Parcours en images de l'exposition

S.H. RAZA (1922-2016)

avec des visuels mis à la disposition de la presse
et nos propres prises de vue

Parcours accompagnant l'article publié dans la Lettre n°567 du 5 avril 2023



 

Titre de l'exposition
 
Introduction

Figure majeure de l'art moderne indien, Sayed Haider Raza est né en 1922 à Barbaria dans l'actuel État du Madhya Pradesh. Après des études à la Sir J.J. School of Arts de Bombay*, dans le contexte électrique de l'Indépendance et de la Partition, il fonde en 1947 le Progressive Artists’ Group en compagnie de M.F. Husain, F.N. Souza, S.K. Bakre, K.H. Ara et H.A. Gade. Pleinement investi dans la dynamique d’émulation qui règne au sein du groupe, Raza prend part à ses discussions et expérimentations formelles. En 1950, il se rend à Paris à la faveur d'une bourse du gouvernement français. Débute alors un dialogue ininterrompu entre ces deux mondes culturels. Si les effets de matière de ses paysages abstraits empruntent à l'École de Paris, Raza ne cesse de convoquer l'héritage culturel de l'Inde. Ainsi les vibrations de ses gammes chromatiques évoquent les forêts luxuriantes de son enfance mais aussi les râgas, cadres mélodiques de la musique classique indienne. À partir des années 1970, son œuvre intègre des éléments thématiques issus du rapport singulier qu'il entretient à la terre, objet d'une série de toiles majeures. Les miniatures rajputes (16e-19e siècles) lui inspirent des procédés radicaux de simplification formelle qui culminent à partir des années 1980 dans le recours systématique au motif géométrique et symbolique du bindu.

* Depuis 1995, la ville de Bombay a été renommée Mumbai par le Shiv Sena, parti régionaliste marathi et hindou à la tête de la municipalité.
On désigne ici la ville par le nom employé à l'époque concernée.

S.H. Raza, années 1960. Crédits photographiques : André Morain.
 
Texte du panneau didactique.


1 - Minuit à Bombay

Scénographie
Minuit à Bombay*

Les aquarelles réalisées à Bombay à partir de 1943 marquent la cadence de cette « ville-archipel » multiculturelle, multiconfessionnelle et multilingue en pleine effervescence au lendemain du mouvement d'indépendance « Quit India » initié par Gandhi. Dans un contexte marqué par la porosité entre activité commerciale et recherche plastique, Raza est remarqué par Rudolf (Rudy) von Leyden, critique d'art autrichien, Walter Langhammer, peintre et directeur artistique du Times of India, et l'homme d'affaires et collectionneur Emmanuel Schlesinger, tous trois émigrés à Bombay dès les débuts du nazisme. Raza commence des études à la prestigieuse Sir J.J. School of Arts, où il rencontre M.F. Husain, F.N. Souza, S.K. Bakre, K.H. Ara et H.A. Gade. Ensemble, ils fondent le Progressive Artists’ Group (PAG) au lendemain de l'Indépendance et s'entourent de figures majeures telles que l'écrivain Mulk Raj Anand, fondateur de la revue MARG, le peintre Bal Chhabda, les galeristes Kekoo Gandhy et Kali Pundole, le physicien nucléaire et collectionneur Homi J. Bhabha et Ebrahim Alkazi, artiste, metteur en scène et collectionneur éclairé. Les expérimentations du PAG dessinent les contours d'une génération d'artistes cosmopolite, déterminée à inventer de nouveaux modes d'expression et attentive aux formes de l'art classique indien autant qu'aux avant-gardes européennes.

* Discours de Jawaharlal Nehru, le 14 août 1947 : « Aux douze coups de minuit, lorsque le monde dormira, l'Inde s'éveillera à la vie et à la liberté. »

 
Texte du panneau didactique.
 
S.H.Raza dans son atelier, Mumbai, 1948. Image courtesy of The Raza Archives. © Adagp, Paris 2022. © The Raza Foundation.
 
S.H. Raza. Bombay from Malabar Hill, 1948. Bombay vue depuis la Colline Malabar. Gouache sur papier. Collection Kiran Nadar Museum of Art, New Delhi.

