme assis avec un étendard. Vers 1637-1640. Encre et lavis, 21.2×10 cm. The Metropolitan museum of Art, New York. © The Metropolitan museum of Art.
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Jusepe de Ribera. Une chauve-souris et deux oreilles, vers 1620-1623. Inscription de la main de Ribera: FVLGET SEMPER VIRTVS. Sanguine et lavis rouge au pinceau. New York, The Metropolitan Museum of Art.
Ce dessin très abouti combine des éléments a priori disparates: deux oreilles et une chauve-souris perchée au-dessus d’une devise en latin signifiant «la vertu brille éternellement». La rigueur de la composition incite à penser qu’il ne s’agit pas là d’une feuille d'exercice, mais d’une association délibérée porteuse de sens. La chauve-souris, emblème de la ville de Valence, pourrait renvoyer à Ribera lui-même, et les oreilles aux racontars. L'image, qui ne se laisse pas aisément déchiffrer, peut ainsi être interprétée comme une allusion à la jalousie éveillée par la célébrité de l'artiste. |
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Jusepe de Ribera. Le Christ frappé par un bourreau, vers 1624-1626. Sanguine. Londres, British Museum.
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Scénographie |
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Jusepe de Ribera. Tête grotesque, 1622. Inscription: JR a hispanus. Eau-forte et burin. Londres, British Museum.
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Jusepe de Ribera. Tête de satyre, vers 1620-1625. Sanguine sur papier vergé, 30,3×21,1 cm. The Metropolitan museum of Art, New York. © The Metropolitan museum of Art.
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10 - GRAVEUR VIRTUOSE
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Scénographie |
La production gravée de Ribera est aussi brève et réduite en nombre qu’elle est remarquable en qualité. Le corpus qui lui est attribué est constitué de dix-huit eaux-fortes et reste circonscrit à une dizaine d’années de création, depuis son installation napolitaine en 1616 jusqu’à 1630. Une seule œuvre est plus tardive : le Portrait équestre de Don Juan d’Autriche (1648). Après une interruption de près de vingt ans, Ribera se met au service du pouvoir en commémorant l’arrivée triomphale à Naples du fils illégitime de Philippe IV venu mater la révolte de Masaniello, qui pour quelques jours, en juillet 1647, avait renversé l’autorité espagnole. S’il consacre peu de temps à ce médium en comparaison de son investissement pictural, la gravure reste un extraordinaire instrument lui permettant d’étendre son influence et d’asseoir sa renommée en Europe et dans le temps.
Ribera grave à l’eau-forte, un procédé de taille douce où la plaque de cuivre est recouverte d’un vernis puis plongée dans un bain d’acide, mordant plus ou moins profondément le dessin incisé à la pointe. Progressivement, Ribera maîtrise de mieux en mieux sa technique, notamment les clairs-obscurs par le biais de hachures plus ou moins resserrées. Le point d’orgue est Le Silène ivre, au large spectre d’effets de texture, qui diffère de la composition peinte, preuve que Ribera ne cesse de remettre son œuvre sur le métier.
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Texte du panneau didactique. |
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Jusepe de Ribera. Silène ivre, 1628. Eau-forte et burin, 27,5×35,4 cm. Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. © Paris Musées / Petit Palais.
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Jusepe de Ribera. Le Martyre de saint Barthélemy, 1624. Eau-forte et burin, 31,3×23,7 cm. Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. © Paris Musées / Petit Palais.
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Jusepe de Ribera. Don Juan d'Autriche, 1648. Eau-forte et burin, 35×25,7 cm. Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. © Paris Musées / Petit Palais.
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Jusepe de Ribera. Le Poète, 1620-1621. Eau-forte. Paris, Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris.
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Jusepe de Ribera. Saint Jérôme et l'ange du Jugement dernier, 1621. Signé en bas à droite: monogrammie. Eau-forte et burin. Paris, Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris.
