Parcours en images de l'exposition

FÜSSLI
Entre rêve et fantastique

avec des visuels mis à la disposition de la presse
et nos propres prises de vue

Parcours accompagnant l'article publié dans la Lettre n°555 du 12 octobre 2022




Affiche de l'exposition


1 - Introduction

Scénographie
Füssli.
Entre rêve et fantastique

Peintre de l'étrange, Johann Heinrich Füssli, d’origine suisse mais londonien d'adoption, laisse derrière lui une œuvre saisissante conjuguant le sublime, le mystère et le fantastique. Initialement destiné à être pasteur, Füssli rêve pourtant d’une carrière littéraire ou artistique. Encouragé par Joshua Reynolds, président de la Royal Academy, il décide rapidement de s'orienter vers le dessin et la peinture. Füssli puise son inspiration dans des sources littéraires variées, qu'il interprète avec sa propre imagination. Personnalité complexe et fascinante, il se forme en autodidacte et développe une esthétique très atypique pour l'époque. Bien qu'il ait été élu académicien, puis professeur de peinture à la Royal Academy, Füssli s'éloigne des règles académiques et introduit dans son œuvre un imaginaire onirique très personnel.

Peuplée de créatures hybrides, de personnages terrifiants et mystérieux, sa peinture, qui marque une rupture entre le classicisme et le romantisme, est aussi spectaculaire qu'inquiétante. Füssli crée des tableaux en clair-obscur avec un goût prononcé pour le drame. Amateur de théâtre, il s'inspire des jeux d'acteur et des mises en scène de l'époque, et réussit à donner à son œuvre une dimension dramatique et une intensité émotionnelle inégalées.

Les portraits de lui peints par ses contemporains font apparaître une personnalité contrastée et énergique. Son Autoportrait, au regard profond et pénétrant, révèle aussi bien le génie créateur que l'inventivité du personnage. Artiste érudit et éclectique, il cherche aussi à intégrer à sa peinture l’idée du sublime, tel que développé par le philosophe Edmund Burke (1729-1797), pour qui terreur et horreur peuvent être aussi sources de délices. Tantôt décrié, tantôt admiré l'œuvre de Füssli dit aussi bien sa folie que son génie et exercera une influence décisive sur toute une génération d'artistes.

 
Texte du panneau didactique.
 
James Nortcote (1746-1831). Portrait de Füssli, 1778. Huile sur toile. National Portrait Gallery, Londres.
 
Johann Heinrich Füssli (1741 – 1825). Autoportrait,  1780-1790. Pierre noire sur papier, 27 x 20 cm. Victoria and Albert Museum, Londres.  © Victoria and Albert Museum, London.

Les autoportraits de l'artiste sont rares dans le corpus de ses œuvres. Ici, il s'agit d'un exercice d'introspection. Proche de Johann Caspar Lavater, auteur d'un traité sur la physiognomonie, une pseudoscience qui associe traits du visage et personnalité de l'être, Füssli traduit la vision de sa propre individualité en autoportrait. Ainsi, l'inquiétude du regard, le nez proéminent, le front et les orbites creusées doivent renvoyer au génie de l'artiste. Techniquement, l'autoportrait est brillamment dessiné avec un jeu subtil de pierre noire et de rehauts de blanc projetant la lumière sur les traits durs de ce visage, image d'un homme mûr.
 
George Henry Harlow (1787-1819). Portrait de Füssli, 1817. Huile sur bois. Yale Center for British Art, Paul Mellon Collection, New Haven.
Scénographie
 
Johann Heinrich Füssli (1741 – 1825). Lady Macbeth somnambule, vers 1784. Huile sur toile, 221 x 160 cm. Musée du Louvre, Département des peintures, Paris. Photo © RMN - Grand Palais (musée du Louvre) / Hervé Lewandowski.

Le moment choisi par Füssli est issu de l'acte V scène 1 de la tragédie Macbeth de Shakespeare. Il s'agit de la dernière apparition de Lady Macbeth sur scène. Après avoir convaincu son époux d'assassiner le roi et après être elle-même devenue reine d'Ecosse, Lady Macbeth sombre dans la folie et finit par se donner la mort. Somnambule, elle hante ici les longs couloirs du château de Dunsinane qui sert de décor gothique à la scène. Füssli montre dans un format portrait sa figure monumentale qui surgit de la pénombre, aussi effrayante que grandiose. Trois doigts de la main brandie sont repliés, dissimulant pour mieux la désigner, l'invisible tache de sang, stigmate de ses crimes passés qui l'ont conduite à la folie. Dans un cadrage resserré, le clair-obscur caravagesque magnifie son visage, expression même du Sublime que soulignent les regards portés par les deux spectateurs de la scène, - le médecin et la servante - témoins comme nous de la tragédie qui se déroule ici. Présenté en 1784 à la Royal  Academy, le tableau annonce le travail futur de Füssli sur plusieurs épisodes du répertoire shakespearien.
 
Johann Heinrich Füssli (1741 – 1825). La mort de Didon, 1781. Huile sur toile, 244,3 x 183,4 cm. Yale Center for British Art, Paul Mellon Collection, New Haven. Crédit : CC0 1.0.

