Parcours en images et en vidéos de l'exposition

NICOLAS DE STAËL

avec des visuels mis à la disposition de la presse
et nos propres prises de vue

Parcours accompagnant l'article publié dans la Lettre n°583 du 6 décembre 2023



Entrée de l'exposition
Scénographie
 


Né à Saint-Pétersbourg en 1914, Nicolas de Staël a 3 ans lorsque éclate la révolution russe. Forcé de fuir avec sa famille, très tôt orphelin, cet exilé n’aura de cesse de rechercher de nouveaux horizons, de nouvelles sensations – et donc de nouvelles manières de peindre. Si l’essentiel de son œuvre tient en une quinzaine d’années, son travail se renouvelle constamment : son «inévitable besoin de tout casser quand la machine semble tourner trop rond» l’amène à expérimenter sans relâche.

Sa pratique de peintre s’inscrit dans une France de l’après-guerre où la dispute entre partisans de l’abstraction et défenseurs de la figuration fait rage. Indifférent aux querelles de son temps, Staël déteste les étiquettes et refuse de choisir, préférant peindre «sans esthétique a priori». Il en résulte une œuvre libre et personnelle, qui manifeste la sensibilité toujours vive de ce peintre vis-à-vis de ce qui l’entoure : qu’il se confronte à la mer, à un match de football ou à un fruit posé sur une table, l’artiste est captivé par les spectacles du monde et leurs lumières toujours variables.

Interrompue par son suicide à l’âge de 41 ans, la trajectoire de Staël apparaît rétrospectivement comme la poursuite, menée dans l’urgence, d’un art toujours plus dense et plus concis. Face au paysage ou dans le silence de l’atelier, ses évolutions successives témoignent d’une quête picturale d’une rare intensité, dont la puissance, jusqu’à aujourd’hui, demeure intacte.

Denise Colomb. Nicolas de Staël dans son atelier rue Gauguet, Été 1954. Photo © Donation Denise Colomb, Ministère de la Culture, Médiathèque du patrimoine et de la photographie, Dist. RMN-Grand Palais / Denise Colomb. © RMN-Grand Palais.
 
Texte du panneau didactique.


1 - LE VOYAGE D'UN PEINTRE (1934-1947)

Scénographie

Les années de formation de Nicolas de Staël sont faites de voyages et de rencontres. S’il étudie l’art à Bruxelles, le jeune peintre cherche vite à élargir ses horizons : après deux étés passés à sillonner le sud de la France puis l’Espagne, il parcourt pendant un an le Maroc où il rencontre Jeannine Guillou, une peintre qui deviendra sa compagne. Il travaille avec ardeur, détruisant beaucoup et hésitant sur la voie à suivre. «Je sais que ma vie sera un continuel voyage sur une mer incertaine, écrit-il, c’est une raison pour que je construise mon bateau solidement.»

Faites de déplacements et de haltes, ces années de maturation sont à la fois dures et exaltantes, sur fond d’ambition et d’extrême pauvreté. Staël l’apatride s’engage en novembre 1939 dans la Légion étrangère; démobilisé en septembre 1940, il vit pendant trois ans à Nice puis s’installe à Paris. En 1942, il se tourne vers l’abstraction, tendance alors en plein essor. Le peintre explore ce nouveau langage dans des œuvres dominées par des tons sombres, que Jeannine décrit comme «sans fin torturées, repeintes, massacrées, bousculées».

Au sortir du conflit, Staël expose à la galerie Jeanne Bucher: sa carrière est lancée. En 1946, la mort tragique de Jeannine suite à un avortement thérapeutique signe la fin de cette première époque.

 
Texte du panneau didactique.
 
Nicolas de Staël.  Portrait de Jeannine, Nice, 1941. Huile sur toile. Collection particulière.
 
Nicolas de Staël.  Vue de Cassis, 1934. Plume, encre de Chine et rehauts d'aquarelle sur papier. Dijon, musée des Beaux-Arts. Donation Pierre et Kathleen Granville, 1969.
 
Nicolas de Staël.  Composition (Les Mouettes), Paris, 1947. Pinceau et lavis d'encre de Chine sur papier. Dijon, musée des Beaux-Arts. Donation Pierre et Kathleen Granville, 1969.
 
Nicolas de Staël.  Pont de Bercy, Paris, 1939. Huile sur contreplaqué. Collection particulière.

Peint à l'âge de 25 ans, ce tableau est l'une des rares toiles figuratives des débuts de Staël qui nous soient parvenues. Le jeune artiste y pose les bases du monde visuel auquel il ne cessera de revenir dans les dernières années de sa vie. On y décèle en germe sa prédilection pour le paysage, son goût pour le motif du bateau, la tension entre la liquidité du fleuve et le rythme architectonique du pont, la sensibilité, aiguë, aux nuances lumineuses de l'atmosphère. La syntaxe du peintre est déjà la, qui engendrera tant de fécondes variations.
 
Nicolas de Staël.  Composition, Nice, 1942. Pastel sur papier. Collection particulière.
 
Nicolas de Staël.  Étude, Visage de femme, vers 1939. Fusain sur papier. Collection particulière.

Au tournant des années 1940, la pratique de l'artiste est étroitement liée à sa relation avec Jeannine Guillou, une peintre de quatre ans son aînée, rencontrée au Maroc. Dans ces différents portraits, Staël rend hommage à la femme aimée, compagne - et soutien sans faille - de cette vie dure qui semble hanter son visage émacie et mélancolique. Plus tard, il dira : «Quand j'étais jeune, j'ai peint le portrait de ma première femme. Un portrait, un vrai portrait, c'est quand même le sommet de l'art.»
 
Nicolas de Staël.  Composition, Paris, 1946. Pinceau et encre de Chine sur papier. Collection particulière.
Scénographie
 
Nicolas de Staël.  Composition, Paris, 1946. Huile sur toile. Collection particulière.
 
Nicolas de Staël.  Le Cube, Paris, 1946. Huile sur toile. Paris, galerie Louis Carré & Cie.
 
Nicolas de Staël.  Composition, Paris, 1944. Fusain gomme sur papier. Paris-Lisbonne, galerie Jeanne Bucher Jaeger.

