GIACOMETTI / BECKETT. Rater encore. Rater mieux. Alberto Giacometti (1901-1966) était lié d’amitié à de nombreux artistes et écrivains comme on le voit sur un carnet exposé dans la deuxième salle. Parmi ces amitiés, celle de l’irlandais Samuel Beckett (1906-1989) n’est pas la plus connue mais c’est l’une des plus durables. Elle commence en 1937 et se développe dans l’après-guerre. Hugo Daniel, le commissaire de cette exposition, explique que les deux hommes aiment à se retrouver dans les soirées sans fin des cafés de Montparnasse, puis arpenter les rues de Paris. Il ajoute que de profondes parentés rapprochent leurs œuvres. Cette exposition étonnante cherche à démontrer l’existence de ces liens de parenté.
Laissant pour la fin la reconstitution de l’atelier de Giacometti du 46 rue Hippolyte-Maindron (exposition permanente) et la salle des dessins (nous y reviendrons) nous arrivons dans la pièce principale de l’Institut. Là se trouve le seul témoignage d’une collaboration entre les deux hommes. En effet, en 1961, Beckett invite Giacometti à concevoir le décor de la pièce En attendant Godot (1952) reprise au théâtre de l’Odéon. Le texte de Beckett donne pour simple indication de décor : « Route à la campagne, avec arbre. / Soir ». Giacometti conçoit un arbre frêle et fragile que l’on peut voir sur une photographie d’une représentation à l’Odéon, derrière les deux acteurs. En effet l’arbre original a disparu après les représentations ! En 2006, l’artiste irlandais Gerard Byrne s’est livré à une réinterprétation de l’arbre de Giacometti. Sa conception est analogue mais il diffère dans l’arrangement des branches. C’est cet arbre qui est donc présenté ici.
Parmi les ouvrages et dessins présents dans cette salle, on remarque Imagination Dead Imagine (1965), un court récit dont la couverture est illustrée avec une sculpture de Giacometti, Tête sur tige (1947), dont un plâtre est exposé ici. A part cela, Beckett n’a jamais rien écrit sur Giacometti et ce dernier n’a illustré aucun ouvrage de l’écrivain, alors qu’il l’a fait pour d’autres.
Dans les salles suivantes, le commissaire se livre à des rapprochements entre les deux hommes. Il y a bien sûr le minimalisme avec cette économie de moyens propres aux deux artistes. La matière des œuvres de Giacometti s’amenuise, de même que les textes de Beckett sont peu à peu allégés de leur ponctuation et de leur syntaxe. Tandis que le premier fragmente les corps, surtout dans ses dessins (Composition surréaliste (femme), c. 1930-1931 ; Œil, 1960-1963), le second fait de la parole dans Not I (1972-1977), que l’on peut voir ici, une logorrhée quasi incompréhensible.
Autre rapprochement, celui de l’enfermement. Giacometti représente des personnages dans des cages (La Cage, 1950). Beckett enferme ses personnages dans des espaces réduits, comme celui du roman Murphy (1947) ou des trois personnages enfermés dans des jarres du film réalisé avec Marin Karmitz, Comédie (1966). On peut aussi noter la similitude entre ce Buste d’homme (1956) de Giacometti et la mise en scène de Oh les beaux jours avec Madeleine Renaud en 1963.
Autre exemple encore avec le thème de la solitude, bien visible chez Giacometti avec ces personnages qui marchent sans se rencontrer (La Place, 1950 ; Trois hommes qui marchent, 1948) tandis que Beckett met en scène quatre personnages, qui évoluent à l’infini sur un plateau carré, sans jamais se rencontrer (Quad I + II, 1981).
L’exposition se termine avec d’autres sculptures et une quinzaine de dessins de Giacometti réalisés sur toutes sortes de supports tels que papier à lettre, enveloppe, feuille imprimée, page de revue, nappe en papier … On y voit aussi la citation mise dans le titre de cette exposition originale et fort bien illustrée. R.P. Institut Giacometti 14e. Jusqu’au 8 juin 2021. Lien : www.fondation-giacometti.fr.