Füssli s'inspire ici d'un passage de l'Énéide de Virgile, source classique de la peinture européenne. Anéantie par le départ d’Énée, le héros de l’histoire dont elle est tombée éperdument amoureuse, Didon se donne la mort. L'artiste représente le moment où l'âme de Didon, emprisonnée dans ses cheveux, va être délivrée. C'est une image tragique que donne à voir Füssli, dans un élan théâtral tout à fait représentatif de la fascination qu'il a pour la mise en scène.
Les mouvements amples et la position de la pleureuse en bas à droite de la composition font partie de la scénographie. Füssli exécute cette peinture lorsqu'il apprend que Sir Joshua Reynolds exposera à la Royal Academy, dont il est président, sa version de la mort de Didon. || espère ainsi que les deux œuvres soient présentées côte à côte afin que la presse puisse les comparer. Sa stratégie fonctionne, l'œuvre reçoit une abondance de critiques et génère un intérêt nouveau pour Füssli.
 
Deux Hommes (Füssli et un autre artiste) enfumant une peinture, 1774. Aquarelle, sépia et mine de plomb sur papier. British Museum, Londres.
 
Johann Heinrich Füssli (1741 – 1825). Portrait de Madame Füssli au chapeau rouge, 1794. Mine de plomb et aquarelle sur papier. National Museums Northern Ireland, Belfast.
 


2 - Fascination et appropriation des tragédies shakespeariennes

Scénographie
Fascination et appropriation des tragédies shakespeariennes

Füssli s'intéresse dès son plus jeune âge à la dramaturgie anglaise, et en particulier à certains auteurs comme Shakespeare et Marlowe. Dès son arrivée à Londres en 1764, il fréquente assidûment les théâtres, non seulement pour perfectionner sa diction anglaise, mais aussi par intérêt pour l'expression des passions. Les nouveaux effets de la scène théâtrale britannique de l'époque l'inspirent, tant par les jeux de lumière, les costumes que par les mises en scène elles-mêmes. Le jeu d'acteur le fascine, et c'est au Théâtre Royal de Drury Lane - seul théâtre officiel à l'époque avec celui de Covent Garden - qu'il découvre le célèbre acteur et metteur en scène David Garrick (1717-1779). Ce dernier, dont les performances artistiques inspireront d'autres peintres comme William Hogarth, John Hamilton Mortimer ou Johann Zoffany, construit sa renommée sur un jeu moderne, passionné et vibrant qui enthousiasme Füssli.

À cette époque, Shakespeare, dont les œuvres ne sont pas censurées par le Licensing Act de 1737, est très régulièrement joué sur la scène londonienne. Ces nombreuses représentations - les pièces de Shakespeare constituent près d'un quart du répertoire des théâtres londoniens - ont une incidence directe sur le développement des mises en images de ces pièces. Füssli, qui sera considéré comme l'interprète de Shakespeare en peinture, emprunte au dramaturge la puissance expressive de ses textes pour construire des images à la forte singularité et en faire un genre théâtral en soi. Dans une quête constante de l'effet dramatique, il compose ses tableaux en s'inspirant toujours de la gestuelle, de la force émotionnelle et de la mise en lumière du jeu des comédiens, comme David Garrick, Sarah Siddons (1775-1831) ou Hannah Pritchard (1711-1768), les plus célèbres de l'époque.

 

 


Le Roi du Feu apparaît au comte Albert, 1801-1810. Huile sur toile. Victoria and Albert Museum, Londres.

Si Füssli a montré un vif intérêt pour la littérature classique et le théâtre britannique, il s'intéresse peu à la littérature contemporaine, à l'exception de l'œuvre de Walter Scott (1771-1832), en qui il reconnaissait un véritable poète. Le peintre s'empare ici de la première œuvre de Scott, The Fire King, parue en 1801 dans le recueil des Tales of Wonder de Matthew Gregory Lewis. Son action se déroule à l'époque des croisades. Fait prisonnier, le comte Albert, qui a abjuré sa foi chrétienne par amour pour la fille du sultan, doit descendre dans l'antre du Roi du Feu pour y recevoir une épée magique. Füssli choisit ici de le représenter pris dans un double mouvement, à la fois fasciné et saisi d'épouvante à la vue du démon qui surgit devant lui dans un halo de flammes : comme sous l'effet d’un sortilège, les yeux du comte sont attirés par la fantastique apparition, tandis qu'il cherche à s'en protéger en faisant écran de sa main gauche.
Texte du panneau didactique.
 
 
Johann Heinrich Füssli (1741 – 1825). Roméo et Juliette, 1809. Huile sur toile, 143 x 112 cm. N° inv. DEP 123. Collection particulière (en dépôt au Kunstmuseum à Bâle). Photo : Kunstmuseum Basel, Martin P. Bühler.
 
Hamlet et le spectre de son père, 1793. Huile sur toile. Fondazione Magnani-Rocca, Mamiano di Traversetolo, Parme.