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11 - RÉINVENTER LA FABLE ANTIQUE
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Scénographie |
 Les années 1630 constituent une période prodigieuse pour Ribera, durant laquelle il reçoit tous les honneurs (en 1626, il est décoré de la croix de l’ordre du Saint-Esprit à Rome) et jouit d’une position dominante sur la scène artistique napolitaine. Il conçoit ses plus beaux chefs-d’œuvre profanes : des compositions ambitieuses et spectaculaires, inspirées de la fable antique, mais réinventées avec truculence et lyrisme. De ses références érudites, Ribera tire un profit inédit, entre reprise et détournement. Son goût pour la provocation, le grotesque, la dérision, mais également le drame humain, transparaît. Le Silène ivre n’offre-t-il pas une variation particulièrement iconoclaste de Vénus allongée ? A-t-on jamais vu de bel Apollon aussi sadique ? L’artiste, au sommet de son art, ose tout et a l’audace superbe. Véritable théâtre des passions, sa peinture déploie un caractère sensoriel remarquable, visuel et tactile, voire sonore. Tout est maîtrisé dans le traitement et les effets de texture : le corps, souffrant ou repu, les plis de chair, les poils, les étoffes… Une grâce nouvelle et une gamme chromatique enrichie de bleus électriques, de rouges écarlates, de pourpres cramoisis révèlent une inspiration vénitienne et flamande. Son spectaculaire Vénus et Adonis nous plonge enfin dans une atmosphère apaisée et une douce poésie, malgré le drame évoqué. |
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Texte du panneau didactique. |
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Jusepe de Ribera. Tête de Silène [fragment du Triomphe de Bacchus], 1635. Huile sur toile. Jaime Eguiguren - Art & Antiques.
Ce fragment appartient, avec deux autres morceaux conservés au musée du Prado, à une toile de Ribera, disparue, représentant le triomphe de Bacchus. La peinture s’inspirait elle-même d'un célèbre bas-relief hellénistique montrant la visite de Bacchus à Icarios. |
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Jusepe de Ribera. Apollon et Marsyas, 1637. Signé et daté en bas à droite sur le bloc de pierre: Jusepe de Ribera, español, Valenciano / F. 1637. Huile sur toile, 182×232 cm. Museo e Real Bosco di Capodimonte, Naples. © Museo e Real Bosco di Capodimonte.
Le satyre Marsyas, qui avait eu l’impudence de défier Apollon, dieu de la musique, lors d’un concours musical, est atrocement puni par ce dernier, qui l’écorche vif. Accroché à un arbre, la tête en bas, le supplicié nous interpelle, hurlant de douleur. La souffrance extrême exprimée par le visage déformé de Marsyas s’oppose à la sérénité d’Apollon, qui observe, impassible, sa victime. Le geste terrifiant du bourreau plongeant sa main dans la plaie béante contraste avec la beauté du drapé mauve irisé flottant autour de lui. À l’arrière-plan, les satyres assistent, horrifiés, à la torture de leur compagnon. |
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Jusepe de Ribera. Silène ivre, 1626. Huile sur toile, 185×229 cm. Museo e Real Bosco di Capodimonte, Naples. © Museo e Real Bosco di Capodimonte.
Ce tableau est exceptionnel dans l’œuvre de Ribera en raison de son sujet mythologique. Au centre de la composition, Silène, satyre ventripotent, lascivement étendu sur le sol et entièrement nu est représenté se faisant servir une coupe de vin. Conformément à la tradition, il est associé à l’âne, dont il a fait sa monture, et aux cortèges de faunes et de satyres qui accompagnent habituellement Bacchus, dieu du vin, dont il est le père adoptif. Dans l’assemblée, on distingue derrière lui le dieu Pan, avec ses cornes et ses pattes de bouc, qui le couronne de vigne. Au premier abord, la scène semble burlesque et parodique, mais un visage méditatif en haut à droite souligne le caractère paradoxal de Silène, connu pour abuser de la boisson, mais également pour détenir les secrets de la sagesse. |
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Cartel « l'œil aiguisé».
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Jusepe de Ribera. Vénus et Adonis, 1637. Signé et daté en bas à droite sur le bloc de pierre: Jusepe de Ribera, español, Valenciano / F. 1637 Huile sur toile, 179×262 cm. Galerie Corsini, Gallerie Nazionali di Arte Antica, Rome. © Gallerie Nazionali di Arte Antica, Ministero della Cultura.
