GERTRUDE STEIN ET PABLO PICASSO. L’invention du langage. On connaît Gertrude Stein (1874-1946) pour son homosexualité assumée, sa collection de peinture (Cézanne, Matisse, Picasso, Gris, etc.) et le célèbre portrait qu’en fit Picasso (1881-1973) en 1906, portrait qui n’est malheureusement pas exposé ici. Mais cette fille d’une riche famille juive de Baltimore est avant tout une écrivaine prolifique qui ne connaît la célébrité qu’en 1933 avec la publication de The Autobiography of Alice B. Toklas. Avec cette œuvre «alimentaire», très éloignée de sa production poétique habituelle, elle fait raconter par sa compagne, inhumée avec elle au cimetière du Père-Lachaise, sa vision épique de sa vie à Paris. Cet ouvrage, traduit en français, lui vaut l’inimitié de certains artistes, dont Picasso qui s’éloigne d’elle jusqu’en 1935. Mais c’est surtout à partir de 1934 qu’elle connaît un autre grand succès avec la mise en scène de son opéra Four Saints in Three Acts, écrit en 1927 avec le compositeur Virgil Thomson. Les jeunes artistes américains s’intéressent alors à elle et à ses écrits. Dans ceux-ci, réédités dans les années 1950, elle utilise un style fait de répétitions, d’insistances, parfois proche de la non-lisibilité, une sorte de cubisme littéraire, minimaliste. Ce style séduit de jeunes créateurs comme le musicien John Cage, le chorégraphe Merce Cunningham, les artistes Rauschenberg, Jasper Johns, Andy Warhol, Nam June Paik etc., jusqu’à Carl Andre, Anne Teresa de Keersmaeker, Robert Indiana ou encore Julian Beck et son Living Theater, pour n’en citer que quelques-uns.
Pour décrire et illustrer l’œuvre de Stein, les commissaires ont conçu une exposition en deux parties, qui se situe dans la commémoration du cinquantenaire de la mort de Picasso, le «Paris Moment» et l’«American Moment». Dans la première partie, nous avons une petite trentaine d’œuvres de Picasso, dont de rares réalisations en carton comme ces Guitares de 1912, à côté de peintures de Cézanne, Braque, Matisse et Gris et de la tête de Gertrude Stein, sculptée par Jacques Lipchitz en 1920.
«American Moment» commence par une section faite d’audiovisuels de danses et de concerts, d’affiches de théâtre, de photographies et d’ouvrages de Stein sous le titre de «Grammaire», en référence aux propos de Merce Cunningham pour qui «La grammaire est le sens.»
Viennent ensuite, sous le titre «Géographie et jeux» des installations, lithographies, dessins, impressions qui tous évoquent ou se revendiquent de Stein. La plus curieuse est une installation de Nam June Paik, Gertrude Stein (1990), faite de téléviseurs anciensavec des bras en forme de corne de phonographe et des seins-disques, clin d'œil à la dimension performative et sonore de ses écrits. Nous avons aussi des installations vidéo de Bruce Nauman (Good Boy, Bad Boy [1985-1983], Lip Sync [1969]) et ce subtil hommage de Emmett Williams à Stein, 13 Variations on 6 words of Gertrude Stein, (1965), réalisés à partir de ces six mots de la poétesse: «when you see this remember me» («quand tu verras cela, souviens-toi de moi»).
Dans la section suivante «Cercles et mots», à côté de réalisations jouant sur les mots, nous voyons des œuvres de Carl Andre, James Lee Byars et Joseph Kosuth, dont le Quoted Clocks #14 (2022), un ensemble d’horloges sur le cadran desquelles sont inscrites des citations de diverses personnalités, telle «Make it a mistake» de Gertrude Stein.
La dernière section, «Conceptuelle excentrique», présente des œuvres où l’on retrouve le portrait de Stein, telles les sérigraphies d’Andy Warhol, Ten Portraits of Jews of the Twentieth Century (1980), celles de Deborah Kass, Let Us Now Praise Famous Women #2 (1994-1995) ou le Quartet >88< (1990) de Hanne Darboven. Dans ce dernier ensemble de six tirages offset, Stein voisine à côté de Marie Curie, Rosa Luxemburg et Virginia Woolf.
Une exposition originale qui permet de connaître Gertrude Stein autrement que par sa relation avec Picasso. R.P. Musée du Luxembourg 6e. Jusqu’au 28 janvier 2024. Lien : www.museeduluxembourg.fr.