« Bombay avec son cliquetis de tramways, d'omnibus, de chemins de fer, ses forêts de poteaux télégraphiques et ses enchevêtrements de fils téléphoniques, ses volées de journaux, ses coolies qui marchandent, ses innombrables restaurants crasseux tenus par des lranis... ses changeurs bania, ses femmes ghati qui portent un million de tiffins aux employés de bureaux à l'heure du déjeuner... ses machines, son raffut, ses bobines, ses pignons, ses rouages, ses pilonneurs, ses dwangs, ses farads et son vacarme. » FN. Souza, Words & Lines, 1959, cité par Yashodhara Dalmia, Sayed Haider Raza : The Journey of an Iconic Artist, 2021, p. 2.
 
S.H. Raza. Benares, 1944. Aquarelle sur papier. Piramal Museum of Art, Mumbai.

Durant ses années de formation à Bombay, Raza réalise principalement des aquarelles sur papier, technique issue d’une longue tradition en Inde avant d'être enseignée dans les écoles d'art coloniales. Avec ces vues urbaines animées où les couleurs soulignent les variations de lumière, Raza développe un regard photographique qui s'inscrit dans l'imagerie touristique de la carte postale, dont certaines vues de Bénarès, Jaipur et Indore sont sans doute inspirées. Ces aquarelles, qui valent à Raza de premiers succès commerciaux, témoignent aussi de ses recherches plastiques. Ici, la foule est suggérée par des touches enlevées de couleurs vives et les parasols de prière de Bénarès offrent d'efficaces simplifications formelles.
 
S.H. Raza. Bahori Kadal (Kashmir), 1949. Gouache sur papier. Collection Kiran Nadar Museum of Art, New Delhi.

En 1948, Raza est invité par le Sheikh Abdullah à visiter l'État du Jammu-et-Cachemire avec le réalisateur K.A. Abbas et l'acteur Balraj Sahni. L'artiste est impressionné par la beauté de la région et sensible au conflit qui l'agite - elle est le terrain entre 1947 et 1949 de la première guerre indo-pakistanaise. Il peint plusieurs paysages expressifs, notamment les ruines de Baramulla, théâtre de terribles affrontements en octobre 1947. À l'été 1948, Raza expose ses œuvres à Srinagar, capitale de l'État. Il y rencontre le photographe Henri Cartier-Bresson, avec qui il se lie d'amitié et qui lui recommande, selon une anecdote souvent rapportée, d'étudier attentivement Cézanne. De retour à Bombay, Raza adopte un mode de production sériel en poursuivant le travail initié au Cachemire.
 
S.H. Raza. Three Artists. Trois artistes, c. 1949. Huile sur papier. Collection Jane & Kito de Boer.

Les trois artistes représentés sont les membres fondateurs du PAG : F.N. Souza, K.H. Ara et S.H. Raza. Ce dernier décrit ainsi l'esprit qui les animait : « L'art contemporain français et l'expressionnisme allemand nous avaient fait forte impression. Les peintures rajputes et jaïnes semblaient plus essentielles que les précieuses miniatures mogholes et persanes. Nous avons commencé à réaliser que la pertinence en peinture ne résidait pas seulement dans le choix du sujet ou du thème, mais aussi dans un nouvel ordre formel et l'agencement des couleurs. [...] Au même moment, le mouvement revivaliste de l’école du Bengale - malgré ses efforts louables pour insuffler une conscience de notre héritage culturel – semblait produire des œuvres [...] sourdes au rythme et à l'agitation de notre époque. » (Geeti Sen, Bindu, Space and Time in Raza's Vision, 2021 (1997), p. 47).
 
S.H. Raza. Indian Summer. Été indien, 1948. Gouache sur papier. Collection Sir J.J. School of Art, Mumbai.

Les œuvres de Raza réalisées à la J.J. School of Art sont marquées par l'enseignement de J.M. Ahivasi, qui défend une pratique nationaliste inspirée des fresques des grottes d'Ajanta (2e siècle av. J.C.- 8e siècle) et d'Ellora (7e-13e siècles) et des miniatures rajputes, jaïnes et kangras notamment. Bien que Raza ait reconnu tardivement l'influence d'Amrita Sher-Gil sur son œuvre, le traitement des figures et le sujet évoquent les figures féminines peintes par cette artiste majeure de la modernité indienne qui étudia à l'École des beaux-arts de Paris avant de rentrer en Inde en 1934.
 