Adonis, beau jeune homme aimé de Vénus, a été blessé à la chasse par un sanglier. La déesse, alertée par les gémissements de son amant, vole – littéralement – au secours de son amant mourant. Celui-ci repose paisiblement, comme endormi, sur un beau drapé d’un rouge écarlate, symbole de son sang qui se métamorphosera en anémone. Les effets des plis d’étoffe aux coloris électriques et le ciel tourmenté à l’arrière-plan sont caractéristiques du tournant coloriste de Ribera autour des années 1640. |
12 - DE NAPLES À L'ESPAGNE
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Scénographie |
Après avoir porté la représentation de la figure isolée à son comble et réinventé le mythe avec impertinence, Ribera s’attelle à de nouveaux sujets, pour lesquels il propose une approche originale. Son étonnant Combat de femmes aborde un thème inédit dans une perspective monumentale singulière. Au-delà de son habileté dans le traitement du paysage comme arrière-fond, le peintre livre dans ses deux tableaux de paysages autonomes une méditation sur la nature, où les vibrations de lumière argentée nimbent d’une douceur bucolique une campagne idéalisée.
Ces ensembles, atypiques dans la production de l’artiste, témoignent de l’importance de l’envoi vers l’Espagne d’une grande partie de ses œuvres. Qu’il s’agisse de commandes destinées aux villes d’origine des vice-rois (Osuna, Salamanque) ou au décor des palais madrilènes du roi Philippe IV (Alcázar ou Buen Retiro), Ribera crée pour l’Espagne sans jamais retourner dans sa patrie de naissance.
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Texte du panneau didactique. |
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Jusepe de Ribera. Combat de femmes [Gladiatrices ?], 1636. Signé et daté en bas à droite Jusepe de Ribera Valenciano / F. 1636. Huile sur toile. Madrid, Museo Nacional del Prado.
Deux femmes luttent dans un duel acharné à l'épée et au bouclier. L'une d'elle ayant pris le dessus sur son adversaire, est sur le point de lui porter le coup de grâce, sous le regard d'une assistance masculine relativement impassible. C’est l’un des tableaux les plus énigmatiques de Ribera. Vraisemblablement destinée à Philippe IV, par l'intermédiaire de son vice-roi le comte de Monterrey, l’œuvre devait rejoindre le décor du palais du Buen Retiro à Madrid, sur le thème des jeux du cirque. Il s'agirait donc très probablement d’une scène de gladiatrices au combat, une iconographie rarissime dans l’histoire de l'art. |
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Jusepe de Ribera. Paysage avec bergers, 1639. Huile sur toile, 128×269 cm.
Casa de Alba - Palacio de las Duenas, Séville. © Fundación Casa de Alba, Séville. |
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Jusepe de Ribera. Paysage avec fortin, 1639. Signé et daté Jusepe de Ribera español / F. 1639. Huile sur toile.
Salamanque, Fundación Casa de Alba.
Ces deux paysages indépendants sont les seuls de ce genre que l’on connaisse de Ribera. La prépondérance d'une nature à peine animée de figures, aux vastes ciels d’un bleu électrique, suggère une fonction décorative. On peut également y voir l'influence des paysages pastoraux, dans le goût du peintre Claude Lorrain, par exemple. Vraisemblablement commandés par le comte de Monterrey, vice-roi de Naples de 1631 à 1637, qui les emporta ensuite avec lui en Espagne, ils auraient pu servir de tableaux-souvenirs et de sujets de délectation pour ce serviteur de l’Empire espagnol. |
13 - CONVAINCRE PAR LE VRAI ET L'ÉMOTION
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Scénographie |
En cette première moitié du XVIIe siècle, les préconisations de l’Église catholique, énoncées au concile de Trente (1545-1563), sont appliquées aux arts. En opposition au développement de la réforme protestante, la Contre-Réforme catholique réaffirme la place des images dans le culte et leur capacité à éveiller la dévotion des fidèles par l’émotion. Dans cet esprit, qu’il interprète à l’aune de la foi espagnole et de la ferveur populaire napolitaine, Ribera cherche à convaincre par le vrai et l’émotion. Il relève le défi de peindre l’expression des passions « au naturel » et s’attache à traduire l’expression de la douleur, l’introspection psychologique ou encore la beauté du corps mort du Christ. Il insiste sur la vérité des individus, présentés au plus près du spectateur, tout comme sur la sincérité des expressions. Il joue enfin de la puissance évocatrice des rares couleurs qui vibrent au cœur des ténèbres.