Avec l'apparition du spectre du père de Hamlet, on assiste ici à un moment shakespearien par excellence, rendu avec force par Füssli. L'artiste construit la composition de son tableau sur le principe simple du contraste. La sobriété du décor, l'absence d'indication spatiale et la lumière exaltent l’intense émotion qui saisit Hamlet face à la vision du fantôme de son père. Il ne s'agit pas d'un portrait d'acteur, alors très en vogue en Angleterre. Ici, Füssli fait plutôt référence à la performance de jeu de David Garrick, l'acteur le plus connu de la scène anglaise de l'époque, que l’on reconnaît grâce aux cheveux du personnage dressés sur sa tête notamment : pour exprimer au mieux l'effroi qui le saisissait, l'acteur disposait en effet d'un mécanisme qui lui permettait d’hérisser les cheveux de sa perruque au moyen d'une corde.

Scénographie
 
Johann Heinrich Füssli (1741 – 1825). Robin Goodfellow, dit Puck, 1787 – 1790. Huile sur toile, 107,5 x 84 cm. Museum zu Allerheiligen, Schaffhausen. Photo: Jürg Fausch, Schaffhausen.

Entre 1786 et 1789, Füssli peint neuf tableaux pour la Shakespeare Gallery du célèbre éditeur John Boydell, qui regroupe les meilleurs peintres britanniques autour du répertoire shakespearien. Ce tableau est présenté dans la galerie à côté d'une autre représentation de Puck, plus colorée et moins fantastique, de Sir Joshua Reynolds. Füssli représente le lutin imaginé par Shakespeare dans Le songe d'une nuit d'été en pleine facétie. Puck, le fou d'Oberon, roi des elfes dans la pièce aime jouer de mauvais tours. lci, il surgit d'un halo lumineux, un sourire triomphant aux lèvres, après avoir trompé un voyageur à cheval en lui faisant faire fausse route. Dans une composition en contre-plongée, le petit lutin devient immense, sujet central du tableau, tandis que le traitement sommaire de la forêt environnante fait écho aux décors de la scène théâtrale. Les minuscules personnages secondaires sont relégués en contre-bas.
 
Johann Heinrich Füssli (1741 – 1825). Béatrice, Héro et  Ursule, 1789. Huile sur toile, 222 x 159 cm. Inv. Gal.-Nr. 798 E. Gemäldegalerie Alte Meister, Staatliche Kunstsammlungen Dresden. © Gemäldegalerie Alte Meister, Staatliche Kunstsammlungen Dresden, Photo by Elke Estel / Hans-Peter Klut.

Bien que la comédie Beaucoup de bruit pour rien ait moins inspiré Füssli que d'autres pièces de  Shakespeare, il traite à deux reprises la première scène du troisième acte dans laquelle Béatrice épie Héro et sa suivante en train de converser. Se sachant écoutées, les deux complices énoncent des fausses rumeurs qui plongeront Béatrice dans un imbroglio amoureux. Le peintre crée un univers pictural assez différent de ce qu'il propose habituellement, entre tragédie et monstrueux. Ici, la comédie implique le choix d’un univers plus doux et coloré, proche des scènes galantes et du rococo du début du XVIIIe siècle.
Johann Heinrich Füssli (1741 – 1825). La Reine Mab, 1814. Huile sur toile.
Museum zu Allerheiligen Schauffhousen, dépôt du Sturzenegger-Stiftung, Schaffthouse.


3 - Macbeth

Scénographie
Macbeth

Dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, Macbeth devient l'une des pièces de Shakespeare les plus populaires et les plus représentées en Angleterre. Füssli, qui s'était familiarisé très tôt avec les textes du dramaturge, avait même entrepris une traduction de Macbeth en allemand lorsqu'il vivait encore en Suisse, qui ne fut toutefois jamais publiée. Cette pièce illustre la fulgurante ascension d'un régicide : après que trois sorcières prédisent à Macbeth qu'il deviendra roi d'Écosse, celui-ci, encouragé par son épouse Lady Macbeth, élabore un plan diabolique pour s'emparer du trône. Leur sentiment de culpabilité et la paranoïa plongeront alors les deux protagonistes dans la folie.

Füssli s'intéresse à différentes scènes de la pièce. Travaillant de manière sérielle, il exécute plusieurs représentations de ses thèmes, comme pour Lady Macbeth saisissant les poignards, dont il réalise différentes compositions à quelques décennies d'intervalle. De nouveau, la puissance émotionnelle qui se dégage de ses œuvres repose à la fois sur leur mise en scène et sur l'expressivité des acteurs. Füssli représente ceux-ci directement en train de jouer, comme dans David Garrick et Hannah Pritchard dans les rôles de Macbeth et Lady Macbeth. Vraisemblablement contemporaine du tableau de Zoffany représentant la même scène, cette œuvre évoque le mouvement et l’urgence de la situation dans un effet d'immédiateté saisissant.

 
Johann Heinrich Füssli (1741 – 1825). Les trois sorcières, après 1783. Huile sur toile, 75 x 90 cm. The Royal Shakespeare Theatre, Stratford-upon-Avon. Photo Royal Shakespeare Company Theatre Collection.