S.H. Raza. Sans titre (Maisons), c. fin 1940. Aquarelle sur papier. Collection Mukeeta & Pramit Jhaveri.


2 - Paysages recomposés

Scénographie
Paysages recomposés

En 1950, Raza quitte Bombay pour Paris en compagnie du peintre Akbar Padamsee. Il s'inscrit à l'École des beaux-arts grâce à une bourse du gouvernement français. Ils sont accueillis à leur arrivée par Ram Kumar, qui suit alors l'enseignement d'André Lhote et Fernand Léger. Les trois amis retrouvent aussi F.N. Souza, alors installé à Londres. Padamsee, Souza et Raza exposent pour la première fois à la galerie Saint-Placide en 1952, puis l'année suivante à la galerie Creuze. Les expérimentations conduites par Raza autour de la figure humaine et dans une ample série d'églises offrent des points de confluence entre les trois artistes. En 1953, Raza visite l'Italie : Ferrare, Ravenne, Padoue, Venise et Rome. Les villages médiévaux de la région de Menton qu'il peint alors s'inspirent de l'espace bidimensionnel de la miniature indienne et des icônes byzantines, des sculptures romanes et des primitifs siennois dont il apprécie la délicate sobriété.  La peinture devient une expérience sensible de l’errance, et le paysage le lieu d'inscription d'une identité plurielle.
 
Texte du panneau didactique.
 
S.H. Raza.  Église et Calvaire Breton, 1956. Huile sur toile. Piramal Museum of Art, Mumbai. © Adagp, Paris 2022. © The Raza Foundation.

Au milieu des années 1950, Raza réalise une série dont la touche expressive et la palette chaude aux couleurs complémentaires vibrantes rappellent les œuvres de Gauguin et Van Gogh, qu'il admirait dans les musées parisiens. Cet ensemble témoigne aussi de ses affinités avec F.N. Souza, qu'il retrouve à son arrivée à Paris. Originaire de Goa, alors colonie portugaise, Souza produit une interprétation torturée et iconoclaste de l'iconographie catholique. Ces architectures évoquent également le style colonial néo-gothique du célèbre quartier artistique et bohème de Bombay, Kala Ghoda, arpenté par Raza et ses amis du PAG et célébré par leur contemporain, le poète Arun Kolatkar (1932-2004).
 
S.H. Raza. Crucifixion, 1957. Huile sur toile. Collection Kiran Nadar Museum of Art, New Delhi.
 
S.H. Raza. Church at Meulan. Église à Meulan, 1956. Huile sur bois. The Darashaw collection.
Scénographie
 
S.H. Raza. Haut de Cagnes, 1951. Gouache sur papier. The Darashaw collection. © Adagp, Paris 2022. © The Raza Foundation.
 
S.H. Raza. Paysage Provençal I (Cagnes), 1951. Gouache et encre sur carton. Collection Kiran Nadar Museum of Art, New Delhi.
 
S.H. Raza. Carcassonne, 1951. Tempera sur papier. Collection Kiran Nadar Museum of Art, New Delhi.
 
S.H. Raza. Sans titre, 1953. Gouache sur papier. Jehangir Nicholson Art Foundation, CSMVS Museum, Mumbai.
Scénographie
 
S.H. Raza. Sans titre, 1951. Gouache sur papier. Collection Jane & Kito de Boer.
 
S.H. Raza. Sans-titre, 1952. Fusain sur papier. Jehangir Nicholson Art Fondation, CSMVS Museum, Mumbai.
 
S.H. Raza. Nu, 1955. Techniques mixtes sur papier. Collection Minal and Dinesh Vazirani.

Au début des années 1950, Raza développe quelques recherches formelles autour de la figure, sujet de prédilection de ses compagnons Souza et Padamsee qui s'intéressent notamment au genre du nu, alors très controversé en Inde. Padamsee comparaît ainsi en procès à Bombay pour obscénité en 1954, et le texte du jugement en sa faveur est publié par Mulk Raj Anand dans la revue MARG. Souza connaît également la censure en 1949, lors d'une exposition à l'Art Society of India (Bombay), où il prévoit d'exposer deux œuvres «érotiques» inspirées de sculptures classiques indiennes, dont un autoportrait nu aujourd'hui célèbre.
 
S.H. Raza. Sans titre, 1953. Stylo sur papier journal. Collection Minal and Dinesh Vazirani.
 