Le dessin et le travail sur papier sont, dès l'origine, l'un des piliers de la pratique de Staël. C'est la que l'artiste note ses impressions visuelles de voyageur, qu'il élabore des projets de tableaux et surtout, qu'il expérimente des manières de faire qui infuseront plus tard, dans ses peintures sur toile. Au début des années 1940, le double jeu du fusain et de la gomme a sa prédilection: le fusain pour travailler les degrés de noir, la gomme pour faire surgir la lumière au cœur du noir, comme si celle-ci se cachait là, en attente du geste révélateur.
 
Nicolas de Staël.  Composition. Paris, 1944. Fusain gommé et pastel sur papier. Paris, Collection de Bueil & Ract-Madoux.


2 - RUE GAUGUET (1948-1949)

Scénographie

Située près du parc Montsouris, la rue Gauguet devient dès 1947 le point d’ancrage du peintre: le lieu où Staël, qui s’est marié avec Françoise Chapouton, va trouver un véritable atelier et un toit pour sa famille. Avec ses huit mètres de hauteur sous plafond, l’atelier «tient du puits, de la chapelle et de la grange», écrit le critique Patrick Waldberg, qui décrit «sa blancheur austère et son atmosphère d’activité intense, mais recluse».

Adossant ses toiles contre le mur, Staël conçoit plusieurs œuvres en même temps, passant de l’huile à l’encre de Chine, de la toile au papier. À la fin des années 1940, dans ce lieu inondé de lumière, sa palette s’éclaircit. Aux élans obscurs des toiles précédentes succède une manière de peindre moins violente, plus organique. Peu à peu, ses compositions se desserrent : les faisceaux dynamiques et enchevêtrés laissent place à des formes plus amples, plus stables et aériennes.

Renouvelant constamment sa pratique, Staël se méfie de la répétition comme des étiquettes. Ce peintre que l’on dit abstrait déclare alors, à rebours de l’époque, que «les tendances non figuratives n’existent pas», affirmant que «le peintre aura toujours besoin d’avoir devant les yeux, de près ou de loin, la mouvante source d’inspiration qu’est l’univers sensible».

 
Texte du panneau didactique.
 
Nicolas de Staël.  Composition, Paris, 1949. Huile sur toile. Collection Sandrine Chadelaud Karpensztein. CKS Fine Art Genève.

En 1949, Staël s'éloigne des compositions aux barres enchevêtrées pour aller vers des formes plus amples, calmes et constructives. La grille qui structurait ses tableaux précédents s'est desserrée. Ses compositions s'allègent, se simplifient, respirent. Sa relation avec Georges Braque, en qui il voit alors «le plus grand des peintres vivants de ce monde», l'amène à concevoir de grandes compositions, peu profondes, aux formes solides qui semblent avancer vers le spectateur.
 
Nicolas de Staël. Eau-de-vie, 1948. Huile sur toile, 100 x 81 cm. Paris-Lisbonne, Galerie Jeanne Bucher Jaeger. © Adagp, Paris, 2023. Courtesy Galerie Jeanne Bucher Jaeger, Paris-Lisbonne /Photo Georges Poncet.

«Je n'y crois pas, aux titres», affirmait Nicolas de Staël, expliquant qu'il n'y avait jamais d'«idée littérairement traduisible» qui puisse dominer un tableau. La plupart de ses toiles abstraites se nomment d'ailleurs, simplement, Composition. Quelques titres, allusifs ou poétiques, ont néanmoins été attribués à certaines œuvres, souvent à la demande de marchands. Si l'on en croit le poète Pierre Lecuire, un ami du peintre, Eau-de-vie fut baptisée ainsi à la suite d'une conversation bien arrosée. Titre de hasard ? Il est permis d'en douter, quand on regarde cette toile où les formes en faisceau sont comme traversées par un flux vital gorgé d'une éclatante énergie.
 
Nicolas de Staël. Composition grise, 1949. Huile sur toile, 81 x 100 cm. Genève, Fondation Gandur pour l'Art. © Adagp, Paris, 2023. © Fondation Gandur pour l’Art, Genève / Photo Sandra Pointet.
Scénographie
 
Nicolas de Staël.  Hommage à Piranèse, Paris, 1948. Huile sur toile. Hovikodden, Henie Onstad Kunstsenter, collection Henie Onstad.

Le titre du tableau dit l'admiration de Staël pour Piranèse, graveur des Prisons (1750). S'il rend hommage à ces architectures rêvées où s'enchevêtrent des formes sombres, il ne fait pas pour autant œuvre d'imitateur. Au monde obscur de l'artiste italien, il répond en éclaircissant sa palette, pour mieux rendre visible ce qui structure ses tableaux. Une forme centrée, faite d'un entrelacs de couleurs en faisceaux, s'élance, verticalement, vers le haut. Une lumière vient du fond: une lumière architecturée, une lumière de vitrail.
 
Nicolas de Staël.  Composition, Paris, 1948. Pinceau et encre de Chine sur papier, collé sur carton. Paris-Lisbonne, galerie Jeanne Bucher Jaeger.
 
Nicolas de Staël.  Composition, Paris, 1948. Encre de Chine et lavis sur papier. Paris, Centre Pompidou. Musée national d'art moderne - Centre de création industrielle. Donation de Madame Claude Duthuit. 2015.
 
Nicolas de Staël.  Composition, Paris, 1948. Pinceau et encre de Chine sur papier. Collection particulière.


3 - CONDENSATION (1950)

Scénographie

En 1950, le travail de Staël se densifie : des masses plus amples et ramassées s’agencent à la surface de la toile. Des études sur papier jusqu’au tableau dans sa version définitive, il multiplie les étapes, travaille longuement et sans relâche ses compositions. Les tableaux racontent leur propre genèse: les couches de couleur se superposent, laissant apparaître, sur les bords de formes énigmatiques, d’autres couleurs sous-jacentes, tel un secret entrevu. La peinture se fait étalement, recouvrement, travail de la matière. «Je manie le couteau et la brosse de plein fouet», dit-il alors. L’ambition est claire : «faire de mieux en mieux et toujours plus simple».