Les trois sorcières de la tragédie Macbeth apparaissent à plusieurs reprises dans l'œuvre de Füssli. Créatures hybrides et androgynes, elles symbolisent ici le surnaturel et la part énigmatique de son œuvre. Émergeant d’une obscurité profonde, leurs visages sont disgracieux et inquiétants. La composition en frise des trois figures encapuchonnées, présentées de profil, rappelle l'étude des trois têtes masculines présentée dans cette salle. Cette peinture a été largement reprise sous forme de gravures.

Texte du panneau didactique.
 
 
Johann Heinrich Füssli (1741 – 1825). David Garrick et Hannah Pritchard dans le rôle de Macbeth et Lady Macbeth, 1766-1768. Plume et aquarelle, rehaussé de blanc. Kunsthaus Zürich, Collection d’arts graphiques. Don de Paul Gantz, 1938, Zürich.
 
Johann Heinrich Füssli (1741 – 1825). Lady Macbeth saisissant les poignards, 1812. Huile sur toile, 101,6 x 127 cm. Tate Britain, Londres. Photo: Tate.

Cette peinture illustre la deuxième scène de l'acte II de Macbeth : Lady Macbeth, horrifiée, constate que son mari est encore en possession des armes du crime qu'il vient de commettre. Füssli reprend cette composition à plusieurs reprises au long de sa carrière. Dans celle-ci, la plus tardive, l’espace est dématérialisé et le dispositif scénique est réduit au plus simple indice de la scène théâtrale, le rideau. Les figures sont fantomatiques et diaphanes. Füssli dépeint ici les émotions de manière dramatique et spectaculaire : l’effroi chez l’un, la détermination chez l'autre. Il fait du tableau un exemple pictural du Sublime, permettant au spectateur de trouver un certain plaisir dans l'émotion poussée à son paroxysme.


4 - Mythes antiques

Scénographie
Mythes antiques

Homme de lettres et fin connaisseur des textes de la littérature classique, Füssli s'inspire également de la mythologie grecque et romaine. Il s'intéresse particulièrement à l’œuvre d'Homère que son mentor Johann Jakob Bodmer lui a fait découvrir. Ayant appris le grec et le latin lors de ses études de théologie, il contribue d'ailleurs à une traduction d'Homère éditée par William Cowper. L'influence des récits littéraires se retrouve dans sa manière de penser et de créer. C'est essentiellement dans ses dessins que Füssli parvient à restituer toute la puissance des récits mythologiques, comme dans son extraordinaire Achille saisit l'ombre de Patrocle, un thème qu'il déclinera en plusieurs versions. La puissante carrure de ses personnages reflète sa connaissance de la sculpture antique et des œuvres de Michel-Ange, qu'il avait étudiées attentivement pendant son séjour romain entre 1770 et 1778. Les fresques de la chapelle Sixtine le fascinent, et c'est à Rome qu'il approfondit sa connaissance de l'anatomie humaine.

En puisant son inspiration à la fois dans les mythes antiques et dans l'art de Michel-Ange, il poursuit un idéal susceptible d'élever son œuvre et le goût de ses admirateurs, tout en échappant à la culture contemporaine dont il souhaite se détacher. Il développe ainsi un style excessif et expressif, qui l'éloigne des courants dominants du néo-classicisme européen. En dépit de ses références à la statuaire antique - notamment le visage et le nez romains - la représentation du corps humain chez Füssli se fait extravagante, les corps gesticulent et se contorsionnent.

 
Johann Heinrich Füssli (1741 – 1825). Achille saisit l’ombre de Patrocle, vers 1810. Crayon graphite, craie et aquarelle sur papier, 34 x 60 cm. Kunsthaus, Zurich, Collection of Prints and Drawings, 1916. Photo credit: Kunsthaus Zürich, Collection d’arts graphiques.

Dans une composition en frise, typique des bas-reliefs antiques, Achille, endormi, tente d'attraper l'esprit de son ami Patrocle, compagnon de combat mort durant la guerre de Troie. Ce dessin, très impressionnant, fait appel à plusieurs techniques et démontre la virtuosité formelle de Füssli. Si l'enflement des musculatures peut être associé au penchant michelangelesque de l'artiste, la mise en page est tout à fait néo-classique, proche du travail de John Flaxman ou de certaines aquarelles de William Blake, que Füssli côtoie. Avec une maîtrise remarquable de l'aquarelle, l'artiste accentue le côté dramatique de la scène en traitant le rivage comme une scène de théâtre, dans laquelle se lève un grand rideau sur la gauche de la composition. L'artiste avait exécuté une autre version de la scène quelques années auparavant dans laquelle la posture d'Achille renvoyait à celle de l’Adam de Michel-Ange de la chapelle Sixtine.

Texte du panneau didactique.
 
 
Johann Heinrich Füssli (1741 – 1825). Achille saisit l'ombre de Patrocle, 1803. Huile sur toile. Kunsthaus Zürich, 1941, Zürich.
 
Ulysse, naufragé sur son radeau, reçoit le voile sacré d’Inô-Leucothéa, 1805-1810. Huile sur toile. Collection particulière.