S.H. Raza. Sans titre, 1955. Acrylique sur papier. Vadehra Art Gallery, New Delhi.
 
S.H. Raza. Sans titre, 1955. Gouache et crayon sur papier. Collection particulière.


3 - Les feux de Paris

Scénographie
Les feux de Paris*

Aux Beaux-Arts de Paris, Raza rencontre l'artiste Janine Mongillat qui deviendra son épouse. Le couple s'entoure de nombreux amis, parmi lesquels Jean Bhownagary, artiste multiple alors cinéaste à l'Unesco, Jean et Krishna Riboud, couple de collectionneurs, le photographe Henri Cartier-Bresson et l'artiste libanais Shafic Abboud. Raza fréquente assidûment les musées parisiens et regarde attentivement le travail de ses contemporains, notamment Bernard Buffet, Zao Wou-Ki et Nicolas de Staël. L'année 1955 marque un tournant dans sa pratique : il rencontre la galeriste Lara Vincy, qui le représente et œuvre avec détermination à sa reconnaissance. Le passage à la peinture à l'huile, travaillée au couteau, l’engage plus avant dans la déconstruction du paysage et induit un rapprochement avec l'ensemble large et hétéroclite des artistes étrangers vivant à Paris, regroupés par la critique sous le nom d'« École de Paris ». En 1956, Raza est le premier artiste étranger à remporter le prestigieux Prix de la Critique. Il fréquente des critiques et conservateurs importants tels que Jacques Lassaigne, Pierre Gaudibert et Waldemar-George, et voit s'ouvrir ses premières expositions internationales.

* Louis Aragon, « Les feux de Paris » (Les poètes, Paris, Gallimard, 1960)

 
Texte du panneau didactique.
 
S.H. Raza. Village sous un ciel bleu, 1959. Huile sur toile. Musée d’ethnographie, Genève.
 
S.H. Raza. Rue des Fossés Saint-Jacques, 1957. Huile sur toile. Piramal Museum of Art, Mumbai.
 
S.H. Raza. Temple, 1959. Huile sur toile. Collection Sanjay and Rashmi Yadav.

« J'ai le sentiment que l'institution spirituelle singulière que le Mahatma a créée avec le « Prarthana Sabha », fondée sur l'interprétation d'écritures plurireligieuses et le silence méditatif, a inspiré la pratique de Raza. Raza n'était pas seulement un musulman gardant intacte sa foi en l'Islam, mais aussi une personne inspirée par et enracinée dans les concepts métaphysiques de l'hindouisme et parfois du christianisme. » Ashok Vajpeyi, dans Gopalkrishna Gandhi. Gandhi in Raza. 2017. p 32.
S.H. Raza. Village corse, 1957. Huile sur toile. Musée d’ethnographie, Genève.
S.H. Raza. Sans titre (Le Village), 1957. Huile sur bois. Collection Kiran Nadar Museum of Art, New Delhi.
S.H. Raza. Vue de Partinello, 1957. Huile sur toile. Musée d'ethnographie, Genève.


4 - Géographies sacrées

Scénographie
Géographies sacrées

À partir de 1959, Raza effectue de fréquents séjours en Inde. Il s'inspire des miniatures rajputes des écoles Mewar, Malwa et Bundi des 16e et 17e siècles, qui célèbrent  la sensualité de la nature à travers d'intenses gammes chromatiques et une composition abstraite. Il étudie aussi les peintures ragamalas, qui illustrent le raffinement de l'art de cour de cette époque et incarnent un dialogue entre les arts où peinture, musique et poésie restituent l'humeur d'une scène donnée par le cadre mélodique du râga. En 1962, invité à enseigner à Berkeley aux États-Unis, Raza s'imprègne des œuvres des artistes américains de l'expressionnisme abstrait - Sam Francis, Hans Hofmann et Mark Rothko notamment - dont il apprécie la résonnance spirituelle et l'amplitude gestuelle. Il visite la Rockefeller Foundation de New York qui accueille à cette époque plusieurs artistes indiens dont Krishen Khanna, V.S. Gaitonde et Tyeb Mehta. Les paysages abstraits qui se déploient librement sur les toiles des années 1960 se chargent d'une valeur sensuelle et émotive. Dans les années 1970, Raza produit une série de toiles majeures intitulées La Terre, variations magnétiques et crépusculaires épuisant la thématique de son attachement au sol natal. L'espace pictural, fragmenté en autant d'éclats de miniatures, définit les contours d'un paysage métaphorique « consacré comme une icône, comme une géographie sacrée » (Geeti Sen).
 