Bien qu’abstraites formellement, ses toiles semblent habitées par une présence physique du monde: Staël parle à leur sujet des «images de la vie» qu’il reçoit «en masses colorées», «à mille vibrations». Il se tient fièrement à l’écart de ce qu’il désigne comme le «gang de l’abstraction avant» – par allusion ironique au «gang des Tractions Avant», célèbre bande de malfaiteurs de l’après-guerre.

Cette année-là, le Musée national d’art moderne acquiert une première toile du peintre, tandis que Jacques Dubourg devient officiellement son marchand et que des toiles commencent à se vendre aux États-Unis.

 
Texte du panneau didactique.
 
Nicolas de Staël.  Composition, Paris, 1950. Pinceau et lavis d'encre de Chine sur papier. Collection particulière.
 
Nicolas de Staël.  Composition, Paris, 1950. Huile sur toile. Collection particulière.
 
Nicolas de Staël.  La Procession, Paris, 1950. Huile sur toile. Dijon, musée des Beaux-Arts. Donation Pierre et Kathleen Granville, 1969.
Scénographie
 
Nicolas de Staël. Grande composition bleue, 1950-1951. Huile sur Isorel,  200 x 150 cm. Collection privée / Courtesy Applicat-Prazan, Paris. © Adagp, Paris, 2023. Courtesy Applicat-Prazan, Paris.

Dans ses toiles, Nicolas de Staël peint la présence et le poids des choses, retrouvant, par la peinture, les lois physiques de la nature. L'adoption du grand, voire du très grand format, va de pair avec cette quête: le grand tableau implique une grande forme, et une grande pesanteur de celle-ci. Comme il l'écrit au critique d'art Roger van Gindertael en 1950 - l'année de cette Grande composition bleue - «ce qui donne la dimension, c'est le poids des formes, leur situation, leur contraste». Quelque chose se tient la devant nous, en silence. À cela, il faut aussi rajouter le travail étonnamment complexe de la matière, cette façon, sans cesse renouvelée, de lui conférer présence et densité.
 
Nicolas de Staël.  Composition, Paris, 1950. Huile sur panneau. Londres, Tate. Achat, 1980.
 
Nicolas de Staël.  Composition, Paris, 1950. Stylo-feutre sur papier. Collection particulière.
 
Nicolas de Staël.  Composition, Paris, 1949-1950. Plume et pinceau, encre de Chine et gouache sur papier. Collection particulière.


4 - FRAGMENTATION (1951)

Scénographie

Les tableaux de l’année 1951 apparaissent, rétrospectivement, comme une réaction à ceux de l’année 1950, Staël remettant en jeu les acquis de l’année précédente. Après la condensation, ce sera donc la fragmentation: après les formes concentrées, vient le règne des formes fragmentées, faites de tesselles colorées que l’on dirait empruntées au monde de la mosaïque. Ce nouveau vocabulaire offre à l’artiste une grande liberté. Tantôt il construit, par accumulation de ces formes en pavés, tantôt il ouvre son tableau à une spatialité nouvelle et dynamique, quasi aérienne.

Les références au monde extérieur, déjà là, à l’état latent, dans les tableaux de 1950, émergent plus nettement. Staël, malgré l’époque, malgré la critique, revient courageusement vers la figuration: au tout début de l’année 1952, une simple tesselle, forme abstraite s’il en est, devient une pomme, tandis que le jaillissement vertical des petits pavés de couleur évoque soudain un bouquet de fleurs. À son nouvel ami René Char, pour lequel il réalise un ensemble de gravures sur bois, il écrit : «Tu m’as fait retrouver d’emblée la passion que j’avais, enfant, pour les grands ciels, les feuilles en automne et toute la nostalgie d’un langage direct.»

 
Texte du panneau didactique.
 
Nicolas de Staël.  Les Toits, Paris, 1951. Huile sur bois. Collection particulière.
 
Nicolas de Staël.  Trois pommes en gris, Paris, 1952. Huile sur toile. Paris, collection particulière / courtesy galerie Berès, Paris.

Certains tableaux de 1952, et en particulier ces Trois pommes en gris, permettent de comprendre comment Nicolas de Staël parvient à concilier exigence de renouvellement et continuité profonde. L'artiste reprend ici le vocabulaire formel des tesselles, ces éléments tendant vers le carré qui, tout au long de l'année précédente, servaient à engendrer des compositions abstraites. Désormais, le motif abstrait permet d'évoquer le mondes sensible: individualisée, la tesselle se mue en pomme, tandis que le tableau devient nature morte.
 
Nicolas de Staël.  Composition, Paris, 1951. Huile sur toile. Collection particulière.
 
Nicolas de Staël.  Fleurs, Paris, 1952. Huile sur toile. Collection particulière.
 
Nicolas de Staël.  Le Mur, Composition, Paris, 1951. Huile sur toile. Suisse, collection particulière / courtesy Simon Studer Art.
Scénographie
 
Nicolas de Staël.  Composition fond blanc, Paris, 1951. Huile sur Isorel. Collection particulière.

Au plaisir de construire répond la nécessité de défaire: non pas de détruire, mais de remettre en jeu les éléments du tableau, afin de conquérir de nouveaux accords, de nouveaux équilibres, de nouvelles lumières. C'est cela que cherche Staël dans cette Composition fond blanc. Ce tableau est un envol, une respiration. Le peintre fait voler en éclats les tesselles bien ordonnées des compositions précédentes. En novembre 1951, il écrit: «Je pense pouvoir évoluer. Dieu sait comment, vers plus de clarté en peinture.»
 
Nicolas de Staël. Fugue, 1951-1952. Huile sur toile, 80,6 x 100,3 cm. Washington, The Phillips Collection. © Adagp, Paris, 2023. The Phillips Collection, Washington, D.C. / Photo Walter Larrimore.
 
Nicolas de Staël.  Composition, Paris, 1951. Huile sur contreplaqué. Collection privée / courtesy Applicat-Prazan, Paris.
 
Nicolas de Staël.  Composition, Paris, 1951. Huile sur toile. Collection particulière.