Füssli puise ses sujets de prédilection dans des récits du répertoire classique, et notamment dans l'Odyssée d'Homère, qu'il a découverte en Suisse. Après s'être noyée dans la mer, Inô, mère adoptive de Dionysos, se transforme en divinité marine sous le nom de Leucothéa, et sauve Ulysse de la noyade en lui permettant de s'accrocher à son voile sacré. Füssli peint cette scène dans une composition verticale resserrée autour des deux figures monumentales de Leucothéa et d'Ulysse. La déesse présente un canon longiligne, une tête petite et une poitrine menue. Ulysse adopte la pose des dieux fleuves, citation de Michel-Ange, avec un dos musclé imposant. Toutes ces caractéristiques stylistiques dénotent la parfaite connaissance que Füssli avait du maniérisme italien du XVIe siècle.>


5 - Imagerie biblique et légendes nordiques

Scénographie
Imagerie biblique et légendes nordiques

Les connaissances religieuses acquises lors de sa formation de pasteur imprégneront Füssli toute sa vie. Devenu peintre, il trouve dans les écrits bibliques des thèmes qu'il tire vers l'imaginaire et vers un fantastique traversé d'apparitions surnaturelles de la Divinité.

Füssli manifeste également un réel engouement pour le poème épique du Paradis perdu de John Milton (1608-1674). Il entreprend l'idée de réaliser une Milton Gallery, sur le modèle de la Shakespeare Gallery créée par Boydell quelques années plus tôt. Cette entreprise d'importance regroupe 47 peintures dont la plupart illustre Le paradis perdu. Malgré un échec commercial, la Milton Gallery est reconnue par ses pairs, et elle est aujourd'hui considérée comme l’une des étapes majeures du mouvement romantique anglais.

Füssli, toujours curieux et désireux de trouver des sources d’inspirations variées explore aussi une littérature plus contemporaine, comme l'Oberon de Christoph Martin Wieland qui lui fournit des thèmes d'aventure et de romance exotiques, habités d'une forte composante dramatique. Ses interprétations d’une extrême inventivité lui permettent de nouveau de mêler surnaturel, sensualité et romantisme.

 
Texte du panneau didactique.
 
Johann Heinrich Füssli (1741 – 1825). Rezia plonge dans la mer avec Huon, 1804-1805. Huile sur toile. Collection particulière, en dépôt au Kunstmuseum de Lucerne.
 
Johann Heinrich Füssli (1741 – 1825). Déguisé en jardinier, Huon rencontre la sultane Almansaris, 1804-1805. Huile sur toile. Collection particulière, en dépôt au Kunstmuseum de Lucerne.
 
Huon et Rezia réunis, 1804-1805. Huile sur toile. Collection particulière, en dépôt au Kunstmuseum de Lucerne.

Dans cette série de dix peintures, dont trois sont présentées ici, Füssli illustre Oberon de Christoph Martin Wieland, un poète allemand contemporain et ami de son père. Cette saga épique puise dans des références variées, de Shakespeare aux contes des Mille et Une Nuits, qui séduisent Füssli. Le poème relate l'histoire du chevalier Huon de Bordeaux, duc de Guyenne, condamné par l'empereur Charlemagne à tuer son fils, ainsi que sa relation avec Oberon, roi des Fées, et son amour pour Amanda (Rezia), fille du sultan de Bagdad. Dans Huon et Rézia réunis, les amants s’étreignent après avoir reçu la bénédiction d'Oberon. Rezia plonge dans la mer avec Huon (ci-dessus) est la composition la plus spectaculaire des trois, avec ses fortes torsions et ses jeux de lumière. Enfin, Déguisé en jardinier, Huon rencontre la sultane Almansaris (ci-contre) montre un effet de contraste entre la robe blanche de la sultane et l'obscurité qui l'environne.
Scénographie
 
Johann Heinrich Füssli (1741 – 1825). Thor luttant contre le serpent Midgard, 1790. Huile sur toile, 133 x 94,6 cm. Royal Academy of Arts, Londres © Royal Academy of Arts, London; photographer: John Hammond.

Füssli devient officiellement membre de la Royal Academy en 1790. À cette occasion, il remet à l'institution ce tableau en guise de diploma, c'est-à-dire de morceau de  réception. Le choix très original du sujet, à une époque où la littérature scandinave est encore très méconnue, montre la volonté de Füssli de se démarquer des autres artistes. Le dieu du tonnerre dans la mythologie nordique lutte contre un serpent mythique dans une composition ascensionnelle que l'effet de contre-plongée vient renforcer. Recroquevillé au fond de la barque en fort raccourci, le géant Eymer est subjugué par l'action du puissant Thor, tandis qu'Odin observe au loin, en haut de la composition. Si le sujet est obscur pour les contemporains de Füssli, la manière de traiter la musculature de Thor leur rappelle les Ignudi de Michel-Ange de la chapelle Sixtine. La pâleur de la peau du héros, accentuée par le jeu dramatique de la lumière, évoque la matière d’une sculpture de marbre.
 
Johann Heinrich Füssli (1741 – 1825). La Vision de Saint Jean et du candélabre à sept branches, 1796. Huile sur toile. Collection particulière.
 