Texte du panneau didactique.
 
S.H. Raza. L'Inconnu, 1971. Acrylique sur toile. The Darashaw collection.
 
S.H. Raza. Jour de liesse, 1963. Huile sur toile. Collection Vincy / galerie Lara Vincy, Paris.
 
S.H. Raza. Udho, Heart is Not Ten or Twenty, 1964. Huile sur toile. Peabody Essex Museum, Gift of the Chester and Davida Herwitz Collection, 2003. © Adagp, Paris 2022. © The Raza Foundation.
 
S.H. Raza. La croix invisible, 1963. Huile sur toile. Fonds d'art contemporain- Paris Collections.
 
S.H. Raza. Lumières, 1961. Huile sur bois. Fonds d'art contemporain - Paris collections.
Scénographie
 
S.H. Raza. La Terre, 1977. Acrylique sur toile. Collection Kiran Nadar Museum of Art, New Delhi. © Adagp, Paris 2022. © The Raza Foundation.
 
S.H. Raza. Zamin, 1971. Acrylique sur toile. Jehangir Nicholson Art Fondation, Mumbai. © Adagp, Paris 2022. © The Raza Foundation. S.H. Raza.

La nuit, cette « part difficile aux cœurs solitaires » chantée par Rainer Maria Rilke, poète de prédilection de Raza, devient une thématique importante de son œuvre dans les années 1970. Zamin, « la terre » en urdu, est aussi le titre d'une célèbre peinture historique de M.F Husain réalisée en 1955. Raza évoque l'ancrage affectif et poétique de l'instant nocturne : «Le plus tenace souvenir de mon enfance est la peur et la fascination de la forêt indienne. [...] Les nuits dans la forêt étaient hallucinantes, parfois seules les danses des tribus Gond humanisaient l'ambiance. Le jour apportait un sentiment de sécurité et de bien-être. Sous le soleil radieux, le village était une féerie de couleurs les jours de marché. Et puis revenait la nuit. Je trouve même aujourd'hui que ces deux aspects de la vie me tiennent et font partie intégrante de ma peinture.» (Entretien avec Jacques Lassaigne, Cimaise, n°79, 1967).
 
S.H. Raza. Grey Landscape. Paysage gris, 1968. Acrylique sur toile. Jehangir Nicholson Art Foundation, CSMVS Museum, Mumbai.
 
S.H. Raza. Paysage, 1970. Acrylique sur toile. Piramal Museum of Art, Mumbai.
 
S.H. Raza. Maa, 1981. Huile sur toile. Collection privée / Tous droits réservés. © Adagp, Paris 2022. © The Raza Foundation.

Réalisée en 1981, Maa est présentée la même année à la Triennale de New Delhi sur invitation de Richard Bartholomew (1926-1985), critique majeur de la période post-indépendance. Son titre est issu du poème en hindi d'Ashok Vajpeyi Maa Laut Kar Jab Aaunga [Mère, quand je reviendrai, qu'apporterai-je ?]. Il est inscrit en devanagari au bas de la toile, conçue par Raza comme « une lettre à [s]a mère patrie». Fervent lecteur de poésie en français, anglais, hindi et urdu, Raza fréquente depuis son plus jeune âge les poètes urdus Mir Taqi Mir et Mirza Ghalib (18e siècle) et Mohamed Iqbal (19e siècle). Mahadevi Verma, Sumitranandan Pant, Subhadra Kumari Chauhan figurent également parmi ses poètes contemporains de prédilection en langue hindi.
 
S.H. Raza. Sans titre (D’après une miniature indienne), 1957. Huile sur bois. Coll. Privée / Tous droits réservés. © Adagp, Paris 2022.  © The Raza Foundation.