La représentation des ermites et des pénitents occupe une part importante dans son œuvre. Les déclinaisons de saint Jérôme, qu’il peint plus de quarante fois tout au long de sa carrière, soulignent la sincère dévotion du personnage, plutôt que sa dignité d’érudit. Sainte Marie l’Égyptienne impressionne par la radicalité de son dépouillement ascétique.
Ribera traduit l’extase religieuse aussi bien que la vision céleste ou le miracle divin, mais toujours dans une perspective réaliste. Ses œuvres de dévotion interpellent avec efficacité le fidèle : elles émeuvent, suscitent l’empathie, permettent de s’identifier à des figures saintes proches, modestes, humaines.
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Texte du panneau didactique. |
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Jusepe de Ribera. Tête de saint Jean-Baptiste, 1646. Signé et daté en bas sur le bloc de pierre: Jusepe de Ribera español / F.1646. Huile sur toile. Naples, Museo Civico Gaetano Filangieri.
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Jusepe de Ribera. Madeleine pénitente, 1641. Signé et daté en bas: Jusepe de Ribera, español [...] / 1641. Huile sur toile. Madrid, Museo Nacional del Prado.
Le tableau appartient à un cycle de quatre toiles illustrant quatre ermites. Représentée gracieuse et séduisante pour évoquer son ancienne vie de courtisane, Marie Madeleine est reconnaissable à ses attributs: le vase d'onguent ainsi que sa belle chevelure, avec laquelle elle aurait essuyé les pieds du Christ après les avoir parfumés. Un crâne, discrètement placé dans l’ombre à droite, est le support de sa méditation. Le beau manteau rouge, et ses effets moirés, ainsi que le paysage lumineux révèlent l'intérêt de Ribera pour les maîtres vénitiens de la couleur, tels que Titien et Véronèse. |
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Jusepe de Ribera. Sainte Marie l’Égyptienne, 1641. Signé et daté en bas à gauche sur le bloc de pierre: Jusepe de Ribera español / F.1641. Huile sur toile. Montpellier, musée Fabre.
Marie l’Égyptienne est une sainte dont la vie est assez semblable à celle de Marie Madeleine: cette prostituée d'Alexandrie se convertit et vécut en ermite dans le désert de Palestine pendant quarante-sept ans, en se nourrissant seulement d’un peu de pain. Doloriste et poignante, la représentation de Marie l'Égyptienne, le corps décharné, le visage marqué par les ans et les privations, est d’une radicalité extrême. |
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Jusepe de Ribera. L'Adoration des bergers, 1650. Signé et daté en bas à droite sur le bloc de pierre: Jusepe de Ribera español / Accademico Romano / F.1650. Huile sur toile. Paris, musée du Louvre, département des Peintures.
Le tableau met en scène la Sainte Famille à la naissance de Jésus, recevant la visite des bergers, prévenus du prodige par un ange, comme on le voit à l'arrière-plan. De part et d'autre de la scène, ces derniers présentent leurs hommages et leurs offrandes à l'enfant juste né. Cette Adoration des bergers, datée de 1650, compte parmi les œuvres tardives de l'artiste, mort en 1652. Ribera y reste attaché à une représentation très naturaliste des choses, mais témoigne aussi d'un intérêt pour une luminosité et un chromatisme plus chatoyants qui doivent beaucoup à la peinture vénitienne. |
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Scénographie |
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Jusepe de Ribera. Saint Antoine de Padoue, 1636. Signé et daté à droite, sur le bois de la table: Jusepe de Ribera / F.1636. Huile sur toile. Madrid, Museo de la Real Academia de Bellas Artes de San Fernando.
Saint Antoine de Padoue, en habit franciscain, est représenté au moment où, priant dans sa cellule, il a une vision de l’Enfant Jésus apparaissant entre ses bras. Il s’agenouille devant la puissance de cette apparition, les bras ouverts et le visage porté vers l'enfant potelé qui s'élève dans une gloire auréolée de chérubins. La lumière dorée, quasiment surnaturelle, qui nimbe cette scène d’extase enveloppe l’austérité du lieu très précisément retranscrit. Mobilier et pavement au sol sont aussi détaillés que la robe de bure rapiécé du saint. |
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Jusepe de Ribera. Saint Jérôme pénitent, 1634. Huile sur toile, 126×78 cm. Museo Thyssen-Bornemysza Madrid. © Museo Nacional Thyssen-Bornemysza, Madrid.
