LES ORIGINES DU MONDE. L’invention de la nature au XIXe siècle. Avec cette exposition magistrale, réunissant des centaines d’objets (peintures, arts graphiques, vélins, sculptures, arts décoratifs, fossiles, moulages, modelages, bifaces, animal naturalisé, manuscrits, ouvrages, publications, périodiques, documents et films) le Musée d’Orsay nous invite à une réflexion sur la place de l’homme dans le monde. Laura Bossi, neurologue et historienne des sciences, commissaire générale, nous emmène dans ce « long dix-neuvième siècle » où sont nées la plupart des sciences modernes telles que la biologie, la paléontologie, la chimie organique, la physiologie, la biologie cellulaire, la géologie, la bactériologie, l’anthropologie, l’écologie. Mais ce XIXe siècle est surtout, dans le sujet de cette réflexion, celui de L’Origine des espèces de Charles Darwin, publié en 1859. L’évolutionnisme devient « la clé de toutes les énigmes » (Haeckel, apôtre du darwinisme) et s’invite dans les sciences sociales, la psychologie, l’anthropologie criminelle, etc.
C’était une gageure de vouloir traiter un tel sujet dans un musée des beaux-arts, d’une manière accessible au plus grand nombre, y compris aux plus jeunes. Heureusement les artistes se sont passionnés pour ces idées et les ont formalisées dans leurs œuvres, rendant plus explicites ces nouvelles découvertes.
Entre un prologue et un épilogue, le parcours se déploie en neuf sections qui nous exposent d’une manière logique, voire chronologique, comment on a perçu d’une manière tout à fait nouvelle la nature au XIXe siècle, comment on l’a inventée.
Le prologue nous rappelle de quelle manière la nature était perçue jusque-là. C’était le monde clos de la Bible, avec un homme façonné à l’image de Dieu, doué de langage, qui nomme les animaux, chacun selon son espèce. C’était aussi Noé qui accueille les couples dans l’Arche et les sauve du déluge.
A la Renaissance, on s’intéresse avec plus de précision aux plantes et aux animaux, on collectionne les nouvelles espèces animales et végétales venues des nouveaux mondes, on crée des ménageries et des serres pour les rois et les princes.
Au XIXe siècle, naturalistes et artistes entreprennent ou accompagnent de grands voyages d’exploration scientifique. Le nombre d’espèces connues explose. Les peintres s’emparent de celles-ci. On crée des musées d’Histoire naturelle et des jardins zoologiques. Avec l’exploration de la vie dans les fonds sous-marins, le public se passionne pour les aquariums, assurant le succès de Vingt mille lieues sous les mers (1869) de Jules Verne.
Mais la découverte peut-être la plus importante est celle de l’inimaginable antiquité de la Terre, estimée jusqu’alors à quelques milliers d’années. C’est la découverte de fossiles, d’espèces éteintes (dinosaures), d’hommes préhistoriques, de peintures rupestres qui questionnent. Comment les imaginer à leur époque ? Comment les représenter ?
L’évolution et la descendance de l’homme est la grande question. Darwin la décrit par la sélection naturelle et même plus tard par la sélection sexuelle. L’homme n’étant qu’un animal parmi les autres, les animaux peuvent donc éprouver eux-aussi des émotions. Le singe est aussi un sujet d’embarras qui conduit à la quête de ce « chaînon manquant ». Puisque l’homme est un animal comme un autre, on peut imaginer des êtres hybrides comme les centaures, les sirènes, les minotaures et toutes ces chimères inventées par Böcklin, Carriès, Kubin, Moreau, Rodin, Watts.
Les origines de la vie fascinent et inspirent les artistes comme en témoignent l’Art nouveau et le Symbolisme. Les secrets de la maternité en inspirent d’autres comme Courbet et son tableau L’Origine du monde (1866) exposé avec une certaine malice à côté de La Coquille (1912) de Redon. Mais l’obsession de la généalogie peut s’associer, comme chez Munch, à la crainte de l’hérédité morbide. La nature elle-même est source d’inspiration dans les arts décoratifs (Gallé, Tiffany…) et chez les peintres comme Monet avec ses Nymphéas.
Néanmoins certains artistes refusent la naturalisation de l’homme et le scientisme ce qui donnera naissance à l’art abstrait (Kandinsky, Kupka, Mondrian, Hilma af Klint …).
Les dérives des théories darwiniennes, comme l’eugénisme, ont montré leurs horreurs dans les deux guerres mondiales. Aujourd’hui, confrontés au réchauffement climatique et à la sixième extinction des espèces, nous devons repenser notre relation avec la Nature.
Une exposition passionnante, très bien documentée, avec de nombreux panneaux didactiques très clairs, des cartels développés et un parcours ludique pour les enfants. R.P. Musée d’Orsay 7e. Jusqu’au 18 juillet 2021. Lien : www.musee-orsay.fr.