Johann Heinrich Füssli (1741 – 1825). La Création d'Ève, 1793. Huile sur toile. Collection particulière.

Les sujets bibliques traités par Füssli sont le plus souvent tirés de ses lectures du Paradis Perdu de John Milton, que de son expérience passée de pasteur. La Création d'Ève est le dix-septième  tableau prévu pour faire partie de la Milton Gallery, un projet d'exposition que met en place Füssli pour concurrencer celui sur la Shakespeare Gallery de Boydell. L'Expulsion du Paradis (voir ci-contre), peint cinq ans plus tard, procède encore de Milton, mais ne fait pas partie du projet de la Milton Gallery. La Vision de Saint jean et du candélabre à sept branches (voir ci-dessus), quant à elle, est directement tirée de la Bible. Ce sujet, qui n'est pas très courant dans la peinture européenne, fait partie d'une commande pour une autre galerie concurrente, la Bible Gallery de Thomas Macklin.
 
Johann Heinrich Füssli (1741 – 1825). L'Expulsion du paradis, 1802. Huile sur toile. Collection particulière.


6 - La femme au cœur de l'œuvre

Scénographie
La femme au cœur de l'œuvre

La femme occupe une place très importante dans la vie et l’œuvre de Füssli. Tantôt amante, modèle ou conquête, elle est pour lui un sujet de prédilection. Dans ses dessins, ses héroïnes sont imposantes, souvent dominatrices et fantasmatiques. Füssli aime représenter l’omnipotence de la femme face à l'homme soumis.

Füssli éprouve également une grande fascination pour les chevelures et les coiffures élaborées, qu'il représente à de multiples reprises et sous toutes leurs formes. La coiffure devient un signe de puissance, tandis que des tenues extravagantes complètent la mise en scène de ses dessins. L'artiste entretient des relations passionnées avec ses modèles, comme Sophia Rawlins (1770-1832), qu'il épouse en 1788. La femme de lettres et philosophe féministe Mary Wollstonecraft (1759-1797), dont il a peint le portrait, s'entiche de lui et lui propose de partir à Paris suivre les événements de la Révolution française : son épouse s'opposera toutefois à cette aventureuse expédition.

Füssli a créé plus de huit cents dessins et croquis; la sélection rassemblée ici comme dans un boudoir reflète les fantasmes du peintre qui représente la femme dans des rôles différents, de la femme dominatrice dans une composition érotique, à la femme mère, domestique et protectrice de son enfant.

 
Texte du panneau didactique.
 
Johann Heinrich Füssli (1741 – 1825). Una et le lion, vers 1778-1790. Plume et rehauts de blanc sur papier. The Huntington Library, Art Museum, and Botanical Gardens. Sir Bruce Ingram Collection, San Marino.
 
Johann Heinrich Füssli (1741 – 1825). Étude d'après modèle vivant à la Royal Academy, 1801. Plume, encre et lavis gris et bleu sur papier. British Museum, Londres.
 
Johann Heinrich Füssli (1741 – 1825). Femme nue vue de dos, 1805-1810. Graphite, lavis gris et aquarelle avec rehauts de blanc sur papier. The Fitzwilliam Museum, Cambridge.
Scénographie
 
Johann Heinrich Füssli (1741 – 1825). Brunhilde regardant Gunther suspendu au plafond pendant leur nuit de noces, 1807. Plume, encre et lavis sur papier. City Museums and Galleries, Nottingham.
 
Johann Heinrich Füssli (1741 – 1825). Mme Füssli debout, vers 1790-1795. Crayon graphite, plume et encre brune, aquarelle et gouache sur papier vergé, 32,8 x 21,1cm. Collection particulière. Photo : Patrick Goetelen, Genève.


7 - Cauchemar et sorcelleries

Scénographie
Cauchemar et sorcelleries

Tout en continuant de s'inspirer de sources littéraires variées, Füssli crée des personnages hybrides, des créatures monstrueuses, grotesques et terrifiantes. Cette démarche, atypique pour l'époque, repose à la fois sur son penchant pour le fantastique et le surnaturel, mais aussi sur un désir de provoquer ses contemporains. Quand il rentre de Rome en 1780, Füssli cherche en effet à se faire remarquer et à devenir un personnage éminent de la scène artistique londonienne. Il y parvient avec brio quand il présente en 1781 son célèbre Cauchemar, qui assoit immédiatement sa renommée et dont il réalise plusieurs versions. Pour la première fois, le sujet est une création pure et non tirée de la littérature. Le Cauchemar a été interprété de nombreuses façons, et l'absence avérée de consensus sur sa signification, encore aujourd'hui, participe de sa force troublante. La composante érotique du tableau, par l'irruption d'un incube sur le ventre de la jeune femme vêtue d'une robe blanche - soulignant sa pureté et son innocence -, par la tête de cheval pénétrant dans l'entrebâillement du  rideau - et qui selon un jeu de mot en anglais « night mare » (« jument nocturne ») fait allusion au titre du tableau -, et par la posture alanguie de la jeune femme suggérant un état post-coïtal, dérange et fascine le public de l'époque.