Dans cette Composition, une forme centrale se dresse, monumentale, sur un fond ouvert et aérien. Ici règnent les pavés colores: disjoints, ils semblent propices à l'expression de la matière en mouvement. À Olga, sa sœur, Staël écrit, en août 1951: «C'est l'axe qui est le plus important, la volonté, l'architecture. Il faut que tout cela monte bien, simple, coordonné. Dieu que c'est difficile, la vie !»


5 - UN AN DANS LE PAYSAGE (1952)

Scénographie

En 1952, les références au monde sensible deviennent explicites. Staël élargit alors son champ visuel, sortant de l’atelier pour s’adonner au paysage et travailler en plein air, sur le motif. Entre joie et urgence, «des couleurs plein les mains à ciel ouvert», il peint plus de deux cent quarante œuvres. La majorité sont des petits ou moyens formats sur carton, travaillés directement face au paysage, en Île-de-France, en Normandie et dans le Midi. Chaque lieu, chaque région engendre ses propres impressions et ses manières de faire. À Mantes-la-Jolie ou Gentilly, l’art de Staël atteint un équilibre entre observation et abstraction. Au Lavandou, il peint sur la plage et s’émerveille de la lumière «vorace»et «fulgurante» du Sud, qui lui procure des sensations nouvelles : «À force d’être bleue, la mer devient rouge.» En Normandie, ses paysages se font plus atmosphériques et traduisent les subtiles nuances de la mer et du ciel.

À Paris, le 26 mars, Staël assiste au match de football France-Suède au Parc des Princes. Le tableau magistral qu’il en tire est exposé au Salon de mai et fait sensation. Pas de côté dans une année largement consacrée au paysage? Approfondissement, plutôt, comme si ses paysages d’Île-de-France trouvaient là leur destin monumental.

 
Texte du panneau didactique.
 
Nicolas de Staël. Paysage avec figures (Peint sur le motif), 1952. Huile sur carton. Collection particulière.
 
Nicolas de Staël. Paysage, 1952. Huile sur carton, 28 x 33 cm. Collection privée / Courtesy Applicat-Prazan, Paris. © Adagp, Paris, 2023. Courtesy Applica‍t-Prazan, Paris.
 
Nicolas de Staël. Paysage, 1952. Huile sur carton, 38 x 55 cm. Collection particulière. © Adagp, Paris, 2023. Courtesy Versailles Enchères / Photo François Mallet.
 
Scénographie.
 
Scénographie.
Scénographie
 
Nicolas de Staël. Mer et nuages, Paris, 1953. Huile sur toile. Collection privée / courtesy Applicat-Prazan, Paris.
 
Nicolas de Staël. Ciel à Honfleur, Paris, 1952. Huile sur toile. Collection privée / courtesy Applicat-Prazan, Paris.
 
Nicolas de Staël. Le Lavandou (Peint sur le motif), 1952. Huile sur carton. Collection particulière.
 
Nicolas de Staël. Parc des Princes, 1952. Huile sur toile, 200 x 350 cm. Collection particulière. © Adagp, Paris, 2023 / Photo Christie’s.

Le 26 mars 1952, Staël et sa femme, Françoise, assistent en nocturne au match de football France-Suède, au Parc des Princes. Fasciné par ce spectacle, le peintre entreprend une série de travaux sur ce thème. Dans ce tableau de très grand format, il reprend, avec une monumentalité nouvelle, le vocabulaire de ses paysages d'Île-de-France. Ici, lutte des formes et combat des joueurs se confondent absolument. À René Char, Staël écrit en avril: «Entre ciel et terre, sur l'herbe rouge où bleue, une tonne de muscles voltige en plein oubli de soi [..]. Quelle joie! René, quelle joie!».
 
Nicolas de Staël. Parc des Princes, Paris, 1952. Huile sur carton. Collection particulière.
 
Nicolas de Staël. Paysage (Peint sur le motif), 1952. Huile Sur carton. Collection particulière.
Scénographie
 
En 1952, Nicolas de Staël peint des dizaines de paysages de tout petit format, la plupart du temps sur un support de carton. Leur taille modeste comme leur légèreté sont propices au travail en extérieur, face au motif. Dans ces œuvres qui sont autant de variations sur sa sensibilité au monde, on sent le peintre au travail : le carton tenu dans la main, la boîte à couleurs ouverte à côté de lui, l'observation du paysage, la vitesse d'exécution, la capacité à dépasser l'émotion première pour aller vers une synthèse plastique. Véritables laboratoires du peintre, ces petits paysages disent quelque chose d'essentiel : la jubilation de faire de la peinture.
Nicolas de Staël. Gentilly, 1952. Huile sur carton. Collection particulière.
 
Texte du panneau didactique.


6 - LE SPECTACLE DU MONDE (1952-1953)

Scénographie

L’attrait de Nicolas de Staël pour le paysage se prolonge dans une fascination pour tout ce qui constitue le spectacle du monde. Entre un concert, un ballet et un match de football, nulle hiérarchie, mais autant d’occasions de se confronter à la vie comme à un jeu de matières colorées et en mouvement. Staël, qui dessinait jusque dans l’obscurité des salles de cinéma, peint en spectateur passionné, recevant sans cesse de nouvelles sensations visuelles, tactiles et auditives. En 1951, déjà, il déclarait : «L’individu que je suis est fait de toutes les impressions reçues du monde extérieur depuis et avant ma naissance […]. Les choses communiquent constamment avec l’artiste pendant qu’il peint, c’est tout ce que j’en sais.» Sous cet œil ultra-sensible, un jardin prend l’allure d’un décor de théâtre, tandis que des bouteilles semblent danser un ballet.

Au mois de mars 1953, Staël est à New York pour préparer son exposition à la Knoedler Gallery. L’exposition remporte un franc succès, tant critique que commercial. À son retour, le peintre achève trois compositions monumentales, dont deux sont présentées dans l'exposition. En juin, Staël signe un contrat avec le puissant galeriste Paul Rosenberg, qui le pousse à produire davantage pour répondre à la demande des collectionneurs américains.

 
Texte du panneau didactique.
 
Nicolas de Staël. Les Indes galantes, Paris, 1953. Huile sur toile. Collection particulière.
 
Nicolas de Staël. Bouteilles dans l’atelier, Paris, 1953. Huile sur toile. Collection particulière.