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Jusepe de Ribera. Le Miracle de saint Donat d'Arezzo, 1652. Signé et daté en bas à droite, sur la marche de l'autel: Joseph de Ribera español [...] in Napoles ano 1652. Huile sur toile. Amiens, musée de Picardie.
Daté de l’année de la mort de Ribera, ce tableau serait son dernier. Il représente le miracle de saint Donat, deuxième évêque d’Arezzo au IVe siècle. Alors que des païens venaient de détruire le calice en cristal avec lequel il célébrait la messe, le saint s'apprête à en réunir miraculeusement les fragments qu'il tient dans ses mains, entouré de deux assistants au visage stupéfait. À l'arrière-plan, à droite, trois fidèles expriment surprise et révérence. |
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Jusepe de Ribera. Saint Jérôme, 1643. Signé et daté en bas à gauche, sur le crâne: Jusepe de Rib / no / F / 1643. Lille, Palais des Beaux-Arts.
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14 - PEINDRE LE PATHOS
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Scénographie |
La Lamentation est le sujet de plusieurs tableaux de Ribera, depuis le premier témoignage d’un tableau peint à Rome jusqu’à l’une de ses dernières œuvres, réalisée dans les années 1650. Le peintre fait évoluer le type traditionnel de la Pietà, ou Vierge de douleur, un motif où la mère du Christ, éplorée, seule ou entourée, tient sur ses genoux son fils mort. Ribera concentre la désolation autour du corps du Christ en autant de variations dotées d’une grande charge émotionnelle propre à inspirer la dévotion. Le sujet est particulièrement apprécié de l’art de la Contre-Réforme, qui promeut la Passion du Christ et les modèles susceptibles de susciter l’empathie.
Pour la première fois sont réunies ici trois versions de Ribera provenant de la National Gallery de Londres, du musée du Louvre et du musée Thyssen-Bornemisza de Madrid. Leur confrontation permet de comprendre combien l’artiste nourrit ses motifs en les renouvelant.
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Texte du panneau didactique. |
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Jusepe de Ribera. Lamentation sur le Christ mort, vers 1620-1623. Huile sur toile, 129,5×181 cm. The National Gallery, Londres. © The National Gallery, Londres, Royaume-Uni.
Le thème de la Lamentation met en scène un moment de recueillement autour du corps du Christ tout juste décroché de sa croix. S’y retrouvent éplorées les trois personnes les plus proches de Jésus : sa mère, la Vierge Marie au centre dans son manteau bleu, Marie Madeleine, à la chevelure flamboyante, et saint Jean, le disciple bien-aimé, sur la droite. Magnifiée par le drap d’un blanc éclatant, la lividité du cadavre, virant déjà par endroits au gris-bleu, illumine la composition sur fond sombre. L’œuvre, qui s’inscrit dans les premières années du séjour napolitain, est, a priori, la première représentation de ce sujet réalisée par Ribera.
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Jusepe de Ribera. Lamentation sur le Christ mort, 1633. Signé et daté en bas à droite sur le bloc de pierre: Jusepe de Ribera español / 1633. Huile sur toile. Madrid, Museo Nacional Thyssen-Bornemisza.
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Cartel « l'œil aiguisé».
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Jusepe de Ribera. La Mise au tombeau, vers 1616-1624. Huile sur toile.
Paris, musée du Louvre, département des Peintures.
Ce tableau de Ribera doit beaucoup à la version du Caravage dans l'abandon réaliste du corps du Christ, inerte, les bras ballants. Moins grandiloquente que celle du Caravage, la composition horizontale de Ribera est resserrée sur la figure du Christ et les protagonistes penchés sur lui: de gauche à droite, Joseph d'Arimathie, la Vierge, saint Jean, Nicodème. La recherche d'un effet tridimensionnel par l'avancée de l’angle de la pierre tombale, le linceul recouvrant en partie le bord inférieur et le bras du Christ pendant vers l’avant, semble faire écho en peinture aux mises en scène particulièrement poignantes de groupes sculptés grandeur nature que l’on trouve en Italie ou en Espagne. |
15 - LE SPECTACLE DE LA VIOLENCE
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Scénographie |
La représentation de la violence est au cœur de la production de Ribera. Ses compositions de martyres chrétiens scandent l’ensemble de sa carrière napolitaine. Cadrages audacieux, asymétrie des constructions, grandes diagonales, mouvements de foule, gestuelle éloquente prennent directement à partie le spectateur pour mieux l’inviter à participer aux souffrances exposées. Ces scènes de torture se nourrissent de mises à mort bien réelles, orchestrées sur les places publiques par l’Inquisition, et dont Ribera a été le témoin. Au sein de ces tableaux spectaculaires domine la représentation de la chair : une chair vieillie, mise à nu, ensanglantée, arrachée, où s’exprime toute la virtuosité du pinceau de Ribera.
