PICASSO. L’atelier du Minotaure. Dans le cadre de Picasso-Méditerranée, une initiative du Musée national Picasso-Paris qui se tient de 2017 à 2019, plus de soixante-dix institutions appartenant à neuf pays méditerranéens ont imaginé ensemble une programmation autour de l’œuvre « obstinément méditerranéenne » de Pablo Picasso. L’atelier du Minotaure est l’une de ces manifestations. Le thème du Minotaure apparaît à l’origine chez Picasso dans un collage daté de 1928. L’image du Minotaure, comme celle de la tauromachie, va hanter Picasso durant toute une décennie et revenir régulièrement dans sa production.
L’exposition commence justement par une photographie de Picasso coiffé d’un masque de taureau en rotin prise en 1959. Elle se poursuit par le rappel du mythe du Minotaure et en particulier par la découverte dans les ruines d’Herculanum d’une fresque représentant un homme à tête de taureau. C’est à la suite de cette découverte que le monstre « moitié humain, moitié bovin », enfanté par Pasiphaé, fut représenté sous la forme d’un homme avec une tête de taureau, et non l’inverse, comme cela se faisait auparavant par analogie avec les centaures. Le thème du Minotaure, à qui l’on envoie tous les neuf ans sept garçons et sept filles pour qu’il s’en repaisse, est abondamment repris par les artistes du XVIIIe et XIXe siècle, tels que Charles-Edouard Chaise (Thésée vainqueur du Minotaure, vers 1791), Jean-Baptiste Peytavin (Les Athéniennes livrées au Minotaure, 1802), Antoine-Louis Barye (Thésée combattant le Minotaure, 1843), Gustave Moreau (Les Athéniens livrés au Minotaure dans le labyrinthe de Crète, 1854) ou encore Auguste Rodin (Le Minotaure ou Faune et nymphe, vers 1885).
C’est pour le théâtre que Picasso commence à représenter le Minotaure. En effet, en 1928, il crée le rideau de scène de la pièce 14 juillet de Romain Rolland, représentant la dépouille du Minotaure en costume d’Arlequin. L’étude de Picasso et la magistrale tapisserie réalisée d’après cette dernière, en 1995, par Yvette Cauquil-Prince, sont présentées dans une petite salle évoquant le labyrinthe. Il en est de même pour La Minotauromachie dont on voit l’eau forte de 1935 et la tapisserie de 1991. D’autres œuvres telles que Le Minotaure, une sculpture de François-Xavier Lalanne (1970) ou Thésée et le Minotaure, une tapisserie de Marc Saint-Saëns, ornent les murs de ce « labyrinthe » qui aurait gagné à être plus vaste pour l’accrochage de tapisseries aussi grandes.
La section suivante, « Le Minotaure entre dans l'arène », présente un grand nombre de dessins et gravures de Picasso réalisés, pour la plupart entre 1933 et 1941. Ces magnifiques gravures représentent, par exemple, le Minotaure vaincu, le Minotaure violant une femme, le Minotaure caressant du mufle la main d’une dormeuse, une Scène bachique au Minotaure, le Minotaure attaquant une amazone, etc. Mais on trouve aussi des scènes plus personnelles telles que Le Repos du sculpteur, Sculpteur travaillant sur le motif avec Marie-Thérèse posant et le magnifique dessin Dora et le Minotaure.
On entre ensuite dans la salle consacrée à la revue Minotaure, publiée de 1933 à 1939 par Albert Skira et Tériade, en filiation directe avec les champs de recherche surréalistes. La première couverture est composée par Picasso. Matisse, Dali, Ernst, Masson ou encore Miro, à qui l’on doit la couverture du numéro 7 (1935), participent à cette aventure éditoriale, convaincus par la nécessité de construire une réflexion autonome pluridisciplinaire.
La dernière section, intitulée « Sacrifices », présente les gravures d’André Masson illustrant le texte de Georges Bataille, Sacrifices (1936) et surtout l’impressionnant dessin au fusain d’Ernest Pignon-Ernest, Picasso-Mithra (1992) représentant Picasso égorgeant un taureau.
Une mention spéciale pour l’installation d’Isabelle de Borchgrave, au début de l’exposition, intitulée Picasso et les sept femmes du labyrinthe. Chacune des sept principales « victimes » des passions de Picasso que sont Fernande, Olga, Marie-Thérèse, Dora, Eva, Françoise et Jacqueline, incarnent pour l’artiste une « époque », en s’identifiant à une mode vestimentaire. Les robes, réalisées en papier, sont absolument remarquables. Une exposition étonnante qui aurait mérité un espace plus vaste. R.P. Palais Lumière Évian. Jusqu’au 7 octobre 2018. Lien : ville-evian.fr/fr/culture/palais-lumiere.