L'ambiguïté du tableau repose également sur l'identification de celui qui rêve : la jeune femme, le peintre ou le spectateur ? Cette œuvre, qui a fasciné Freud, a inspiré nombre d'artistes de son contemporain Nicolai Abraham Abildgaard (1743-1809) qui en peint sa propre version à Ken Russell qui en donne un écho visuel dans son film Gothic (1986).

Dans le sillage du succès du Cauchemar, Füssli développe des sujets provocants et terrifiants. Il introduit le thème de la sorcellerie et du féerique dans une veine très fantastique. Rites sacrificiels créatures démoniaques et mystérieuses, l'imaginaire de Füssli se situe entre folie et génie, entre horreur, délice, terreur et sublime.
 
L'incube s'envolant, laissant deux jeunes femmes, fin 1780. Huile sur toile. Collection Farida et Henri Seydoux, Paris.

Ce tableau est une autre version du Cauchemar. Tout aussi frappant et psychologiquement complexe que la composition initiale, celui-ci propose un changement significatif dans la disposition, représentant l'immédiat après-coup du cauchemar : la victime se réveille, désorientée et angoissée, son regard hagard témoigne de sa confusion. L'aube n'est pas loin, les rayons de la lune qui pénètrent dans la pièce éclairent son buste, tandis que le diablotin s'enfuit à cheval par la fenêtre. Alors que la femme de la version initiale du Cauchemar est seule, elle est ici accompagnée d’une autre jeune femme. L'association de l’une endormie, et de la seconde éveillée, souligne l'attrait de Füssli pour le passage entre l'inconscient et le conscient, entre le rêve et la réalité.

Texte du panneau didactique.

 
 
Le Cauchemar, 1810. Huile sur toile. Collection particulière.

La signification réelle du Cauchemar reste mystérieuse. Füssli touche aux frontières de la conscience et de la psyché en explorant las cauchemars et les monstres qui les hantent. Cette variante plus tardive, peinte en 1810, témoigne du succès considérable de la composition initiale. Füssli conserve les éléments clés de la composition en les embellissant : les vêtements de la femme deviennent plus transparents, laissant suggérer la nudité du corps, et la jument et l'incube échangent des regards ambigus. La version de Nicolai Abraham Abildgaard, ici à droite, intègre une seconde femme sur le lit, toutes deux dans un état d'épuisement profond, ainsi qu'une créature accroupie qui regarde directement le spectateur.
 
Nicolai Abraham Abildgaard (1743-1809). Le Cauchemar, 1800. Huile sur toile. Kunstmuseum, Soro.
Scénographie
 
Johann Heinrich Füssli (1741 – 1825).  La sorcière de la nuit rendant visite aux sorcières de Laponie, 1796.  Huile sur toile, 101,6 x 126,4 cm. Metropolitan Museum of Art, New York. Photo © The Metropolitan Museum of Art, Dist. RMN-Grand Palais / image of the MMA.

Chef-d’œuvre présenté par Füssli dans la Milton Gallery en 1799, ce tableau est une représentation cauchemardesque d’un passage du Paradis Perdu de Milton sur le péché. La « sorcière de la nuit », un cavalier fantomatique entouré d'une meute de chiens, apparaît dans un halo de lumière, interrompant un rituel satanique pratiqué par des sorcières dont on a le plus horrible des aperçus au premier plan : une sorcière monstrueuse s'apprête à sacrifier un bébé. Cette image troublante rappelle d'autres scènes peintes ou gravées par Francisco de Goya et réalisées à la même période, sans pour autant qu'une rencontre ne soit avérée entre les deux maîtres. Le drame et l'horreur qui se dégagent de ce tableau font de lui à la fois le meilleur successeur de son Cauchemar, mais aussi le plus dérangeant.
 
Johann Heinrich Füssli (1741 – 1825). Le Sort de la Mandragore, 1785. Huile sur toile. Yale Center for British Art, Paul Mellon Collection, New Haven.
 
Johann Heinrich Füssli (1741 – 1825). Le Cauchemar, après 1782. Huile sur toile, 31,5 × 23 cm. The Frances Lehman Loeb, Art Center, Vassar College, Poughkeepsie, New York. Photo : Frances Lehman Loeb Art Center, Vassar, Poughkeepsie, NY / Art Resource, NY.

Le premier Cauchemar que peint Füssli est accroché en 1782 à l'exposition annuelle de la Royal Academy. C'est un véritable choc que procure la vue de cette composition, entre fascination, terreur et incompréhension. Mais quels que soient les avis, le tableau est un véritable succès. En créant une nouvelle forme de terreur gothique, Füssli établit à Londres sa réputation de grand artiste visionnaire. Le Cauchemar est largement diffusé, gravé ou copié, et l'artiste le premier, en décline différentes versions. C'est le cas de cette peinture, qui répond directement à la demande croissante du marché de l'art. Elle reprend la même composition que le premier Cauchemar, mais son ton plus sombre accentue l'aspect lugubre de la scène. Une femme est alanguie sur un lit, tourmentée dans son rêve par un incube, qui nous fixe de son regard perçant.
 