Le Martyre de saint Barthélemy offre à Ribera un motif terrifiant de corps souffrant, disloqué et meurtri. L’artiste décline le sujet en autant de variations, depuis la première commande pour le duc d’Osuna en 1616, jusqu’à la dernière version de 1644. Il révèle une forme de fascination pour le mélange de sensations, entre attraction et répulsion, que convoque la scène d’écorchement. Le spectacle du supplice et l’exploit pictural fusionnent en un condensé d’épouvante magistral.
L’artiste peint également saint André ou saint Sébastien, souffrant tous deux dans leur chair, mais avec une atténuation de l’horreur dans la mise en scène de leur martyre. Un de ses derniers tableaux, le Saint Sébastien pour la certosa di San Martino en 1651, tend vers un apaisement érotisé du sujet.
C’est ce Ribera extrême que retiendront les artistes et écrivains français du XIXe siècle. Théophile Gautier s’exclamait ainsi : «C'est une furie du pinceau, une sauvagerie de touche, une ébriété de sang dont on a pas idée».
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Texte du panneau didactique. |
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Jusepe de Ribera. Étude d’un homme attaché à un arbre, vers 1624-1626. Sanguine. Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques.
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Jusepe de Ribera. La Crucifixion de saint André, vers 1634-1636. Encre brune à la plume et lavis brun. Rome, Istituto Centrale per la Grafica.
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Jusepe de Ribera. Scène d'Inquisition, vers 1627-1630. Encre brune à la plume. Cambridge, The Syndics of the Fitzwilliam Museum, University of Cambridge.
Les dessins de scènes de torture auxquelles Ribera a réellement assisté sont de rapides esquisses à vocation documentaire. Ils viennent nourrir le répertoire de son imagerie violente de supplices et châtiments «crédibles». La rareté de ces dessins accentue le caractère exceptionnel de celui-ci. Il présente une scène de strappado, une torture qui consiste à suspendre la victime par les bras attachés dans le dos, provoquant la dislocation progressive des épaules. L’inquisiteur est figuré debout et soumet l'accusé à la «question» (l’interrogatoire). |
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Scénographie |
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Jusepe de Ribera. Le Martyre de saint Barthélemy, vers 1616-1617. Huile sur toile. Osuna, Colegiata de Santa Maria.
Ce tableau semble avoir assuré à Ribera un succès immédiat lors de son arrivée à Naples, où le duc d'Osuna, vice-roi de 1616 à 1620, l'achète et nomme son auteur premier peintre de la cour vice-royale. Si Barthélemy, apôtre prêchant la foi du Christ et le rejet des idoles, a subi une série de supplices (crucifié tête en bas, écorché et enfin décapité), c'est la scène édifiante de l'écorchement que le peintre retient. Ribera en donne une version particulièrement terrifiante où la précision anatomique du bras lacéré, bien que virtuose, provoque un sentiment de répulsion. |
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Jusepe de Ribera. Tityos, vers 1624-1626. Encre brune à la plume et lavis brun. Londres, British Museum.
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Scénographie |
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Anonyme napolitain. Tribunal du Vicariat, milieu du XVIIe siècle. Huile sur toile. Naples, Certosa e Museo Nazionale di San Martino.
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Texte du panneau didactique.
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Jusepe de Ribera. Scène de torture, vers 1637-1640. Encre brune à la plume avec lavis.
Haarlem, Teylers Museum.
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Jusepe de Ribera. Vieil homme attaché à un arbre et jeune homme déféquant, vers 1627-1630. Sanguine. Londres, The Courtauld (Samuel Courtauld Trust).