Le motif des bouteilles donnera lieu à de nombreuses variations de 1952 jusqu'aux ultimes travaux du peintre, en 1955. Dans cette monumentale version de 1953, Staël emploie cet objet du quotidien dans une magistrale construction symphonique. Est-ce une nature morte, un paysage ou bien un ballet? L'artiste parle de bouteilles qui «dansent», accomplissant ainsi son projet, formulé dès 1951, de «[s]'occuper sérieusement de la matière en mouvement». Le tableau est exposé au Salon de mai de 1953: dans Le Monde, l'historien de l'art Andrée Chastel écrit que la salle se trouve «comme suspendue au souffle énorme et franc, largement posé, de la composition de Nicolas de Staël».
 
Nicolas de Staël. L'Orchestre, Paris, 1953. Huile sur toile. Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne. Centre de création industrielle. Don de Sophie et Jérôme Seydoux, 2003.

Staël était un mélomane passionné: depuis 1950, il se rend régulièrement aux soirées organisées par Suzanne Tezenas, qui fondera bientôt, avec Pierre Boulez, le Domaine musical. Dans cette composition grandiose tout en nuances de gris, un chef d'orchestre, vêtu de noir, se tient debout face à un ensemble symphonique. Certains éléments de l'orchestre se laissent deviner: les musiciens, debout ou assis, la silhouette d'un violon à gauche et d'une contrebasse à droite, ou encore le rideau de scène encadrant la composition. Mais c'est surtout l'impression d'ensemble qui prime, et qui parvient à suggérer le dynamisme de l'orchestre comme la puissance musicale de son interprétation.


L'atelier de Nicolas de Staël rue Gauguet (1953)

Scénographie

L'atelier de Nicolas de Staël rue Gauguet. Paris, 1953. Photographies d'Antoine Tudal
Au printemps 1953, à la demande de Staël, Antek Teslar photographie l'atelier de la rue Gauguet. Fils aîné de Jeannine Guillou, poète sous le nom d'Antoine Tudal, Antek est resté proche du peintre après la mort de sa mère. Ce jour-là, il photographie les outils recouverts de peinture, le tas de bûches alimentant le poêle et, surtout, les dizaines de toiles en cours d'élaboration ou achevées, dont le Parc des Princes posé verticalement. Avec ces images, nous pénétrons dans l'intimité du travail du peintre: «Un photographe qui vient chez toi, c'est comme un constat d'adultère», affirmait Staël.

 
Texte du panneau didactique.
 
Scénographie.


7 - L'ATELIER DU SUD (1953)

Scénographie

«Tous les départs sont merveilleux pour le travail», écrit Staël en mai 1953. Sur le conseil de René Char, cet été-là, le peintre et sa famille s’installent à Lagnes, un village proche d’Avignon. Ce séjour en Provence engendre deux chocs: celui de la lumière éclatante, et celui de la rencontre avec une jeune femme, Jeanne Polge. Pour décrire ce double coup de foudre, le peintre écrit à Char, qui lui a présenté cette femme et ce paysage : «Quelle fille, la terre en tremble d’émoi, quelle cadence unique dans l’ordre souverain. Là-haut au cabanon chaque mouvement de pierre, chaque brin d’herbe vacillait […] à son pas. Quel lieu, quelle fille.» Une liaison passionnelle se noue à partir de l’automne.

Le peintre, dont la palette devient éclatante comme la lumière provençale, multiplie les sujets d’atelier: portrait de sa fille Anne, «nus dans les nuages», natures mortes. L’intensité charnelle des sensations vécues par cet homme se diffuse dans toute chose, jusque dans la texture d’une nappe rose posée sur une table.

 
Texte du panneau didactique.
 
Nicolas de Staël. Fleurs blanches et jaunes, Lagnes, 1953. Huile sur toile. Genève, Fondation Gandur pour l'Art.
 
Nicolas de Staël. Nu, 1952-1953. Pinceau et encre de Chine sur papier. Paris, Centre Pompidou. Musée national d'art moderne - Centre de création industrielle. Achat, 1977.
 
Nicolas de Staël. Portrait d'Anne, Lagnes, 1953. Huile sur toile. Colmar, musée Unterlinden. Achat, 1976.

Douze ans après avoir peint Jeannine, Nicolas de Staël fait, à Lagnes, le portrait d'Anne, leur fille. Avec ce retour à la figure, on mesure le chemin parcouru. Loin du classicisme mélancolique du portrait de Jeannine, ce tableau reformule, autrement, la lutte à l'œuvre dans les figures de footballeurs. La jeune Anne, qui a alors onze ans, prend, dans la vision de son père, l'allure d'une figure hiératique, faite de masses colorées à peine jointes, dont la matière semble animée par un combat sans répit.
 
Nicolas de Staël. Étude de nu, 1952-1953. Pinceau et encre de Chine sur papier. Paris, Centre Pompidou. Musée national d'art moderne - Centre de création industrielle. Achat, 1977.
 
Nicolas de Staël. Nu de dos, 1952-1953. Pinceau et encre de Chine sur papier. Collection particulière.
Scénographie
 
Nicolas de Staël. Femme assise, 1953. Huile sur toile, 114 x 162 cm. Collection particulière. © Adagp, Paris, 2023. © Photo Jean-Louis Losi.
 
Nicolas de Staël. Table rose, Provence, 1953. Huile sur toile. Collection privée / courtesy Applicat-Prazan, Paris.

L'atelier, ce lieu clos, apparaît comme l'endroit idéal pour fouiller le monde dans sa profondeur. Dans un ensemble d'œuvres dédiées au motif de la table, Staël donne libre cours à son désir de travailler la matière dans son épaisseur. Il s'agit de donner à la pâte colorée toute sa force, par un travail conjoint de la texture et de la couleur. Cette table rose, simple forme rectangulaire ornée d'objets bleus, prend une réalité tangible. La peinture est faite pour être vue, certes, mais aussi pour engendrer la sensation du toucher.
 
Nicolas de Staël. Deux vases de fleurs, Lagnes, 1953. Huile sur toile. Suisse, collection particulière.
 