Dans cette peinture, la miniature rajpoute constitue à la fois un mode de composition et l'unique sujet de représentation. L'artiste Indien Paritosh Sen (1918-2008), séjournant à Paris en 1949, décrit une redécouverte similaire des valeurs plastiques de la miniature indienne : « La sensibilité moderne concerne principalement les valeurs plastiques de la ligne, de la forme et de la couleur. Soudain, j'al réalisé que tout cela était déjà là, présent dans la peinture indienne! La bi-dimensionnalité des objets, sur un seul plan, les divisions spatiales de la couleur et l'agencement arbitraire des couleurs. J'ai commencé à regarder l'art de mon propre pays avec un œil neuf, » (Entretien avec Geeti Sen, Calcutta, 1966).
 
S.H. Raza. Punjab, 1969. Acrylique sur toile. Piramal Museum of Art, Mumbai. © Adagp, Paris 2022. © The Raza Foundation.
 
S.H. Raza. Rajasthan, 1983. Acrylique sur toile. Piramal Museum of Art, Mumbai.

« Dans les peintures intitulées Rajasthan, [...] c'est la couleur et la structure qui comptent le plus. J'ai incorporé des vers poétiques en hindi, à la manière des peintres traditionnels de miniatures pahari et rajpoutes. Je ne voulais pas dépeindre Krishna et les gopis, ni la vie du 16e ou du 17e siècle en Inde ou en France. Je voulais suggérer un climat intérieur, la somme totale d'une expérience vécue capable de suggérer, une fois rendue sur la toile, ce qui compte fondamentalement dans la vie. » S.H. Raza dans Annie Montaut (dir.), Littérature et poétiques pluriculturelles en Asie du Sud, 2004, p. 335-356.


5 - Formes signifiantes

Scénographie
Formes signifiantes

À partir des années 1980, Raza oriente sa pratique vers une abstraction géométrique symbolique et radicale. Il délaisse les compositions guidées par le contraste de valeurs opposées au profit de formes élémentaires issues de la méditation. Le noir, « couleur mère » dans la pensée indienne, acquiert une profondeur et une densité qui s'épanouissent dans le recours au motif du bindu, « graine », « point », « goutte » en sanskrit. Ankuran, Germination, Bindu, Bija, Surya célèbrent ainsi le renouvellement perpétuel de la nature et une conception cyclique du temps. Ayant toujours refusé d'assimiler cette période au courant néo-tantrique en vogue à l'époque du Flower Power, Raza s'inscrit dans une tradition abstraite indienne fondée sur la représentation géométrique des symboles, tel le yantra, support visuel de méditation des religions hindoue, bouddhiste et taoïste, Cette portée spirituelle du motif géométrique s'associe à la recherche d'un ordre plastique rigoureux. Pour Raza, le bindu est une « forme signifiante », telle que définie par le critique britannique Clive Bell.

 
Texte du panneau didactique.
 
S.H. Raza. Nagas, 1998. (« Serpents » en sanskrit, génies des eaux et gardiens des forces et trésors souterrains, symboles d'énergie spirituelle (kundalini)). Acrylique sur toile. Piramal Museum of Art, Mumbai.
 
S.H. Raza. Bindu, 1984. Piramal Museum of Art, Mumbai.

Dans une conférence donnée lors de la manifestation « Visual Arts East-West Encounter » organisée à Bombay en 1985, Raza déclare : « Mon travail actuel est le fruit de deux recherches parallèles. Premièrement, il vise l'ordre plastique pur, l'ordre formel. Deuxièmement, il concerne le thème de la nature. Les deux ont convergé en un seul point et sont devenus inséparables. Le point, le bindu, symbolise en quelque sorte la puissance séminale de toute vie. C'est aussi une forme visible qui contient toutes les composantes plastiques essentielles, ligne, tonalité, couleur, geste et espace. » (Geeti Sen, Bindu, Space and Time in Raza's Vision, 2021 (1997), p. 175].
 
S.H. Raza. Bindu - Genèse, 1988. Acrylique sur toile. The Darashaw collection.
Scénographie
 
S.H. Raza. Black Sun, 1968. Huile sur toile. Collection Jeroo Mango, Mumbai. © Adagp, Paris 2022. © The Raza Foundation.
 
S.H. Raza. Saurashtra, 1983. Acrylique sur toile. Collection Kiran Nadar Museum of Art, New Delhi.
 
S.H. Raza. Surya-Namaskar. Salutation au Soleil, 1993. Acrylique sur toile. Piramal Museum of Art, Mumbai.
 
S.H. Raza. La Terre rouge, 1969. Huile sur toile. Collection Jane & Kito de Boer.