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Cartel « l'œil aiguisé».
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Scénographie |
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Jusepe de Ribera. Saint Sébastien, 1651. Signé et daté sur la pierre en bas à gauche: Jusepe de Ribera español / F.1651. Huile sur toile, 121×100 cm. Certosa e Museo Nazionale di San Martino. © Certosa e Museo Nazionale di San Martino / Photo Fabio Speranza.
Commandés en 1638 pour la Certosa di San Martino, ce tableau et un Saint Jérôme étaient destinés aux appartements privés du prieur. Ribera ne les a achevés qu’en 1651, un an avant sa mort, alors qu’il s’était à peine remis de la maladie qui l’avait handicapé. Cadrée à mi-corps, cette représentation de saint Sébastien torse nu, absorbé dans une douce béatitude, semble en totale opposition avec les précédents martyrs tourmentés que Ribera a mis en scène. La sensualité du torse, renforcée par les poils d’un grand réalisme, et l’expression extatique du saint appellent à une méditation apaisée. |
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Jusepe de Ribera. Martyre de saint Barthélémy, 1644. Signé et daté en bas à droite: Jusepe de Ribera [...] F. 1644. Huile sur toile, 202×153 cm. Museu Nacional d’Art de Catalunya. © Museu Nacional d'Art de Catalunya, Barcelona.
À la différence de bien des scènes de martyre, le regard de saint Barthélemy fixe ici le spectateur au lieu de s’adresser au ciel. Le visage du saint reste impassible, et la souffrance est contenue. Ses yeux sont injectés mais sans larmes, sa bouche entrouverte mais muette. Sa paume gauche tendue invite à une contemplation empathique de la scène. Au XIXe siècle, le peintre Jean-François Millet, admirant ce tableau, eut la sensation d’«entendre le craquement de la peau se détachant d’avec la chair». Voilà tout l’art de Ribera: des images si puissantes qu’elles convoquent les autres sens. |
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Jusepe de Ribera. Saint Sébastien soigné par Irène et sa servante, 1621-1624. Huile sur toile. Bilbao, Museo de Bellas Artes.
Sébastien est un jeune soldat romain condamné à mort au IVe siècle pour sa conversion chrétienne. Il est criblé de flèches et laissé pour mort, mais survit à ce premier martyre grâce aux bons soins d'Irène, avant d'être finalement lapidé. Irène est ici représentée debout, à l’aplomb du corps horizontal très effilé de saint Sébastien. Son doux visage tourné vers nous, elle plonge les doigts dans un pot à onguent pour soigner les blessures du saint, tandis que sa servante retire une flèche de son flanc. Contrastant avec les autres représentations de martyres de Ribera, d’une grande violence, cette scène de guérison est au contraire marquée par l'apaisement et la douceur. |
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Jusepe de Ribera. Le Martyre de saint André, 1628. Huile sur toile. Budapest, Szépmüvészeti Müzeum / Museum of Fine Arts.
Ribera représente le moment charnière du martyre de saint André, condamné à être crucifié sur une croix en X. Il est encore temps pour lui d'adhérer au culte des idoles, comme l'y incitent le proconsul Égée, qui a prononcé sa condamnation, tout à gauche, et le grand prêtre penché vers lui, une statuette de Jupiter à la main. La lumière éclaire la diagonale que forme le corps émacié du saint, le visage orienté vers l’idole qu’il refuse d’adorer. Saint André semble avoir déjà renoncé à son enveloppe corporelle pour tourner son âme vers l’au-delà. |
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Jusepe de Ribera. Martyre de saint Barthélemy, vers 1628. Huile sur toile. Florence, Gallerie degli Uffizi.
Barthélemy, dévêtu et attaché, est sur le point de subir son martyre. Encadrant la composition de part et d'autre, les deux bourreaux nous prennent à partie, telles ces figures d’admoniteurs dont Ribera parsème ses toiles. À droite, un jeune tortionnaire à la face hilare trépigne avant d'utiliser son couteau affûté. À gauche, un autre protagoniste, en haillons, est tout aussi jovial en nouant les liens aux pieds du saint. Leur sadisme sans vergogne renforce la cruauté de la scène. |
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Cartel « l'œil aiguisé».
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Sortie de l'exposition |
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