Nicolas de Staël. Nature morte au tournesol, Lagnes, 1953. Huile sur toile. Collection particulière, avec le concours de Malingue S.A.


8 - LUMIÈRES (1953)

Scénographie

Le peintre, après tant d’autres, connaît la fascination pour le Sud et sa lumière: la Provence lui apparaît comme «le paradis, tout simplement, avec des horizons sans limites». Il rêve de transformer en un point fixe ce qui ne sera qu’une halte entre deux départs et, en novembre 1953, achète une demeure austère et délabrée à Ménerbes – le Castelet.
En Provence, le peintre remet son art en jeu tout en renouant avec le petit format et les joies de la peinture sur le motif – ce qu’il appelle ses «paysages de marche». Les tableaux du Midi exigent une réinvention: la lumière éclatante du Sud implique un nouveau regard, et donc une nouvelle manière de faire. Au plus près du monde, Staël peint alors les silhouettes alignées des cyprès, les champs labourés, la façade d’une maison, le soleil éblouissant au-dessus de l’horizon. Sculpté par le vent, son Arbre rouge se fait explosion lumineuse. Ici, Staël cherche, à tâtons, en peintre qui n’a que le travail comme possible recours: «Je suis dans un brouillard constant, ne sachant où aller, que faire […],bouffant ces paysages à longueur de journée de quoi en avoir une nausée définitive, ému malgré tout chaque fois.»

 
Texte du panneau didactique.
 
Nicolas de Staël. Paysage, Ménerbes, Ménerbes, 1953-1954. Huile sur toile. Montpellier Méditerranée Métropole, musée Fabre.
 
Nicolas de Staël. Arbre rouge, 1953. Huile sur toile, 46 x 61 cm. Collection particulière. © Adagp, Paris, 2023 / Photo Christie’s.
 
Extraits du documentaire «Nicolas de Staël, la peinture à vif». Un film de François Lévy-Kuentz. Écrit par François Lévy-Kuentz, Stéphane Lambert et Stéphan Lévy-Kuentz. Une production Temps noir en coproduction avec Arte France - 2023.

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Nicolas de Staël. Arbres, Provence, 1953. Huile sur toile. Collection particulière.
 
Nicolas de Staël. Le Soleil, Provence, 1953. Huile sur toile. Collection particulière.
 
Nicolas de Staël. Grignan, 1953. Huile sur toile. Collection particulière.
 
Nicolas de Staël. Les Cyprès, Provence, 1953. Huile sur toile. Collection particulière.
 
Nicolas de Staël. Paysage de Provence, Lagnes, 1953. Huile sur toile. Collection particulière.
 
Nicolas de Staël. Terre du Nord, vers 1953. Huile sur toile. Collection particulière.


Nicolas de Staël dans son atelier rue Gauguet (1954)

Scénographie

Nicolas de Staël dans son atelier rue Gauguet. Paris, été 1954. Photographies de Denise Colomb

Auteure d’une longue série de portraits photographiques d'artistes, Denise Colomb rencontre Staël à l'été 1954, dans son atelier de la rue Gauguet. L'artiste pose d'abord en chemise blanche, entouré de ses toiles et de son matériel de peintre. «Lui était très en dehors de la photo, sur le bord, un peu comme prêt à partir», se souvient Colomb. Un sac à dos est posé au sol, «qui donnait comme une impression de départ». Elle demande à revenir le lendemain, souhaitant photographier Staël debout devant un mur nu. Le peintre se plante devant elle, en chemise et pantalon noirs, les bras croisés sur la poitrine. «En plein centre de l'image, me défiant, il semblait défier le monde, raconte Colomb. J'avais ma photo.»
 
Texte du panneau didactique.
 
Nicolas de Staël, Anne de Staël, Antek Teslar et Jeannine Guillou dans le jardin de leur maison au 54 rue Nollet, Paris, 1944.
 
Denise Colomb. Nicolas de Staël dans son atelier rue Gauguet. Paris, été 1954.
 
Denise Colomb. Nicolas de Staël dans son atelier rue Gauguet. Paris, été 1954.
Scénographie
Vitrine
Vitrine


9 - SICILE (1953-1954)

Scénographie

En août 1953, Nicolas de Staël, qui s’est acheté une camionnette, embarque sa famille dans un voyage en Italie, direction la Sicile. Il y a là sa femme Françoise, enceinte de Gustave, ses enfants, Anne, Laurence et Jérôme, mais aussi Jeanne Polge et Ciska Grillet, une amie de René Char.
En Sicile, il dessine au feutre les ruines antiques d’Agrigente et Syracuse: «À part la nage dans toutes les mers, je ne fais rien, sinon quelques croquis», écrit-il alors. La peinture viendra plus tard, comme en écho différé à cette expérience vécue. En 1951, déjà, il affirmait: «On ne peint jamais ce qu’on voit ou croit voir, on peint à mille vibrations le coup reçu.» C’est donc en Provence, où il retourne seul, après l’Italie, que Staël peint ses tableaux siciliens.
À Jacques Dubourg, son marchand parisien, il confie: «Aussi atroce que soit la solitude, je la tiendrai parce qu’il [me faut] prendre une distance que je n’ai plus à Paris aujourd’hui et que je veux pour demain.» Les paysages d’Agrigente et Syracuse sont le fruit de cette mise à distance. Radicalisation de la palette et des contrastes, construction réduite à l’élémentaire: Staël invente son paysage.

 
Texte du panneau didactique.
 
Nicolas de Staël. Sicile (Dessiné sur le motif), 1953. Stylo-feutre sur papier. Collection particulière.
- Nicolas de Staël. Fiesole (Dessiné sur le motif), 1953. Stylo-feutre sur papier. Collection particulière.
- Nicolas de Staël. Étude de paysage, Italie (Dessiné sur le motif), 1953. Stylo-feutre sur papier.
Collection particulière.
- Nicolas de Staël. Étude de paysage, Italie (Dessiné sur le motif), 1953. Stylo-feutre sur papier.
Collection particulière.
- Nicolas de Staël. Italie (Dessinée sur le motif), 1953. Stylo-feutre sur papier.
Collection particulière.