William Blake (1757-1827).  Tête d'un damné de l'Enfer de Dante, d'après Füssli, 1789-1792. Eau-forte et gravure au burin. British Museum, Londres.

Cette spectaculaire tête grandeur nature est l'illustration d'une collaboration entre deux artistes majeurs de la scène britannique. Füssli et William Blake deviennent amis en 1787. Dès lors, leurs échanges sont prolifiques. Blake grave d'après Füssli cette Tête d'un damné de l'Enfer de Dante, poète que tous les deux idolâtrent, bien que celui-ci ne suscite guère d'intérêt chez les artistes britanniques. Il utilise une technique maîtrisée de « losanges pointés » pour rendre les effets de lumière pensés par Füssli. Cette étude de tête renvoie à la physiognomonie que les deux artistes apprécient, et aux Têtes d'expression des passions de l’âme de Charles Le Brun, largement diffusées par la gravure.



8 - Rêves, visions et apparitions

Scénographie
Rêves, visions et apparitions

Les domaines de la superstition, du rêve et du surnaturel exercent un profond attrait sur Füssli. À une époque où les Hommes cherchent à expliquer toute expérience et tout phénomène, le monde du sommeil et des rêves fascine par son insondable complexité.  L'exploration de l'inconscient par Füssli a suscité l'engouement des surréalistes au début du XXe siècle pour son œuvre.

Le rêve chez Füssli provoque l'apparition d'êtres surnaturels et féeriques, comme dans Le rêve de la reine Catherine, où il est synonyme de bonheur et de béatitude. Les fairies, bientôt à la mode, plaisent au public de Füssli qui a été l’un des premiers à les évoquer. On retrouve de nouveau ici l'inspiration des récits shakespeariens avec notamment la présence de fées dans Le songe d’une nuit d'été.

Dans Le songe du berger, l'œuvre la plus importante de la Milton Gallery, Füssli dépeint une ronde de personnages surnaturels. Ses créatures fantastiques et ses apparitions sont soit représentées de manière explicite, notamment à travers le prisme du sommeil, soit suggérées, laissant au public sa propre interprétation. L'univers pictural de Füssli, à travers ses créatures hybrides, ses monstres, ses fées et ses apparitions, impose une nouvelle esthétique, atypique et étrange pour l'époque, qui oscille entre fantasmagorie, rêve et fantastique.

 
Texte du panneau didactique.
 
Johann Heinrich Füssli (1741 – 1825). Lycidas, 1796-1799.  Huile sur toile,  111 x 87,5 cm. Collection particulière.  © Studio Sébert Photographes.
Johann Heinrich Füssli (1741 – 1825). Le rêve de la reine Catherine, 1781. Huile sur toile, 151 x 212,1 cm.
Lytham St Annes Art Collection of Fylde Council. © Heritage Images / Fine Art Images / akg-images.

Ce tableau représente une scène de l'une des pièces les moins connues de Shakespeare, Henry VIII (Acte IV Scène 2). Après que le roi ait demandé le divorce à Catherine d'Aragon, celle-ci, bannie, a une vision de la félicité éternelle avant de mourir. Füssli s'attache particulièrement à cette scène puisqu'il la reprend à plusieurs reprises entre 1779 et 1788. La version commandée par Thomas Macklin en 1779 est désormais fragmentaire. La version présentée ici permet d'en comprendre la composition originale. Les esprits prennent la forme de jeunes filles aux carnations opalescentes. La reine est représentée dans un sursaut d'agonie, tendant le bras vers les esprits, mais déjà prise par la mort, comme en témoignent sa pâleur et le mouvement des drapés de ses vêtements qui la voilent comme un linceul. Exécutée la même année que Le Cauchemar, cette peinture révèle l’étonnante variété d’inspirations de Füssli et sa prodigieuse inventivité.
 
Johann Heinrich Füssli (1741 – 1825). Kriemhild voit en rêve Siegfried mort, 1805. Graphite, lavis gris foncé et marron, rehauts de blanc sur papier. Kunsthaus Zürich, Collection d'arts graphiques, 1916. Zürich.
 
Johann Heinrich Füssli (1741 – 1825). La Vision de Milton, 1799-1800. Huile sur toile. Collection particulière.
Johann Heinrich Füssli (1741 – 1825). Le songe du berger, 1793. Huile sur toile, 154,3 x 215, 3 cm. Tate Britain, Londres. Photo Tate.

Füssli nous emmène dans un profond sommeil, rempli de fées et d'êtres surnaturels. Son époque est celle du questionnement sur le monde mais aussi sur ce qui ne peut être vu. L'artiste aime cette idée, et approfondit de nombreux aspects de la question à travers ses peintures. Bien qu'il expose celle-ci comme un des chefs-d'œuvre de la Milton Gallery, Füssli semble également s'inspirer ici de l'univers fantastique de Shakespeare. Le berger, profondément endormi, ne prend pas conscience de la farandole de fées qui tourne au-dessus de sa tête. Deux autres fées, aux coiffes zoomorphes, regardent le spectateur, comme si elles l'invitaient à partager cette expérience onirique.