KUPKA. Pionnier de l’abstraction. Né en Bohême orientale en 1871 dans une famille modeste, mort à Puteaux en 1957 après avoir passé plus de soixante ans en France, František Kupka est incontestablement l’un des artistes les plus novateurs du XXe siècle. Il suit des cours de peinture à l’École des beaux-arts de Prague (section de peinture historique et religieuse), puis à celle de Vienne, obtenant très jeune des commandes de portraits de l’aristocratie autrichienne. Mais il se passionne également pour la philosophie allemande et grecque, la littérature classique, les traités de théosophie et d’occultisme et lit de nombreux ouvrages scientifiques (astronomie, anatomie, chimie, histoire naturelle). Le Bibliomane (1897) traduit sûrement cette boulimie de lecture. Plus tard, en 1905, il suit à la Sorbonne des cours de physique, de physiologie et de biologie tout en poursuivant l’illustration des cinq premiers volumes de l’Homme et la Terre de l’historien-géographe anarchiste Élisée Reclus, mort la même année.
Cette soif de connaissances se retrouve dans sa peinture, en particulier dans les toiles où il cherche à traduire les connaissances scientifiques comme les rayons X, les disques de Newton, la courbure de l’espace-temps, etc. Il publie en 1923 La Création dans les arts plastiques, un livre dont il dira « Je suis satisfait et insatisfait avec mon livre « création ». Il semble plutôt incohérent, mais cela correspond probablement à la mentalité intellectuelle des artistes ».
Kupka participe à certaines expositions, comme le Salon des Réalités Nouvelles et organise quelques expositions personnelles mais cela reste relativement confidentiel. En effet ce n’est qu’à 80 ans qu’il signe son premier contrat avec un marchand d’art et, en 1952, dans un entretien pour la revue américaine Vogue, il fait part de ses réticences à exposer, de crainte d’être copié. Il n’avait pas tort. Dans le catalogue de l’exposition L’Art abstrait. Ses origines, ses premiers maîtres à la galerie Maeght à Paris en 1949, on peut lire que « son tableau Disques de Newton annonce le premier Disque (1913) de Robert Delaunay et que ses Plans verticaux précèdent de plusieurs années le suprématisme et le néoplasticisme ».
La présente rétrospective, avec son parcours à la fois chronologique et thématique, en cinq grandes étapes, rend parfaitement compte de l’évolution et des recherches de Kupka en peinture.
Avec « Chercher sa voie », nous voyons un artiste marqué par le symbolisme, comme dans Méditation (1899), un autoportrait où il se représente dans un cadre nietzschéen, ou La Voix du silence (Sphinges) (1903). Dans ces années-là, Kupka réalise des centaines d’œuvres graphiques pour la presse, en respectant les lignes éditoriales des périodiques pour lesquels il travaille simultanément. Même s’il s’agit d’après lui de travaux alimentaires, ses dessins sont tout à fait remarquables et reflètent ses convictions de libre penseur.
Dans la section suivante « Un nouveau départ », nous voyons le travail de Kupka pour trois livres de bibliophilie et surtout pour le magistral L’Homme et la Terre d’Élisée Reclus. Mais ce sont surtout ses toiles qui retiennent notre attention. Nous avons L’Eau (La Baigneuse) (1906-1909), métaphore de la dissolution de la figure dans la couleur, La Gamme jaune (1907), un autoportrait mélancolique, La Petite Fille au ballon (1908) qui correspond à l’idéal naturiste de Kupka, Grand nu. Plans par couleurs (1909-1910) où l’artiste rend l’impression de volume par une décomposition en plans de couleurs différentes et enfin les trois peintures présentées au salon des Indépendants de 1912, sous le même titre de Plans par couleurs. Ici, la structure par plans domine la composition sous laquelle se dessinent les figures, comme celle de la Femme dans les triangles ou du Portrait du musicien Follot.
« Inventions et classifications », la section suivante, nous montre comment Kupka met en œuvre ce qu’il avait déjà exprimé en 1905 où, après avoir fait le constat de l’absurdité et de la malhonnêteté de l’art qui emprunte à la Nature, cela ne pouvait conduire l’artiste qu’à des écueils : trahir la Nature ou trahir sa vision. Il organise alors son tableau avec des éléments formels compréhensibles tels les lignes, les plans verticaux, horizontaux et diagonaux ou encore les courbes. Il n’oublie pas pour autant les formes irrégulières. Cette section renvoie à son exposition personnelle de 1936 au Jeu de Paume où il avait réparti son œuvre en sept catégories : « Œuvres conventionnelles », « Motifs imaginés », « Circulaires », « Verticales », « Verticales et diagonales », « Triangulaires » et « Diagonales ». Dans cette section on remarque en particulier les nombreuses études pour des tableaux tels que Amorpha, fugue à deux couleurs (1912) et Autour d’un point (1911-1930).
Dans la quatrième section, « Réminiscences et synthèses », on s’intéresse aux réflexions de Kupka sur le caractère essentiel de la création picturale d’où naît le « constructivisme » (La Cathédrale, 1912-1913) et sur les accords entre les couleurs et les formes (La Forme du vermillon, 1923 ; La Forme du bleu, 1925 ; etc.).
Enfin dans la dernière section « Ultimes renouvellements », nous voyons des travaux de Kupka inspirés par la machine et jamais exposés, des peintures abstraites d’où est exclue la troisième dimension, qualifiée de « mensonge » par Kupka, une partie des tableaux de la « série C », comme contrastes, et des tableaux des années cinquante dans lesquels il renouvelle ses thèmes et ses visions antérieures. Une exposition absolument remarquable bénéficiant d’une scénographie soignée avec de nombreux panneaux didactiques et des cartels très lisibles. R.P. Grand Palais 8e. Jusqu’au 30 juillet 2018. Lien : www.rmn.fr.