Réalisés à son retour en France, ces dessins synthétiques, aux formes abrégées, donnent à voir toute la distance qui les sépare des croquis faits en Sicile, devant le motif. Staël reprend ici les éléments présents dans ses premières esquisses mais n'en garde que les lignes fondamentales. Travail nécessaire afin qu'un juste équilibre se trouve entre émotion et distanciation, entre le choc visuel de la Sicile et sa traduction dans des tableaux sur ce thème. Ces dessins se comprennent aussi en regard de certaines gravures réalisées par Staël pour les Ballets-Minute de Pierre Lecuire, dont ils sont comme le premier jet dessiné.
 
Nicolas de Staël. Temple sicilien, Lagnes, 1953. Huile sur toile. Collection particulière.
 
Nicolas de Staël. Sicile, Ménerbes, 1954. Huile sur toile. Collection particulière.
Scénographie
 
Nicolas de Staël. Agrigente, Ménerbes, 1954. Huile sur toile. Collection particulière.
 
Nicolas de Staël. Agrigente, Ménerbes, 1953-1954. Huile sur toile. Suisse, collection particulière.
 
Nicolas de Staël. Agrigente, 1954. Huile sur toile, 60 x 81 cm. Collection privée / Courtesy Applicat-Prazan, Paris. © Adagp, Paris, 2023 / Photo Annik Wetter.
 
Nicolas de Staël. Sicile, 1954. Huile sur toile, 114 x 146 cm. Musée de Grenoble. © Adagp, Paris, 2023. © Ville de Grenoble / Musée de Grenoble / photo J.-L. Lacroix.
 
Nicolas de Staël. Composition, 1953-1954. Collage de papiers déchirés sur papier kraft. Paris-Lisbonne, galerie Jeanne Bucher Jaeger.

À partir de 1952, Nicolas de Staël pratique le collage de papiers découpés et déchirés. Il a vu et éprouvé le choc des travaux d'Henri Matisse, dont La Tristesse du roi, fait à partir de papiers découpés, a été présentée au Salon de mai en 1952. Il mesure alors ce que ce procédé peut avoir de fécond. À côté du dessin, le collage devient un autre lieu d'expérimentation, propice à la vitesse, d'où surgissent des formes synthétiques aux bords irréguliers, qui vont ensuite se propager dans ses œuvres peintes, et notamment ses tableaux sur le thème sicilien.
 
Nicolas de Staël. La Table, 1954. Collage de papiers déchirés et découpés sur papier kraft. Paris-Lisbonne, galerie Jeanne Bucher Jaeger.


10 - SUR LA ROUTE (1954)

Scénographie

L’année 1954 est marquée par de constants déplacements : toujours à la recherche de sensations nouvelles, Staël se remet en route. Alors qu’il vient d’emménager à Ménerbes, son quotidien est rythmé de diverses incursions à Uzès, Marseille, ou encore à Martigues, sur les bords de l’étang de Berre, comme autant de détours propres à engendrer dessins et tableaux. Il retourne aussi rue Gauguet: «J’ai commencé à travailler dans le Midi, écrit-il, mais je viens à mon atelier de Paris régulièrement, cela me change de lumière et renouvelle un peu la conception des choses.» Il dessine alors sur les bords de Seine, et peint des paysages parisiens. Il séjourne également quelque temps sur la mer du Nord, dessinant sur le motif avant de peindre plusieurs tableaux évoquant le phare de Gravelines ou la plage de Calais.

Staël travaille «plus que jamais»: l’exposition chez Paul Rosenberg à New York en février 1954 est un succès, et l’artiste prépare pour juin une nouvelle exposition parisienne chez Jacques Dubourg, la première depuis trois ans. Dans cette urgence, sa peinture s’allège, renonçant à l’épaisseur au profit de la fluidité. Dans ses dessins, nombreux en ces temps de voyage, l’artiste va vers l’épure, donnant toujours plus d’importance, et de présence, au blanc du papier.

 
Texte du panneau didactique.
 
Nicolas de Staël. Les Martigues, Ménerbes, 1954. Huile sur toile. Winterthur, Kunst Museum Winterthur. Don de la Fondation Volkart, 2009.
 
Nicolas de Staël. Arbres, 1954. Pinceau et encre de Chine sur papier, 108,5 x 75 cm. Collection particulière. © Adagp, Paris, 2023. © Photo Jean-Louis Losi.
 
Nicolas de Staël. Table à palette, 1954. Fusain sur papier, 145 x 104 cm. Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne / Centre de création industrielle. Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-GrandPalais / Georges Meguerditchian. © Adagp, Paris, 2023.
 
Nicolas de Staël. Bateaux en Méditerranée, 1953-1954. Stylo feutre sur papier. Paris, Centre Pompidou. Musée national d'art moderne - Centre de création industrielle. Achat 1977.

En cette année 1954, faite de voyages et de haltes, le dialogue entre dessin et peinture est à son comble. Staël dessine beaucoup, concevant des séries afin, par la réitération, d'aller au plus près de la structure d'un motif: bateau, fleur, fruit, arbre. Dans les dessins de bateaux, faits au feutre, impossible de dire ce qui, du travail sur toile ou sur papier a nourri l'autre. Une même décision, une même recherche de la synthèse, une même économie de moyens règne dans les aplats colorés comme dans la vitesse du feutre, qui suffit à faire naître forme, espace, et lumière.
 
Nicolas de Staël. Étude de fleurs, 1954. Stylo-feutre sur papier. Collection particulière.
Scénographie
 
Nicolas de Staël. Nu de profil, Antibes, 1955. Fusain sur toile. Antibes, musée Picasso. Achat, 1988.
 
Nicolas de Staël. Étude de nu, Antibes, 1955. Fusain sur toile. Collection particulière.
 
Nicolas de Staël. Nu couché bleu, Antibes, 1955. Huile sur toile. Collection particulière.

Si Staël fit parfois appel à des modèles, le nu demeure indissociable de sa rencontre avec Jeanne Polge, en Provence, en1953. Ce choc amoureux mêle une double fascination pour le paysage du Midi et pour la femme rencontrée. Le peintre reprend ici l'ancienne tradition picturale du nu couché, tout en portant à son comble la fusion femme-paysage. Jeanne est là, pur bloc de présence énigmatique, sur lequel un homme viendra buter.
 
Nicolas de Staël. Marseille, Ménerbes, 1954. Huile sur toile. Los Angeles County Museum of Art. Estate of Hans G. M. de Schulthess.
 
Nicolas de Staël. Agrigente, Ménerbes, 1954. Huile sur toile. Collection famille Landeau.
 
Nicolas de Staël. Marseille, 1954. Huile sur toile, 80,5 x 60 cm. Courtesy Catherine et Nicolas Kairis / Courtesy Applicat-Prazan, Paris. © Adagp, Paris, 2023. Courtesy Applicat-Prazan, Paris.
Scénographie
 
Nicolas de Staël. Plage de Calais, 1954. Huile sur toile. Collection particulière / courtesy Vedovi gallery.
 
Nicolas de Staël. La Palette, Paris, 1954. Huile sur toile. Collection particulière.
 
Nicolas de Staël. Bateaux sur la plage, Ménerbes, 1954. Huile sur toile. Europe, collection particulière.
 
Nicolas de Staël. Trois poires, Paris, 1954. Huile sur toile. Collection particulière.

Parfois, trois fois rien suffit: le tableau se fait leçon d'économie picturale. Quelques fragments de traits esquissés pour instaurer l'espace et la forme, et puis la couleur. gris-bleu, gris-vert, gris-beige. Pas de contrastes, uniquement des nuances, dans le ton, dans le geste, dans la qualité de la touche. Nicolas de Staël, l'homme du Parc des Princes et de la peinture comme un combat, sait aussi être un peintre de la délicatesse: de l'art comme recherche musicale des intervalles, et du silence.


11 - ANTIBES (1954-1955)

Scénographie

En septembre 1954, pour se rapprocher de Jeanne Polge, Nicolas de Staël s’installe seul dans une maison sur les remparts d’Antibes, face à la mer. La vie s’organise autour de son atelier et de sa liaison passionnelle, bouleversante. Alors que Jeanne prend peu à peu ses distances, Staël travaille avec acharnement: «Les tableaux foncent, écrit-il, il faudra bien leur donner tout ce que j’ai, le reste m’est odieux à présent.»

Cherchant la fluidité et la transparence, le peintre utilise du coton et des tampons de gaze pour étaler la couleur. Marines et natures mortes se succèdent, Staël peignant alternativement les bateaux zébrant la Méditerranée ou les objets de l’atelier. Ses tableaux accueillent la vie – sa quotidienneté, son intimité, son immensité. Si l’homme privé est désespéré par un amour impossible, l’artiste demeure, dans sa peinture, intact malgré tout. Les tableaux d’Antibes témoignent de la permanence de son émerveillement devant le monde.

Le 16 mars 1955, Staël se tue en se jetant du toit-terrasse de son atelier, laissant derrière lui de nombreux tableaux en cours. Dans la lettre qu’il laisse à son marchand, Jacques Dubourg, il écrit: «Je n’ai pas la force de parachever mes tableaux.»

 
Texte du panneau didactique.
 
Portrait de Nicolas de Staël. Photographie.
 
Nicolas de Staël. Le Saladier, 1954. Huile sur toile, 54 x 65 cm. Collection particulière. © Adagp, Paris, 2023.

Jaillissant dans le geste du peintre, le coup de pinceau coïncide ici avec la forme elle-même, celle d'une feuille de salade. Dans ce tableau, Staël conjugue ambition picturale et émerveillement devant la vie la plus triviale. Il est le peintre des choses, de l'enchantement qu'elles procurent à qui sait vraiment les regarder. Il est aussi ce chercheur inlassable qui, s'affrontant à un genre aussi classique et codifié que la nature morte, parvient à donner présence, densité et fraîcheur à ce qu'il peint.
 
Nicolas de Staël. Nature morte au pot et pinceaux, Antibes, 1955. Huile sur toile. Collection particulière.
 
Nicolas de Staël. Le Bocal, Antibes, 1955. Huile sur toile. Collection privée / courtesy Applicat-Prazan, Paris.
 
Nicolas de Staël. Les Poissons, Antibes, 1955. Huile sur toile. Collection particulière.
Scénographie
 
Nicolas de Staël. La Bouteille noire, Antibes, 1955. Huile sur toile. Collection particulière.
 
Nicolas de Staël. Nature morte en gris, Antibes, 1955. Huile sur toile. Suisse, collection particulière.
 
Nicolas de Staël. Coin d'atelier fond bleu, Antibes, 1955. Huile sur toile. Paris, Centre Pompidou. Musée national d'art moderne. Centre de création industrielle. Dation, 2014.
 
Nicolas de Staël. Les Mouettes, Antibes, 1955. Huile sur toile. Collection particulière.
Scénographie
 
Nicolas de Staël. Marine la nuit, 1954. Huile sur toile, 89 x 130 cm. Collection particulière. © Adagp, Paris, 2023. © Photo Thomas Hennocque.
 
Nicolas de Staël. Le Bateau, Antibes, 1955. Huile sur toile. Collection particulière.
 
Nicolas de Staël. Le Fort Carré d'Antibes, Antibes, 1955. Huile sur toile. Antibes, musée Picasso. Achat. 1984.
 
Nicolas de Staël. Le concert, Antibes, 1955. Huile sur toile. Antibes, musée Picasso. Achat, 1986.

Le 16 mars, Nicolas de Staël se suicide, laissant de nombreuses toiles inachevées, dont son fameux Concert - le plus grand tableau qu'il ait jamais entrepris. Encore plein de l'émotion éprouvée au Théâtre Marigny à Paris, les 5 et 6 mars 1955, où l'on jouait Webern et Schönberg, l'artiste condense sous une forme renouvelée sa longue passion pour la musique et son spectacle visuel.
Cette œuvre monumentale a rejoint les collections du musée Picasso d'Antibes en 1986 et y est depuis exposée de manière permanente, à quelques pas du dernier atelier de Staël.
Scénographie
 
Nicolas de Staël. Pots et pinceaux dans l'atelier, Antibes, 1955. Huile sur toile. Courtesy Catherine & Nicolas Kairis / courtesy Applicat-Prazan, Paris.
 
Panneau didactique.